La dématérialisation ? Tout le monde doit s’y mettre. Le cloud computing ? C’est l’avenir. De fait, nombreuses sont les études de cabinets spécialisés pour voir dans l’informatique dans les nuages une source assurée de croissance pour les prochaines années. Encouragés par ces perspectives, les éditeurs multiplient leurs offres cloud ou à la demande. Le marché commence à afficher des chiffres prometteurs. Pour une fois, s’agissant des technologies de l’information, les petites structures semblent adhérer plus rapidement que les grands comptes. Mais difficile de taire les risques.
Sommaire du dossier :
- Steve Wozniak prophétise "de gros problèmes" avec le cloud
- Les conseils de la Cnil
- Pierre Patuel : "Attention au stockage des factures dans le cloud !"
- Côté solutions grand public et PME
- Les éditeurs sur un petit nuage
- L'Etat s'engage dans le cloud
Au printemps dernier, une étude du cabinet Gartner sonnait le tocsin : le cloud pourrait entraîner le déclin progressif de l’ordinateur individuel en tant que système central. Ce constat portait avant tout sur l’informatique personnelle et la tendance de nombreux utilisateurs à recourir aux nuages pour stocker leurs données personnelles. Mais la tendance s’observe aussi dans le monde des entreprises. Elles sont de plus en plus nombreuses à s’y intéresser et pour certaines d’entre elles à succomber aux promesses d’une meilleure vie numérique dans les nuages.
Selon une enquête menée en France par NetMediaEurope auprès de 200 entreprises de 10 à 5 000 salariés, le mouvement est désormais bien enclenché. Surtout du côté des petites entreprises : 36 % des sociétés de 10 à 99 salariés ont déjà adopté le stockage dans les nuages alors qu’elles ne sont que 25 % pour celles qui dépassent les 1 000 salariés. Ces dernières sont cependant plus nombreuses (30 %) à planifier une migration prochaine contre 22 % pour les petites. Au total, le cloud semble séduire les entreprises qui ont franchi le pas puisque seulement 9 % d’entre elles se disent insatisfaites.
Une autre étude, menée à l’échelle internationale, confirme la tendance. Le cabinet Cloudability a enquêté auprès de 3 200 entreprises situées dans 80 pays. Son constat : la moitié d’entre elles ont déjà opté pour le mode Saas (hébergement de logiciels en ligne). Cette migration dans les nuages est particulièrement vraie pour les services de messagerie ; elle est moins marquée pour la facturation ou le CRM qui, à ce jour, ne séduisent qu’environ un quart des entreprises interrogées. Au final, l’étude réalisée par le cabinet Cloudability fait apparaître qu’une entreprise utilise en moyenne 4,2 services dans les nuages.
degré de confiance
Pour Eric Gremillon, directeur du développement chez Xerox France, la tendance s’observe surtout auprès des petites et moyennes entreprises : "Nous constatons un engouement auprès des PME et PMI qui sont à la recherche de solutions de numérisation, d’indexation et de mise à disposition de leurs documents dans le cloud. Cela leur permet d’accéder à leurs données via une simple connexion sécurisée. En revanche, l’engouement est plus contrasté pour les grands comptes qui possèdent leurs propres structures informatiques. Le passage à l’acte est vrai pour les factures, mais il est moins vrai pour les contrats, par exemple".
Le degré de confiance dans le cloud pourrait d’ailleurs être analysé à la lumière de la fameuse ligne de factures entre cultures latine et anglo-saxonne, selon Eric Gremillon : "Les entreprises nord-américaines, anglaises ou d’Europe du Nord sont passées depuis un certain temps au cloud. En France, les entreprises veulent s’assurer que leurs données sont bien hébergées dans le cloud… en France ! Cela est même parfois stipulé dans les contrats".
