"un règlement qui chasse le public d’une bibliothèque est mauvais"

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Marielle de Miribel est conservatrice en chef de bibliothèque, en poste au Centre régional de formation aux carrières des bibliothèques de la région Île-de-France Mediadix. Elle est également l’auteure de « Accueillir les publics, comprendre et agir » paru aux éditions du Cercle de la librairie en 2009.

La question de l’accueil des publics en bibliothèque est souvent discutée depuis quelques années. Est-il possible de dresser un état des lieux?

Les bibliothèques constatent une baisse importante de leur fréquentation. Nous sommes à un carrefour et les bibliothécaires savent que la qualité de la relation est au centre de la fidélisation. Les bibliothèques de lecture publique ont réfléchi à la question de l’accueil bien avant les bibliothèques universitaires et les bibliothèques spécialisées. Elles ont développé des compétences que sont en train d’acquérir les bibliothèques universitaires. Il existe désormais une volonté de se concentrer sur les publics et plus seulement sur les collections. S’intéresser aux publics est une démarche marketing qui revient à se préoccuper des besoins du public afin d’adapter les services à ces besoins. Il s’agit de passer d’une démarche de l’offre à une démarche de la demande. Les bibliothécaires doivent repérer des microcibles d’usagers et satisfaire leurs besoins en terme de collections, de services, d’aménagement des espaces. Toute la difficulté est de satisfaire un public hétérogène dont les besoins sont parfois antinomiques.

Lors du congrès de l’ABF 2008 consacré aux adolescents et aux jeunes adultes, de nombreux bibliothécaires ont fait part de leur étonnement face à certains comportements : usage du téléphone mobile en salle de lecture, discussions à voix haute… Faut-il prendre ces usagers comme ils sont ou bien imposer le règlement intérieur?

Un règlement qui chasse le public est un mauvais règlement… Le règlement doit être en lien avec les objectifs stratégiques de la bibliothèque. Il doit être conçu dans la culture de la bibliothèque et modifié quand il n’est plus en phase avec cette culture.

Cela veut-il dire qu’on doit laisser les usagers téléphoner en salle de lecture?

Entre tout et rien il y a un aménagement possible. Si un usager reçoit un appel en mode vibreur il doit pouvoir disposerd’un endroit adéquat pour prendre son appel en dehors de la salle de lecture.

Constatez-vous un regain de tensions, voire de conflits dans les bibliothèques?

Quand il y a un conflit, c’est que les valeurs des uns sont incompatibles avec les valeurs des autres. À partir de là, un travail de réflexion sur les raisons de ce conflit devient nécessaire. Le conflit éclate lorsque l’image que les bibliothécaires se font de leur établissement ne correspond plus aux besoins des usagers. Les bibliothécaires constatent souvent que les usagers viennent en bibliothèque avec leurs propres documents sans utiliser les collections. Pour le bibliothécaire qui passe un temps important à acquérir des collections, à les traiter et à les mettre en rayon, c’est frustrant… mais c’est la réalité. Le bibliothécaire doit s’adapter aux multiples usages de la bibliothèque.

Les bibliothèques sont-elles en passe de devenir des lieux de vie?

Beaucoup de bibliothécaires sont choqués que les bibliothèques deviennent des lieux de vie alors que pour eux ce sont des lieux d’information et de savoir. Les deux ne sont pas incompatibles. Pour que la bibliothèque ait du succès, il faut la voir du point de vue des lecteurs, les interviewer, les connaître et les comprendre. Il faut trouver le bon positionnement.

Les formations actuelles tiennent-elles compte de ces évolutions?

Être professionnel de la relation n’est pas enseigné dans les cursus de bibliothécaire et c’est dommage. C’est peut-être pour cela que mon livre (1) dérange un peu car il propose des compétences relationnelles qui ne sont pas dispensées dans les formations classiques. C’est un travail sur soi de longue haleine.

Selon l’Observatoire de la vie étudiante, la fréquentation des bibliothèques universitaires est en baisse régulière depuis 1997. Si les étudiants ne viennent plus en bibliothèque, faut-il aller les chercher et comment?

Le premier réflexe d’un étudiant qui est à la recherche d’informations est d’aller sur Google… Quand il vient en bibliothèque universitaire, c’est pour toutes sortes de raisons : consulter sa messagerie, naviguer sur internet… bref un mélange de vie étudiante et de vie privée. Pour faire venir ce type d’usager, il faut proposer des services adaptés à ses besoins. En Suède par exemple, la bibliothèque pour la jeunesse d’Orebrö offre des services qui ne sont pas exclusivement dédiés à la jeunesse : possibilité d’emprunt rapide pour les adultes accompagnés d’enfants, ressources pour un public qui ne viendrait pas sans cela…

Dans votre livre, vous abordez la question du rôle des émotions dans le rapport au public. De quoi s’agit-il?

Les bibliothécaires doivent souvent faire face à une « émotion authentique » qui appelle une réaction adaptée. Une « émotion authentique » est une réponse psychologique, inconsciente et instantanée à un stimulus qui vient de l’extérieur. Dans le cadre de leur métier, les bibliothécaires peuvent être amenés à éprouver du stress, de la peur ou de la colère. Ils vont alors plus se préoccuper de gérer leur propre peur que de gérer la colère de l’usager : c’est humain. Alors, comment gérer la colère d’un usager ? Par l’écoute et à la prise au sérieux. Si personne n’écoute cette colère, celle-ci va se muer en rage. Gérer ce type d’émotion s’apprend. Nous devons rééduquer nos antennes émotionnelles pour comprendre et être en phase avec ce qui se passe dans notre environnement. Je constate d’ailleurs que les bibliothécaires sont de plus en plus demandeurs de formation en éducation émotionnelle. Nous devons répondre à cette demande.

De plus en plus de bibliothèques disposent de portails numériques. L’accueil virtuel se fait-il au détriment de l’accueil physique?

Non. Nous sommes en face d’une hétérogénéité des publics et de besoins. Les bibliothèques doivent désormais être pensées d’un point de vue physique et virtuel. L’un n’exclut pas l’autre.

Comment organiser et présenter les nouveaux formats numériques?

Cela dépend du type de bibliothèques et des moyens dont elles disposent. Certaines font figure d’exemple : elles possèdent des blogs, des comptes Facebook et multiplient les services à distance. Mais elles n’ont pas les moyens des grandes firmes multimédias et il leur est difficile d’être en avance sur leur temps.

Qui doit dire « bonjour » en premier : le bibliothécaire ou l’usager?

Le bibliothécaire car c’est lui qui accueille l’usager. Comme le dragon des Hespérides, il protège ce qui est à l’intérieur de la bibliothèque.

 

 

(1) Accueillir les publics, comprendre et agir. Marielle de Miribel. Éditions du Cercle de la librairie, 46 euros.

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Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.