Article réservé aux abonnés Archimag.com

Le droit à l’image des objets d’art et l'exception de panorama : quelles sont les obligations des professionnels et des particuliers ?

  • pyramide_louvre.jpg

    liberte-panorama
    On se trouve en présence d’un double dispositif qu’il faut combiner pour bien comprendre le périmètre de ce qu’il est possible de faire, selon qu’on est professionnel ou particulier. (Photo via Visual Hunt)
  • La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique porte un grand nombre de dispositions nouvelles, toutes plus importantes les unes que les autres (mort numérique, droit à l'oubli des mineurs, publication de l'ensemble des décisions de justice anonymisées, recommandé électronique, etc.). Par voie d'amendements, d'autres dispositions concernant moins le numérique se sont glissées dans ce texte (ce qu'on nomme un "cavalier législatif") telle que la nouvelle exception dite de panorama. Il nous faut la replacer dans le contexte déjà mouvant du droit des auteurs sur les images de leurs créations.

    1. Le contexte

    Rappelons que le droit de l'image est constitué de deux droits à l'image – image des personnes, mais aussi image des biens présents sur une image – et de droits d'auteur sur les images – droit du créateur de l'image (photographe, peintre…), mais encore droit d'auteur sur les créations visibles sur les images.

    C'est sur ce dernier aspect du droit de l'image qu'il nous faut nous pencher à la faveur d'une nouvelle exception au droit d'auteur insérée par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique : l'exception dite de panorama. 

    2. Un droit à l'image absolu ?

    Jusqu'à une époque récente, les architectes et les sculpteurs ayant des œuvres exposées dans des lieux publics pouvaient considérer que toute photo permettant de voir leur création supposait un accord d'exploitation de leur part, le plus souvent monnayées.  

    Mais cette pratique pour le moins exorbitante, qui faisait par exemple que le simple fait de voir une sculpture parmi d'autres objets sur une photo en plan large générait immédiatement un droit à rémunération du sculpteur, a été recadrée dans une mémorable affaire qui est venu modérer les appétits de certaines créateurs.

    3. L'affaire de la place des Terreaux à Lyon

    Cette place a été réaménagée par l'architecte urbaniste Christian Drevet, aidé dans son travail par le sculpteur Daniel Buren. Des cartes postales présentant l'ensemble de la place ayant été commercialisées, les deux artistes ont assigné les éditeurs en contrefaçon pour défaut d'accord de leur part et demandé un intéressement au chiffre d'affaires de vente des dites cartes.

    La cour d'appel de Lyon dans un arrêt du 20 mars 2003 avait débouté les plaignants, mais ils se sont pourvus en cassation. La Cour de cassation va donc trancher le litige, apportant une solution équilibrée qui prend valeur de principe juridique. C'est ainsi qu'elle est couramment considérée depuis lors, même si la décision ne constitue pas à proprement parler un "arrêt de principe" posant expressément une règle générale.

    La 1ère chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 15 mars 2005 relève qu'au vu des faits, "l’œuvre [des créateurs] se fondait dans l’ensemble architectural de la place des Terreaux dont elle constituait un simple élément". La cour d’appel a donc "exactement déduit qu’une telle présentation de l’œuvre litigieuse était accessoire au sujet traité, résidant dans la représentation de la place, de sorte qu’elle ne réalisait pas la communication de cette œuvre au public".

    4. La notion d'accessoire

    La Cour use d'une théorie assez courante en droit, spécialement en droit de l'image, celle du principal et de l'accessoire. Elle relève en l'espèce que les créations des deux auteurs ne sont que l'accessoire du sujet des photos, lesquelles présentaient en plan large, à titre principal, l'ensemble de la place. De sorte que les auteurs ne pouvaient considérer que les photos objets du litige constituaient une communication de leur œuvre au public. Les deux plaignants ont donc été logiquement déboutés de leurs prétentions et leur pourvoi rejeté.

    5. De l'accessoire au principal

    Cette décision est fort équilibrée en ce sens que si l'on se livre à l'analyse a contrario de la solution ainsi dégagée, si les photos avaient porté à titre principal sur les créations des auteurs, il se serait agi d'une communication de leur œuvre au public, et par conséquent, d'un mode d'exploitation de leur œuvre, supposant leur accord et une éventuelle rémunération.

    C'est donc la solution qu'il importe de déduire de cet arrêt de 2005 :

    • si l'œuvre n'est que l'accessoire de l'image, il n'y a lieu ni à autorisation, ni à rémunération ;
    • si l'œuvre est le sujet principal de l'image, on retombe dans le droit d'exploitation classique des auteurs.

    Cette décision est intervenue dans le cadre de l'exploitation commerciale de photos, en l'occurrence de cartes postales. On en a cependant tiré une règle générale, faute d'autre indication.

