Le droit d'auteur suscite en France des débats passionnés entre partisans de la réforme et promoteurs du statu quo. Un débat qui va bien au-delà de sa dimension juridique et qui touche à la circulation des connaissances à l'ère numérique.
Est-ce la bataille des anciens contre les modernes qui se rejoue en 2016 ? Le débat sur le droit d'auteur enflamme les esprits et risque bien de prendre de l'ampleur dans les semaines qui viennent.
Il faut revenir une quinzaine d'années en arrière pour en trouver l'origine. Précisément en 2001 avec la publication de la directive européenne sur le droit d'auteur et les droits voisins qui visait à adapter ces droits à l'ère numérique. Ce texte avait alors pour ambition d'harmoniser les délais de protection d'une oeuvre à l'échelle européenne ; il prônait également un régime d'exception dans le cadre des activités éducatives et de recherches. Il allait même plus loin en réclamant un autre régime d'exception en faveur des bibliothèques afin que celles-ci puissent prêter des livres sous format numérique au public quel que soit le lieu d'accès.
Depuis, l'on assiste à une guerre "front contre front" entre réformateurs du droit d'auteur et partisans du statu quo.
Une évolution, pas une révolution
Le camp des réformateurs compte de nombreux partisans jusqu'au plus haut niveau de l'administration européenne. Pour Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne, et Günther Oettinger commissaire pour la société numérique, le droit d'auteur doit être revu et corrigé :
"Nous savons que le droit d'auteur suscite des débats passionnés. Il faut être clair et pragmatique : le droit d'auteur est l'un des fondements de la créativité et de la diversité culturelle, de même que le principe de la juste rémunération des créateurs dans un environnement numérique. C'est pourquoi nous voulons une évolution, pas une révolution".
Le milieu infodocumentaire s'est en partie aligné sur cette position. Notamment l'IABD (Interassociation archives bibliothèques documentation) qui veut "permettre aux bibliothèques et aux services d'archives ou de documentation de poursuivre dans l'univers numérique leurs missions d'intérêt général d'accès à la connaissance et la culture".
L'IABD se prononce en faveur du "droit de panorama", c'est-à-dire la possibilité de diffuser des photographies ou vidéos d'oeuvres - essentiellement architecturales - visibles en permanence dans l'espace public. L'association demande également l'autorisation du text mining et du data mining afin de collecter automatiquement des données dès lors que l'utilisateur a la permission de lire l'oeuvre ainsi exploitée.
Libre circulation de la connaissance
Autres partisans d'une réforme du droit d'auteur, le collectif SavoirsCom1 va bien plus loin dans ces doléances :
"La modernisation du droit d'auteur, aujourd'hui dysfonctionnel, ne constitue qu'une petite partie des questions que nous traitons. Nous agissons aussi pour la mise en valeur du domaine public et des droits d'usage qu'il garantit ou pour l'utilisation des licences libres qui favorisent la mise en partage des logiciels, des créations ou des données".
Le collectif rappelle que la libre circulation de la connaissance figure dans son ADN :
"SavoirsCom1 a été fondé à l'origine par des professionnels des bibliothèques et de la documentation qui étaient naturellement engagés dans ces questions. Pouvoir accéder à la culture et à la connaissance constitue un droit de l'homme à part entière, mais son exercice reste trop souvent entravé par de nombreuses barrières économiques, juridiques ou techniques".
Parmi les sujets qui fâchent, la question de la rémunération des auteurs est au coeur du débat. Selon une récente étude réalisée à partir des données de l'Agessa (la sécurité sociale des auteurs), 87 % des auteurs touchent moins de 4 000 euros en droits par an. Résultat : seulement 5 % d'entre eux sont en mesure de vivre de leur plume !
Une autre étude du ministère de la Culture souligne que 67 % des auteurs ont une autre activité professionnelle pour subvenir à leurs besoins. Un constat qui conduit SavoirsCom1 à militer pour un modèle de contribution qui permettrait de rémunérer les artistes tout en autorisant le partage des oeuvres et les usages transformatifs :
"Il est de plus en plus difficile de distinguer les amateurs des professionnels et nous avons aujourd'hui une situation paradoxale avec des amateurs qui vivent de leurs créations et des professionnels qui n'en vivent pas. Cela appelle à repenser en profondeur la distribution des revenus !"
La gratuité, c'est le vol !
Aux antipodes de ces positions, le Syndicat national de l'édition (SNE) s'insurge :
"Faire du droit d'auteur l'exception et le droit à piller la règle : tel est le projet défendu par la Commission européenne et le futur projet de loi français sur le numérique". Pour le SNE, les ambitions philanthropiques de la révision du droit d'auteur dissimulent en réalité des intérêts bien plus opportunistes : "Au nom d'une prétendue modernité, les banques de données des géants du web profiteront d'exceptions élargies et exproprieront les auteurs".
Le Syndicat national de l'édition a confié à l'avocat Richard Malka le soin de mener le combat contre la révision du droit d'auteur. Dans un ouvrage librement téléchargeable et intitulé "La gratuité, c'est le vol", Richard Malka écarte toute idée de régime d'exception au profit des bibliothèques :
"Si, au travers d'une nouvelle exception, l'inscription à une bibliothèque permettait d'accéder à des livres numériques sans aucune limitation de durée ou de nombre de lecteurs simultanés d'un même titre, pourquoi un usager continuerait-il d'acheter des livres numériques, voire des livres imprimés ? La légalisation du piratage aboutirait au même résultat".
Aux yeux de l'avocat, les bibliothèques doivent plutôt rejoindre le dispositif PNB... en dépit des nombreuses critiques formulées par une partie des bibliothécaires à l'encontre du Prêt numérique en bibliothèque. Dans le même esprit, Richard Malka est défavorable à la possibilité de consulter des oeuvres numérisées hors des murs de la bibliothèque :
"Cela reviendrait, par exemple, à permettre la consultation des ouvrages de la Pléiade à tous les étudiants et chercheurs de France, sans contrepartie pour les auteurs".
Quant aux pratiques de data mining (fouille de données), elles aussi font l'objet d'un refus catégorique. La possibilité de procéder à des extractions d'oeuvres protégées pour en produire de nouvelles données n'est tout simplement pas envisageable :
"Une telle exception au droit d’auteur n’est nullement nécessaire alors que les éditeurs autorisent déjà l’usage de leurs banques de données dans le cadre de licences contrôlées", fait valoir l'avocat.
A ce jour, les positions sont tranchées et chaque camp se livre à une bataille d'influence auprès des parlementaires, des associations professionnelles et des usagers. Le débat déborde largement des frontières françaises et l'issue pourrait se jouer dans les mois qui viennent à l'échelon européen.