CET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°380
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Avant de prendre la tête de la BnF au mois d’avril dernier, quelle relation entreteniez-vous avec l’institution ?
En tant qu’historien, j’ai évidemment travaillé à la Bibliothèque nationale de France comme aux Archives. Mais comme spécialiste de l’Italie et de l’Europe méditerranéenne, j’ai aussi travaillé à l’étranger, dans deux grandes Bibliothèques nationales centrales (BNC) de Florence et de Rome et à la British Library qui, depuis son grand directeur du XIXe siècle - l’exilé politique italien Antonio Panizzi -, recèle de fonds importants sur ces domaines. Je dois par ailleurs préciser que je ne connaissais pas toutes les ressources de la BnF sur mes sujets de recherche.
J’ai ensuite également fréquenté la BnF en tant que professeur de l’École normale supérieure pour préparer mes cours d’agrégation ainsi que pour des articles et des communications, et j'y ai trouvé des matériaux de première main que notre bibliothèque de la rue d’Ulm, pourtant très riche, n’avait pas.
En outre, juste avant de prendre la présidence de la BnF, j’étais ambassadeur de France en Autriche - pays européen observateur de la francophonie -, une fonction qui me permet de témoigner du rôle des bibliothèques et de la nôtre, tout particulièrement, dans une diplomatie d’appartenance européenne ouverte vers les autres continents.
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Quelle est votre feuille de route à la tête de la BnF ?
Ma feuille de route est d’abord très étroitement liée aux grands chantiers de la BnF dans le sillage de mes prédécesseurs : le futur pôle de conservation d’Amiens, avec un conservatoire national de la presse, mais aussi des travaux de mise aux normes du site François Mitterrand, dans le domaine des infrastructures numériques, de sécurité et des nouvelles contraintes environnementales.
Ce nouveau site d’Amiens sera en mesure d’accueillir à partir de 2029 des collections de presse ainsi que des collections imprimées et audiovisuelles et, même s’il ne s’agit pas d’un lieu de consultation ouvert au public, nous voulons faire en sorte qu’il puisse être accessible, sous conditions, notamment aux habitants de la région : pour des visites scolaires (dans le cadre de la découverte des métiers de la bibliothéconomie et des métiers d’art ou pour l’initiation aux médias), ainsi que pour répondre à des demandes de chercheurs universitaires et de professionnels de la presse.
La BnF poursuivra également sa mission patrimoniale en adéquation avec l’évolution du dépôt légal, notamment le dépôt légal numérique, avec les documents numériques natifs grâce à la loi n 2021-1901 du 30 décembre 2021, dite loi Darcos, comme elle le fait depuis plusieurs années déjà avec le dépôt légal du web.
Ma feuille de route se doit de structurer et d’orienter notre bibliothèque patrimoniale en relation avec ses publics. La BnF est par vocation une bibliothèque de recherche. Je dois donc m’assurer que les chercheurs y trouvent tout ce qu’ils y cherchent, aussi bien sur nos différents sites qu’à distance, en développant encore davantage notre offre qualitative en ligne et en accueillant plus en amont les jeunes ou futurs chercheurs, bien avant le doctorat et en faisant des efforts vers les universités et les chercheurs étrangers.
Nous savons bien qu’il n’y a pas de contradiction entre le développement de la recherche par la recherche et la démocratisation. La BnF doit aussi être une bibliothèque ouverte à tous : la diversification de ses publics doit s’accompagner de sa démocratisation autour de l’accès à la lecture, notamment pour ceux qui en sont éloignés, à commencer par les jeunes de milieux défavorisés ; c’est pourquoi nous développons nos actions avec les réseaux d'éducation prioritaire (REP).
Cette démocratisation passe enfin par les territoires et l’ensemble des bibliothèques des régions avec lesquelles nous développons des partenariats, pour l’essentiel fondés sur des offres de numérisation.
Le nouveau service BnF-Prêt numérique, qui permet aux titulaires du Pass BnF de lire et d'emprunter des documents au format électronique, a été lancé il y a quelques mois. Est-il utilisé par les usagers ?
Dans le cadre de ce service, nous avons numérisé 14 000 ouvrages qui témoignent d’une grande diversité : fiction, récits de voyage, théâtre, poésie… Le nombre d’inscrits à ce service n’est pas très élevé et celui des emprunteurs actifs n’est pas encore à la hauteur de l’effort consenti : environ 3 700 personnes sur un peu plus de 4 000 inscrits. C’est une forme d'expérimentation qui correspond au rôle de la BnF d’être également présent sur ce segment de la lecture numérique.
Quels sont les chiffres de fréquentation de la BnF ?
À la suite de l’ouverture au public du site Richelieu, le nombre de lecteurs et de visiteurs a considérablement augmenté et s’est élevé à 1,5 million en 2023 sur les sites François Mitterrand et Richelieu : un record ! Ce public est rajeuni, en particulier dans la salle Ovale, et l’on constate que différents profils coexistent.
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Deux ans après la réouverture du site Richelieu, quel bilan en tirez-vous ?