Face aux demandes de ses clients, Xerox propose des services de dématérialisation et d’automatisation de gestion documentaire : traitement des documents entrants, numérisation, indexation et transfert des informations vers de services de Ged et de stockage dans les nuages. Le service a un coût qui peut être facturé en fonction du volume de données ou selon la fréquence d’utilisation et le nombre d’utilisateurs disposant de droits d’accès (abonnement au clic).
le phénomène n’est pas récent
Du côté de Tessi, spécialiste en dématérialisation du document d’entreprise, Eric Jamet fait valoir que le succès de la dématérialisation documentaire dans le cloud repose "sur trois facteurs déterminants : le développement des infrastructures d’hébergement, la normalisation légale et réglementaire des formats de documents numériques et la maturité des outils de signature électronique". A ses yeux, le phénomène n’est pourtant pas récent puisque l’univers de la banque y a recours depuis plusieurs années déjà avec la numérisation des chèques en agence et leur téléversement dans les nuages via une connexion internet sécurisée.
"Aujourd’hui, des solutions dérivées sont disponibles à destination des clients des banques. Ces derniers – les remettants – peuvent automatiser les tâches d’enregistrement, de comptabilisation et de remise en banque de leurs encaissements".
Selon Tessi, les pratiques de dématérialisation dans les nuages gagnent d’autres objets documentaires tels que les dossiers et les contrats (clients, crédit, abonnement). Les acteurs de la distribution et les opérateurs télécoms sont de plus en plus nombreux à l’adopter. La tendance devrait même s’accélérer sous l’effet d’un triple mouvement : la généralisation de documents nativement numériques, le développement des processus de signature de e-contrats, le déploiement de plateformes applicatives dans les nuages.
Pour autant, la question de la sécurité des données hébergées n’a pas disparu selon Eric Jamet : "La confidentialité et la lutte contre la fraude au document numérique restent des points sensibles lors de la mise en œuvre de telles solutions".
les réticences sont en train de sauter
Cette question de la confidentialité des données constitue en effet une pierre d’achoppement pour certaines entreprises. Mais il semble que les lignes bougent selon Mehrad Rushenas, co-fondateur et directeur général d’Avanteam : "Les entreprises sont très sensibles à la protection de leurs données, mais ces réticences sont en train de sauter. Depuis environ deux ans, le marché du cloud s’accélère et nous n’avons plus besoin d’évangéliser. Nos clients, en particulier les PME-PMI, ont compris les avantages qu’ils pouvaient tirer de l’informatique dans les nuages : accès à des solutions puissantes sans avoir à entretenir de coûteux services informatiques, ajustement de la prestation en termes de capacité de mémoire et d’ouverture de droits d’accès aux documents, clause de réversibilité permettant le rapatriement des données sur un serveur interne…".
Editeur de solutions de gestion de documents, Avanteam propose depuis le début de l’année une offre de dématérialisation dans le cloud en partenariat avec Microsoft. Le bouquet Avanteam Online et la plateforme Windows Azure de Microsoft reposent en particulier sur une redondance des applications sur plusieurs serveurs dispersés sur plusieurs zones géographiques : "En cas de souci sur un serveur, un autre prend le relais, précise Mehrad Rushenas ; la solution est transparente pour le client qui peut ainsi poursuivre ses activités en toute sécurité".
Dans la région lyonnaise, le Cluster Edit, un regroupement des éditeurs de logiciels de Rhône-Alpes, et la Chambre de commerce et d’industrie de Lyon travaillent sur le projet SI PME SaaS. Parmi ces éditeurs, Azur Technology proposera début 2013 l’ensemble de ses services dans les nuages, sur ses propres plateformes situées en Suisse, ou chez un hébergeur français si le client l’exige. "Un client pourrait donc, s’il a une problématique de factures fournisseurs par exemple, n’avoir chez lui qu’un scanner pour numériser ses factures et tout le reste serait opéré par nos services, indique Jean-Louis Sadokh, PDG d’Azur Technology ; une fois numérisée, la facture serait reconnue et ses données lues automatiquement par notre plateforme de lecture automatique de document. Les informations récupérées iraient alors alimenter l’ERP du client qui pourrait consulter cette facture depuis un navigateur web".
