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Au sommaire :
- Dossier : L'IA et les nouvelles technos pour un meilleur service public
- "Les services publics ont perdu des compétences" : entretien avec Raphaël Maurel, secrétaire général de l’Observatoire de l’éthique publique
- Numérique et dématérialisation au service des métiers de la justice : de la Procédure Pénale Numérique à la dématérialisation du casier judiciaire
- IA, data mining, cyberenquête : l’administration s’équipe face à la fraude
- Désinformation et cyberattaques : l’État se penche sur ses datas, avec l’aide de Viginum et de l’Anssi
- Montrouge, plus proche de ses usagers grâce à une application de gestion de la relation citoyen (GRC)
Un robot conversationnel déployé par un organisme de sécurité sociale pour informer les allocataires de leurs droits… Un système d’identification biométrique mis en œuvre par la police à des fins de recherche d’auteurs d’infractions… Un traducteur automatique du récit d’un demandeur d’asile devant un officier de protection… Une maintenance prédictive du réseau routier d’une collectivité territoriale… Voici quelques-uns des projets basés sur l’intelligence artificielle (IA) qui sont actuellement en cours de développement dans le service public.
Ces initiatives ne sont pas isolées, comme en témoigne notre dossier qui présente les apports de l’IA et des nouvelles technologies dans des domaines aussi différents que la justice, la lutte contre la fraude documentaire, les opérations de désinformation, ou la relation entre les citoyens et leur administration.
"L’intelligence artificielle suscite autant d’espoirs que de fantasmes", constate le Conseil d’État dans une étude parue récemment (Intelligence artificielle et action publique : construire la confiance, servir la performance. Conseil d’État, 2022). L’institution rappelle que l’État mise beaucoup sur l’IA pour améliorer la qualité du service public dans ses nombreuses missions, et ce depuis plusieurs années.
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"Les systèmes d’intelligence artificielle (SIA), s’ils sont bien conçus et efficacement déployés, permettent d’optimiser l’emploi des ressources publiques, matérielles comme humaines. [Cependant] l’administration ne doit pas rêver d’emblée d’un grand soir de l’IA, mais s’éveiller au petit matin de l’apprentissage automatique, en cheminant par étapes et en intégrant la logique de l’innovation fondée sur l’essai-erreur."
Détecter les incohérences dans les déclarations fiscales
L’appropriation par étapes de l’IA permet en effet d’ajuster les outils et de corriger les erreurs de parcours. C’est ainsi que le gouvernement a procédé dans la lutte contre la fraude fiscale. Depuis 2017, la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) a recours à l’intelligence artificielle pour traquer les déclarations fiscales douteuses.
Un chantier qui vaut son pesant d’or. En 2019, le montant de cette fraude était estimé à 600 milliards d’euros ! Une somme colossale qui provient essentiellement du manque à gagner de la TVA, des impôts sur le revenu payés par les particuliers et des impôts sur les sociétés.
À l’occasion d’un salon professionnel dédié à l’IA, la DGFiP a dévoilé une - infime - partie des outils très complexes qu’elle utilise pour détecter ce qu’elle appelle pudiquement "les incohérences au sein des déclarations fiscales".
Pour y parvenir, Bercy puise dans ses très importants réservoirs de données : numéro Siren, statut juridique, données déclaratives, liasses fiscales… En raison d’erreurs de saisie et de données manquantes, ces corpus documentaires nécessitent un nettoyage des données afin de les adapter aux besoins des limiers du ministère.
Une fois récurées, ces données font l’objet d’un traitement IA décliné en plusieurs méthodes : apprentissage non supervisé, machine learning, deep learning... L’approche non supervisée permet de regrouper des comportements spécifiques qui s’éloignent des comportements dits "normaux" et de les analyser de manière spécifique.
Le recours au machine learning s’applique à l’une des caractéristiques de la fraude, notamment à son aspect déséquilibré. En raison du faible taux de fraudeurs (moins de 5 %), il convient de disposer de modèles très performants pour détecter les cas véritables et générant le moins de faux cas de fraude possibles et ainsi limiter le travail humain inutile.