Je tire un bilan extrêmement positif de cette réouverture, aussi bien au niveau de la fréquentation qu'en ce qui concerne l'esthétique et les services. La très nette augmentation de la fréquentation, liée notamment au site Richelieu, illustre notre volonté de faire coexister plusieurs types de publics.
Je souhaite cependant que le taux de fréquentation du musée s’améliore et qu'il soit mieux identifié pour ce qu’il est : un musée illustrant la diversité des collections de la Bibliothèque nationale de France et un musée d’histoire de la Bibliothèque.
L’intelligence artificielle a-t-elle sa place à la BnF et sous quelles formes ?
L’intelligence artificielle a bien entendu sa place à la BnF et elle est au cœur d’un certain nombre d’orientations pionnières depuis quelques années déjà. Elle a d'abord sa place au cœur du métier de bibliothécaire, en particulier pour aider au travail de catalogage et d’identification. Cela doit bien sûr se faire en lien étroit avec les professionnels de la bibliothèque, car l’IA pourrait parfois susciter certaines craintes que nous devons apaiser.
L’IA a également sa place à la BnF pour améliorer le rapport du lecteur avec les documents que nous conservons, notamment pour faciliter la recherche via la découvrabilité. J’ajoute que l’IA est déjà associée à un certain nombre de programmes, comme Gallica, pour améliorer la lisibilité de l’iconographie, par exemple.
La BnF sera également partie prenante de la mise en place de plateformes francophones destinées à alimenter l’intelligence artificielle générative, tout en restant très attentive à la question du respect des droits d’auteur.
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Où en est le consortium Argimi, dont la BnF est partenaire avec l’Ina, et qui vise à développer une IA générative francophone ?
La BnF dispose d’un corpus textuel francophone considérable dont une partie est libre de droits. Ce corpus libre de droits doit servir à nourrir une intelligence artificielle générative qui parle français face aux initiatives qui voient le jour dans le monde.
Il y a quelques mois, le consortium Argimi, dont la BnF est l’un des partenaires, a répondu à un appel à projets concernant la création de communs numériques qui devrait nous permettre d’améliorer nos outils d’OCR. À ce jour, les choses sont en cours d’élaboration. Nous en saurons plus au printemps prochain.
L’adaptation aux évolutions technologiques les plus pointues doit-elle passer par des partenariats technologiques avec des institutions extérieures et des entreprises privées, comme c’est le cas au sein du consortium Argimi avec les start up Artefact, Giskard et Mistral AI ?
Oui, à condition de maîtriser l’objet de la transaction, en l'occurrence notre corpus libre de droit. La Bibliothèque nationale de France doit suivre en responsabilité l’usage de ce corpus ainsi que s’assurer du respect du RGPD et du droit d’auteur.
La bibliothèque numérique Gallica a célébré ses 25 ans en 2023. Quelles sont ses perspectives d’évolution ?
En un quart de siècle, Gallica a déjà connu des évolutions quantitatives et qualitatives considérables. La presse représente environ la moitié des contenus disponibles, mais ce n’est qu’une petite partie de nos collections. Nous allons donc augmenter la numérisation des titres de presse qui ne sont pas encore présents sur Gallica.
L’intelligence artificielle sera mise à contribution pour aider à l’identification des corpus iconographiques et à la transcription de textes. Par ailleurs, Gallica a vocation à s’ouvrir à des partenariats avec d’autres plateformes dans un esprit de partage et d’échange.
La BnF poursuit-elle ses projets de coopération internationale ?
Oui, cela fait clairement partie de ma mission de plein déploiement de la BnF comme vecteur de diplomatie culturelle et scientifique. Cette action doit d’ailleurs dépasser la seule conclusion de conventions bilatérales entre homologues, même si cela doit demeurer important dans la continuité de ce qui a déjà été fait.
Cette diplomatie au service du rayonnement international de notre pays dépasse le cadre de la diplomatie d’influence pour s’inscrire dans une diplomatie de réciprocité et de solidarité qui caractérise notre diplomatie culturelle multilatérale.
Parce qu’elle a mis le cap sur la modernité, la BnF contribue à ce rayonnement, notamment grâce à l’archivage du web, où elle fait figure de précurseur, ou en favorisant au sein du Réseau francophone numérique la mise en place de bibliothèques numériques communes ou de plateformes avec nos partenaires francophones d’Afrique, d’Asie et d’Amérique.
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Dans un contexte de compressions budgétaires, la BnF va-t-elle devoir faire des économies ?
Toutes les institutions font des économies, mais je rappelle que la Bibliothèque nationale de France dispose du premier budget parmi tous les établissements publics culturels de notre pays, avec un montant de 270 millions d’euros. Alors, certes, l’heure est à la maîtrise des dépenses et à la recherche de recettes propres.
Mais, contrairement à ce qui a pu être annoncé, à cette heure - et sous réserve - des ultimes arbitrages de notre représentation nationale, le budget de la BnF a même été augmenté de plus de quatre millions d’euros. Ce qui signifie que l’effort de la République est constant à l’égard d’un établissement dont la vocation première est le service public.