La Foire du Livre de Francfort est devenue depuis quelques années le principal rendez-vous européen de l’innovation dans le domaine de l’édition. D’une foire où se négociaient principalement les droits des ouvrages, cet événement est aujourd’hui une formidable vitrine pour l’ensemble de l’écosystème éditorial et un excellent observatoire des tendances de l’industrie de l’information et de la connaissance. Synthèse, par le GFII, des tendances observées lors de l’édition 2014.
1 - internationalisation des stratégies et localisation des offres
Alors que dans le domaine professionnel, l’internationalisation des grands groupes est une réalité depuis de très nombreuses années, la Foire de Francfort 2014 est marquée par des annonces d’éditeurs majeurs généralistes illustrant leurs stratégies d’implantation dans des bassins linguistiques variés. On retiendra ainsi l’annonce de l’acquisition de Harlequin par HarperCollins : avec un seul achat, HarperCollins pénètre 15 marchés étrangers et acquiert une expertise sur ces marchés. Bill Murray, le PDG d’HarperCollins résume ainsi sa stratégie lors d’une des conférences phares de la Foire : « Le numérique est une réelle occasion d’aller au-delà de la langue anglaise ».
Parallèlement aux stratégies de ces grands groupes, les éditeurs non anglophones proposent de plus en plus de traductions en anglais. Enfin, le signe le plus significatif de cette tendance est l’annonce du déménagement des éditeurs de langue anglaise du hall 8 et leur intégration au centre de la Foire : la distinction par bassins linguistiques a de moins en moins de sens.
Concernant le secteur de l’édition scientifique, on notera la forte communication de Thomson Reuters pour promouvoir les Regional Citation Index, réservés pour le moment au Brésil, à la Russie, à l’Inde, la Chine et la Corée.
2- Big data dans l’édition : data driven marketing et enrichissement
La vague du big data touche également cette année le secteur de l’édition à Francfort. La thématique est présente dans les conférences sous deux aspects.
Le premier concerne l’analyse des données des lecteurs dont peuvent aujourd’hui disposer les gestionnaires de plateformes et les éditeurs. Le PDG de la société Kobo dévoile notamment une étude sur le sujet (Publishing in the Era of Big Data). L’analyse des données est un facteur de compétitivité, de productivité et d’innovation. Elle permet notamment la mesure de « l’engagement des lecteurs » : qui lit quoi, quelles sont les formes d’interaction avec le contenu, quels sont les ouvrages qui sont lus (et relus), à quel moment le lecteur décroche, quels sont les « pages turners » (les ouvrages que l’on ne peut d’arrêter de lire et qui seront probablement les futurs best-sellers), quels sont les ouvrages qui ont été les plus lus dans une série… L’exploitation de ces données pose de multiples questions qui n’ont pas été abordées à Francfort. Il en est ainsi de la question des données personnelles et de l’anonymisation de ces données, la question de la propriété de ces données, le risque d’une écriture uniformisée dictée par l’analyse de l’audience…
Enrichir les contenus, améliorer la visibilité
Le second sujet relié à la thématique du big data concerne l’enrichissement des contenus traditionnels de l’édition par des contenus d’autres univers. Ce sont par exemple les avis sur les réseaux sociaux, contenus multimédias, bases de données… L’enrichissement des contenus et l’amélioration de leur visibilité, notamment via les technologies du web sémantique, ont été au cœur de nombreuses conférences. Il est à noter que les éditeurs généralistes se saisissent progressivement du sujet, auparavant confiné au hall 4.2 dédié à l’édition scientifique et professionnelle.
3 - Innovations dans le digital publishing
Le HTML 5 devient plus qu’un langage, une véritable plateforme. Les outils de publication se sont adaptés et un véritable écosystème émerge autour de la publication crossmedia. De très nombreuses solutions innovantes sont crées pour la publication multicanal : des solutions applicatives (Adobe InDesign CC), des outils pour démocratiser la production d’ePub sans code (PubCoder), de nouvelles chaînes de production XML (Pagina, Le-Tex) jusqu’aux plateformes de production complètes (Typefi Publish, Aquafadas, Jouve Studio).
Faisant le lien avec les problématiques liées au big data, des éditeurs proposent de nouvelles bases de stockage facilitant le croisement intelligent des données et de nouvelles formes de navigation dans les contenus (Marklogic). Des fournisseurs de technologies sémantiques se greffent aux workflows existants pour faciliter la publication dynamique et les enrichissements dès la création des contenus (Temis, OntoText).
4 - Stratégies de diffusion sur les réseaux sociaux
Déjà présente en 2013, la thématique des réseaux sociaux est très visible en 2014, avec des solutions destinées aux éditeurs ou aux auteurs pour valoriser leurs écrits via les médias sociaux. On mentionnera notamment TwoReads, plateforme de recommandation et de découverte pour les ouvrages hors littérature, ou Bookbridgr, un service de presse destiné aux blogueurs.
De nombreux éditeurs développent de vraies stratégies de long terme sur les réseaux sociaux, en travaillant notamment à susciter et alimenter des communautés de « fans » autour d’un auteur ou d’une collection.
