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Votre ouvrage s’ouvre sur le “plan Calcul” lancé par le Général de Gaulle en 1966. Quelle était l’ambition de ce plan ?
L’idée du plan Calcul a été lancée après la vente malheureuse de la société française Bull à la société américaine General Electric. Quelques personnes éclairées ont alors compris que l’informatique allait devenir un enjeu majeur pour l’économie mondiale. On ne pouvait rester les bras croisés tandis que l’informatique était très largement dominée par IBM.
Le gouvernement a décidé de réagir, mais les industriels étaient très frileux et ne voulaient pas voir plus loin que le bout de leur nez. Le plan Calcul a quand même fini par réunir l’État, qui s’engageait par un contrat pluriannuel à financer les recherches, et quelques industriels qui rassemblaient leurs maigres forces. A cette époque, l’État savait réfléchir et s’engager à long terme sur de grands projets industriels : l’atome, l’espace, l’aéronautique, le pétrole, le TGV…
Ces grands projets ont plutôt bien fonctionné et donné des résultats que l’on utilise encore aujourd’hui. Ils avaient une caractéristique commune : ils s’appuyaient tous sur une solide base existante. L’atome a été construit à partir du Commissariat à l’énergie atomique qui existait déjà, l’aéronautique est partie de la longue histoire de Sud-Aviation… En revanche, dans l’informatique on partait de rien.
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Comment s’explique l’échec du plan Calcul ?
Je conteste la thèse selon laquelle le plan Calcul s’est soldé par un échec. Le plan Calcul a été arrêté en octobre 1974 à la suite d’une décision du président Giscard d’Estaing pour des raisons politiques et prétendument financières. Il n’a pas été supprimé parce qu’il avait échoué. Au contraire, il avait réussi dans la mesure où l’on avait créé, sur le modèle d’Airbus, une association Unidata qui aurait pu devenir l’Airbus de l’informatique.
Il était pour le moins curieux de voir un Président réputé pro-européen torpiller dès son arrivée au pouvoir Unidata qui était précisément l’embryon d’une industrie européenne de l’informatique, laquelle, un demi-siècle plus tard, n’a toujours pas vu le jour. Giscard avait suivi à la lettre les conseils égoïstes d’Ambroise Roux, le tout puissant président de la Compagnie Générale d’Electricité (CGE) dont l’objectif était de déstabiliser pour mieux l’avaler Thomson, responsable industriel du plan Calcul. A cet effet, Roux mena une campagne de dénigrement sans précédent contre le plan Calcul et la société industrielle support de l’action, dont il était pourtant actionnaire fondateur !
Le plan Calcul a été remplacé par une opération contre-nature consistant à « confier » l’informatique française à un américain, Honeywell, qui avait entre-temps remplacé General Electric au capital de Bull. Comme prévu, l’échec de cette aberration totale dont la logique m’échappe encore aujourd’hui fut interminable, sans appel et encore plus coûteux en argent public.
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Pourtant Valéry Giscard d’Estaing était polytechnicien comme vous. A ce titre, il devait être sensible aux enjeux de l’industrie…
Il était en effet polytechnicien, mais il a également fait l’École nationale d’administration. Et j’ai pu constater que Valéry Giscard d’Estaing était cent fois plus énarque que polytechnicien !
En revanche, il faut lui reconnaître d’avoir compris assez tôt les enjeux de l’utilisation de l’informatique bien qu’il ait supprimé le plan Calcul et la délégation à l’informatique que je dirigeais. On lui doit notamment le célèbre rapport Nora-Minc sur l'informatisation de la société, publié en décembre 1977. Malgré ses qualités, ce rapport faisait totalement l’impasse sur le sujet essentiel devenu tabou : le volet industriel.
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Vous plaidez pour la reprise en main de notre avenir informatique. Comment faire face aux Gafam ?
Je ne me sens pas capable d’apporter une réponse à cette question car je ne suis plus aux affaires. Et je constate que personne ne sait comment faire, pas même aux Etats-Unis.
S’attaquer de front aux Gafam est très difficile, même pour des pays. Ce qui m’inquiète le plus aujourd’hui, c’est qu’ils dominent aussi le secteur du cloud, c’est-à-dire de l’informatique de demain et que nous sommes en train de perdre la bataille.