    Mais la loi pour une République numérique vient d'ajouter une nouvelle disposition qui ouvre un peu plus le champ de la liberté d'exploitation.

    6. L'exception dite de panorama

    L'article 39 de la loi vient d'ajouter un 11° à l'article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle, article qui porte l'ensemble des exceptions au droit d'auteur. Il s'agit en fait de la transcription tardive d'une des exceptions proposées par la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 dite DADVSI, en l'occurrence l'article 5, § 3, h qui d'ailleurs est formulée un peu plus largement.

    Ce 11° est ainsi formulé : "Les reproductions et représentations d'œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l'exclusion de tout usage à caractère commercial."

    7. Les conditions et contours de l'exception

    Pour pouvoir bénéficier de l'exception, et donc pouvoir par exemple exploiter librement en photo ou vidéo un bâtiment d'architecte ou une sculpture, il faut :

    • être une personne physique s'abstenant d'exploiter l'image à usage commercial ;
    • viser des œuvres architecturales et/ou des sculptures placées en permanence sur la voie publique.

    Chaque mot compte dans ce texte.

    • Personne physique : ceci exclut des appareils plus ou moins automatisés tels que des drones ou encore le Google car ou Google bike destinés à recueillir des images sur la voie publique pour l'application Google Street View. La directive n'introduisait pas cette restriction, proprement française, donc.
    • Exclusion de tout usage commercial : c'est bien les photos des particuliers, notamment des touristes qui sont ainsi visées et autorisées.
    • Œuvres placées sur la voie publique : cette condition doit être bien délimitée. Il ne faut pas confondre la "voie publique" et un "lieu public" encore dénommé "espace public" par d'autres lois (notamment celle sur le voile intégral). Un lieu ou espace public est plus vaste que la voie publique puisqu'il intègre des lieux privés ouverts au public tels que magasins, restaurants, cafés, musées, théâtres, cinémas… La voie publique quant à elle se limite aux espaces de circulation publique tels que les rues, avenues, places et parcs publics. La directive visait quant à elle plus largement "des lieux publics".
    • Œuvres placées "en permanence" : il doit s'agir d'œuvres affectées à l'exposition sur la voie publique. Ceci exclut toute exposition temporaire d'œuvres d'art plastique comme on en voit par exemple souvent sur les Champs Élysées ou encore dans les jardins de Versailles.

    8. Combiner les deux dispositifs

    On se trouve donc en présence d'un double dispositif qu'il faut combiner pour bien comprendre le périmètre de ce qu'il est possible de faire, selon qu'on est professionnel ou particulier.

    - Les professionnels de l'image doivent se conformer exclusivement à la jurisprudence de la place des Terreaux :

    • pas d'autorisation à solliciter si l'œuvre architecturale ou la sculpture n'est que l'accessoire de l'image qu'ils créent, et ce quel que soit le lieu public où ils se trouvent (voie publique ou autre) ;
    • demande d'autorisation à l'auteur si l'image présente l'œuvre à titre principal.

    - Les particuliers quant à eux :

    • doivent pouvoir bénéficier de la précédente solution si les œuvres qu'ils captent ne sont que l'accessoire des images qu'ils créent, et ce également quel que soit le lieu public où ils se trouvent ;
    • mais si les œuvres en question se trouvent en permanence sur la voie publique, ils peuvent les photographier, les filmer comme sujet principal et même publier ces images à titre non commercial.

    Didier Frochot
    www.les-infostrateges.com

    + repères

    À retenir

    Il résulte de la jurisprudence de la place des Terreaux et de la nouvelle exception dite de panorama que les particuliers ont la possibilité de photographier ou de filmer, même à titre principal, les œuvres architecturales ou les sculptures placées sur la voie publique. Les professionnels quant à eux peuvent librement exploiter des images sur lesquelles les œuvres en question sont visibles à titre accessoire. Dès lors qu'ils cadrent une de ces œuvres, l'autorisation des auteurs est nécessaire.

    Droit applicable

    • Directive 2001/19/CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, notamment article 5, § 3, h.
    • Cass. Civ. 1ère 15 mars 2005
    • Code de la propriété intellectuelle, article L.122-5 11°
    Cet article vous intéresse? Retrouvez-le en intégralité dans le magazine Archimag !
    La sensibilité aux problématiques des données personnelles s’est aujourd’hui généralisée : maîtrise de sa réputation, protection de sa vie privée, propriété sur ses propres données. Mais un nouveau règlement européen vient d'être pris. + Numéro 300 ! Pour fêter cet événement, Archimag vous livre ses secrets de fabrication et dévoile les coulisses de la rédaction !
    Acheter ce numéro  ou  Abonnez-vous
    À lire sur Archimag
    Les podcasts d'Archimag
    Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.
    Publicité

    Serda Formations Archives 2025

    Indispensable

    Bannière BDD.gif