Réseaux sociaux pour chercheurs
Dans le domaine professionnel et notamment dans l’édition scientifique, des exemples multiples de réseaux sociaux dédiés aux communautés de chercheurs sont présentés. La société Kudos propose ainsi des outils destinés aux éditeurs, mais également aux chercheurs pour augmenter leur visibilité sur le web, développer le nombre de téléchargements des articles et ainsi multiplier le nombre de citations. De nombreux démonstrations et exposés d’éditeurs comportent un volet dédié à Altmetrics. C’est une plateforme permettant de mesurer l’audience d’un article ou d’un jeu de données sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Google+, Pinterest, blogs…), sur les médias traditionnels mainstream (The Guardian, The New York Times) ou spécialisés. Cela y compris dans les sphères non anglophones, sur les outils de référence comme Mendeley et CiteULike.
On notera également la forte présence de Frontiers, un éditeur open access ayant lancé un réseau social en 2012 pour adosser ses revues à des communautés disciplinaires, dont la stratégie a été récompensée par l’attribution du prestigieux ALPSP Gold Award « Innovation in publishing ».
5 - Généralisation de l’open access et maturité des réflexions
Pour la première fois à Francfort, la quasi-totalité des éditeurs du hall 4.2 communique très clairement sur leurs politiques d’open access. La thématique est présente dans de nombreuses conférences, dont une session particulièrement remarquée organisée par le Copyright Clearance Center (CCC) qui a rassemblé pendant deux heures une quinzaine de représentants d’éditeurs et d’instituts de recherche.
Les intervenants soulignent tous le caractère irréversible du mouvement. Pour certains, la question est désormais de savoir quand la totalité de la production scientifique issue de la recherche publique basculera en open access. Parmi les questions vives abordées, celles de la pérennité des modèles économiques, le besoin de transparence dans le système du peer reviewing, le besoin de clarification et de définition des concepts, la nécessité d’utiliser les standards dès la soumission des articles (via Orcid, FundRef, les DOI)…
Cette conférence est l’occasion pour le CCC de présenter l’infrastructure que l’organisation propose aux agences de financement, instituts de recherche et éditeurs pour gérer les APC (Article processing charges) de la soumission à la publication des articles.
6 - Le smartphone : un outil privilégié pour la lecture des ebooks
Une étude de Publishing Technology (2) a été dévoilée à la Foire du Livre de Francfort. Elle concerne les tendances de la lecture des ebooks sur mobile. Réalisée aux États-Unis et au Royaume-Uni, elle montre que 43 % des personnes interrogées ont lu une partie d’un livre numérique sur un téléphone mobile. Les deux premiers lieux de lecture sont les transports et la maison (47 % dans les deux cas). 32 % des personnes interrogées indiquent qu’elles lisent régulièrement des livres entiers sur leur mobile et 44 % qu’elles lisent une partie du livre sur leur mobile, mais qu’elles continuent la lecture sur un autre support. L’étude constate également qu’Android est le premier OS utilisé pour les usages B2B et iOS le premier système d’exploitation utilisé pour les usages B2C.
Ordinateur, smartphone et tablette
De nombreuses applications sur mobile sont présentées à Francfort, notamment dans l’édition professionnelle. On citera les Apps de Wolters Kluwer pour les médecins et les infirmières : l’intervention souligne que les usages des contenus en ligne sont à 50 % sur des ordinateurs, 29 % des smartphones et 21 % des tablettes. L’intervention conclue ainsi : plus les utilisateurs ont de terminaux, plus ils interagissent avec les contenus.
Un autre exemple d’application mobile professionnelle, Researchpad, permet de découvrir et de lire des articles scientifiques, des contenus open access et des contenus d’éditeurs ayant conclu des accords avec la plateforme sur mobile.
7 - Autres tendances
L’édition 2014 a confirmé des tendances en germe depuis plusieurs années. Parmi les autres sujets qui méritent un signalement : les chiffres clés de l’édition, le crowdfounding adapté à l’édition, le développement de l’autoédition, la place d’Amazon et les réactions des professionnels, la présence de Samsung, la place croissante de la Chine dans l’édition professionnelle…
Ruth Martinez
[déléguée générale du GFII]
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+ repères
voyage d’études du GFII
Le GFII a organisé du 8 au 10 octobre 2014 son neuvième voyage d’études à la Foire de Francfort, auquel 11 professionnels ont participé.
La présentation « Retours de Francfort » (57 slides avec des chiffres clés) est disponible sur demande auprès du secrétariat du GFII : gfii@gfii.fr.
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+ repères
chiffres clés de la Foire de Francfort 2014
Les habitués de la Foire ont constaté une légère baisse de fréquentation, avec tout de même 270 000 visiteurs. 7 200 exposants de plus de 100 pays ont participé à cette édition dont l’audience internationale s’est développée avec 65 % d’exposants internationaux (contre 50 % en 2011).
9 000 journalistes couvrent cet événement.