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Vous semblez fonder de grands espoirs sur la French Tech et les start-up françaises…
Il existe en effet des start-up qui innovent et l’écosystème numérique français bouillonne. J’en suis ravi ! Il sortira probablement d’autres Gafam des bouillonnements de tous ces écosystèmes, mais sous d’autres formes. La French Tech et ses homologues dans les autres pays sont devenues bien réelles et n’ont plus de difficulté pour lever des fonds propres.
Certaines jeunes pousses se plaignent pourtant de la difficulté à lever des fonds...
Cela a été vrai pendant trop longtemps en France et en Europe, mais aujourd’hui les choses changent. Depuis quelques années, l’on assiste à une moindre frilosité de la part des financeurs et cela coïncide avec l’émergence de la French Tech. C’est donc une bonne nouvelle et c’est la direction dans laquelle il faut aller.
En revanche, il faut s’interroger sur l’origine des fonds qui sont investis dans les start-up françaises. Il semble qu’une partie de ces fonds viennent des Etats-Unis ou d’ailleurs. Nous manquons encore de capital-risqueurs français et européens d’envergure.
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Tout le monde parle du cloud souverain français et européen, mais nous en sommes encore loin…
Malheureusement oui. Il y a eu quelques tentatives qui n’ont rien donné et pendant ce temps-là Amazon, Microsoft et Google Cloud ont pu dérouler le tapis. A eux trois, ils possèdent la très grande majorité du marché mondial. Pour l’Europe, ne pas exister dans le cloud aujourd’hui est autant et peut-être encore plus préjudiciable qu’il y a cinquante ans lorsque nous n’avions pas de gamme d’ordinateurs compétitive en face de la gamme 360 d’IBM.
Ce qui est grave, c’est qu’au-delà du stockage des données, les Gafam proposent la puissance de calcul et les logiciels.
Nous avons pourtant en France, avec OVH, une entreprise performante. Mais elle n’a pas encore la taille critique et il faut l’aider à l’acquérir.
Votre livre évoque la reconquête. Quelle forme cette reconquête doit-elle prendre ?
Cette reconquête doit prendre plusieurs formes à commencer par le cloud qui est vital. Elle doit également passer par la maîtrise de l’intelligence artificielle si la France et l’Europe ne veulent pas se laisser enfermer dans des effets de domination.
Je pense également au volet de la cybersécurité qui a déjà une importance colossale et qui est amenée à prendre toujours plus d’importance dans l’avenir.
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Que vous inspire la campagne électorale dans le domaine de la souveraineté technologique de la France ?
Je constate que ce sujet n’intéresse malheureusement pas grand monde. Et quand on en parle, on ne pose pas la question des moyens pour parvenir à cette souveraineté. Tout en étant de sensibilité libérale, je pense que l’on ne peut pas se passer d’avoir une grande politique industrielle parce que d’autres le font avec grand succès.
La notion de politique industrielle a été bannie pendant ces trente dernières années aussi bien à Paris qu’à Bruxelles. On a laissé faire le marché en pensant que ce que le marché faisait était parfait. Résultat : la France souffre aujourd’hui d’un déficit commercial colossal. Car quand on ne produit rien, on a mécaniquement un déficit commercial.
Nous devons donc rebâtir une industrie. Mais pas celle d’antan, celle du futur.
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A la faveur de la crise sanitaire, le thème de l’industrie est pourtant revenu sur le devant de la scène…
Il est en effet abordé, mais je suis frappé de voir que les questions industrielles ne sont jamais posées dans les études d’opinion. Si la question du pouvoir d’achat est légitime, il faut également poser la question de l’industrie capable d’améliorer ce pouvoir d’achat. Or, la question de l'industrie apparaît comme une simple variable d’ajustement alors qu’il faut accomplir un effort gigantesque sans sombrer dans des luttes idéologiques ridicules.
Je constate par ailleurs que la crise sanitaire du Covid-19 a eu un effet de révélateur sur les besoins de réindustrialisation de la France. Cette pandémie aura au moins servi à cela.
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