A l’avenir, la stratégie d’Azur Technology passe donc par le cloud, "mais plus pour cibler certains marchés ou pour répondre à des problématiques particulières d’entreprises qu’avoir une offre complémentaire", précise Jean-Louis Sadokh.
un marché de 2 milliards d’euros en 2012
Cependant, certains éditeurs préfèrent voir le marché du cloud prendre forme avant de l’investir. C’est le cas d’Athic, société spécialisée dans la gestion des flux entrants multicanal, qui, à ce jour, ne propose pas d’hébergement de données dans les nuages. "Nos clients bancaires ne sont pas demandeurs de cloud de données en raison des contraintes juridiques en vigueur. En revanche, l’hébergement de logiciels en ligne (mode SaaS) se répand dans le milieu de la banque depuis plusieurs années déjà", souligne Joël Quéré, directeur du développement. Au Brésil, où Athic est très présent, les banques privilégient l’hébergement de leurs données sur des serveurs internes.
On le voit, les éditeurs présents sur le marché sont en ordre de marche. Les perspectives sont alléchantes : les dépenses liées aux services de cloud devraient atteindre plus de 165 milliards d’euros d’ici 2016 selon une estimation du cabinet Gartner. Soit près de 90 % d’augmentation par rapport au montant prévu pour l’année 2012. Le marché français, quant à lui, devrait franchir la barre des 2 milliards d’euros cette année.
Steve Wozniak prophétise "de gros problèmes" avec le cloud
Au mois d’août 2012, Steve Wozniak, le cofondateur d’Apple, n’a pas hésité à prendre l’opinion publique à contre-pied pour dire tout le mal qu’il pensait du cloud : "Je suis vraiment inquiet de voir que l’on met tout dans le cloud. Je pense que ça va être terrible. Le cloud va être la source de beaucoup de gros problèmes dans les cinq prochaines années".
La déclaration de ce pionnier de l’informatique n’a pas manqué de provoquer de nombreuses réactions à l’heure où le cloud triomphe, mais Steve Wozniak enfonce le clou : "Avec le cloud, on est dépossédé de tout. On signe pour ne plus posséder quoi que ce soit. Plus on transfère de choses sur le web, dans le cloud, moins on aura le contrôle sur elles".
Ce n’est pas la première fois que Steve Wozniak dénonce l’hébergement de données dans les nuages. Quelques semaines auparavant, il avait également critiqué les pratiques des entreprises spécialisées dans le cloud : "Nous abandonnons tous nos droits. C’est une évolution vers un système de licences (idéal pour les monopoles) qui va remplacer un système où l’on achète et où l’on détient réellement quelque chose. Etant donné qu’on est dépossédé de ce bien, il peut disparaître ou changer, sans préavis".
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a récemment publié une série de recommandations à destination des entreprises tentées par le cloud. Ces conseils doivent être lus avec attention, en particulier par les dirigeants de PME, car le cloud recouvre en réalité une variété de services et de fonctionnalités. La Cnil recense en effet plusieurs formes de services liés à l’informatique en nuage :
- hébergement d’infrastructures (Iaas, Infrastructure as a service)
- fourniture de plateformes de développement (Paas, Platform as a service)
- fourniture de logiciels en ligne (Saas, Software as a Service)
Ces différentes prestations peuvent être proposées dans des installations publiques (service partagé entre différents clients), privées (service réservé à un seul client) ou hybrides.
Selon la Cnil, la standardisation des offres et les contrats d’adhésion proposés par les spécialistes du cloud « laissent peu de marge de négociation aux clients ». La Commission pointe en particulier le déficit d’informations relatives aux mesures dédiées à la sécurité et la confidentialité des données traitées pour le compte des clients. Il est par exemple difficile de savoir si les données transitent par des serveurs situés à l’étranger…
Avant de décider une migration dans les nuages, les entreprises auront tout intérêt à suivre les nombreuses recommandations de la Cnil :
- identifier clairement les données et les traitements qui transiteront dans le cloud
- définir ses propres exigences de sécurité technique et juridique
- conduire une analyse de risques afin d’identifier les mesures de sécurité essentielles pour l’entreprise
- identifier le type de cloud pertinent pour le traitement envisagé
- choisir un prestataire présentant des garanties suffisantes
- revoir la politique de sécurité interne
- surveiller les évolutions dans le temps
A noter que la Commission nationale de l’informatique et des libertés met également à disposition des entreprises des modèles de clauses contractuelles.
Cnil