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Selon la DGFiP, l’IA et la fouille de données (data mining) étaient à l’origine de près de 33 % des contrôles fiscaux réalisés en 2020. C’était moins de 14 % en 2018 (2).
Un véritable élan au sein des administrations…
Du côté des agents publics, le recours à l’intelligence artificielle semble faire l’unanimité. Elle fait même l’objet "d’un véritable élan au sein des administrations, qui en reconnaissent la pertinence pour améliorer la qualité et l’efficacité du service", constate le Conseil d’État après une enquête menée auprès d’une cinquantaine d’administrations.
C’est notamment le cas des métropoles et des régions qui développent des projets d’IA en lien avec les problématiques de gestion des territoires. Aux Antilles, par exemple, l’IA permet déjà de contrôler l’affluence des sargasses (des algues invasives qui produisent des gaz toxiques).
En Guadeloupe, ce sont les enjeux d’élagage qui bénéficient de l’apport de l’intelligence artificielle alors que la métropole de Toulouse l’utilise pour dresser une cartographie des îlots de chaleur urbains.
Du côté des autorités administratives indépendantes, l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) complète le passeport biologique des athlètes et détecte de nouveaux moyens de dopage grâce à des outils d’IA. Quant à l’Arcom (ex-Conseil supérieur de l’audiovisuel), elle recense la parité hommes/femmes grâce à un outil IA d’identification du genre.
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D’une manière générale, l’impact de l’IA sur les fonctions documentaires recueille l’assentiment de l’administration : "s’agissant des usages à plus forte valeur ajoutée, les systèmes de gestion, d’exploitation des documents, de classement des priorités ou encore d’aide à la décision sont considérés par la majorité des répondantes comme d’une utilité très forte."
Au terme de cette enquête, le Conseil d’État estime que le recours à l’intelligence artificielle permet d’atteindre "l’objectif d’une amélioration de la qualité et de l’efficacité du service public et accessoirement de son image auprès des usagers".
… Mais pas un blanc-seing
Pour autant, il ne s’agit pas d’un blanc-seing. Les innovations générées par l’IA ne sont pas toutes plébiscitées par les agents publics. Loin de là. À commencer par la prise de décision automatisée (sans intervention humaine), qui inquiète plus qu’elle ne rassure.
De même, l’automatisation de la relation avec les usagers (via les robots conversationnels, par exemple) laisse perplexe une partie des fonctionnaires. Quant à l’évaluation des politiques publiques, elle suscite également des doutes.
Selon les administrations qui ont répondu au Conseil d’État, plusieurs obstacles se dressent devant elles lorsqu’elles souhaitent mettre en œuvre des projets IA. Notamment le manque de données mises à disposition ou leur qualité insuffisante.
Selon certains témoignages, la piètre qualité des données collectées à l’état brut occasionne un temps de nettoyage et de montée en qualité trop important. Sur ce point, le secteur public est confronté aux mêmes problématiques que les entreprises du secteur privé.
Le manque de temps figure également au nombre des freins, ainsi que l’insuffisance des moyens budgétaires. "Si le manque de budget n’est pas unanimement cité par les administrations comme le principal frein à l’innovation, il tient néanmoins une place de premier plan parmi les obstacles au déploiement de systèmes d’intelligence artificielle", souligne l’étude (Rapport d’activité 2020, Direction générale des Finances publiques).
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Sans surprise, la question de la formation est aussi évoquée par les agents publics qui souhaitent voir l’ensemble des personnels sensibilisés au fonctionnement des outils IA, "ne serait-ce que pour faire reculer les craintes évoquées précédemment et augmenter l’acceptabilité de tels outils en interne".
Expérimentation auprès de mille agents publics volontaires
Projet au long cours, le recours à l’IA vient de connaître une nouvelle étape. Le mois dernier, la DITP (Direction interministérielle de la transformation publique) et la Dinum (Direction interministérielle du numérique) ont lancé une expérimentation sur les outils d’intelligence artificielle prévue pour une durée de 6 mois auprès de mille agents publics volontaires. Objectif : améliorer le taux de réponse aux expériences partagées par les usagers, ainsi que le délai de traitement, tout en facilitant le travail des agents mobilisés pour répondre.
Cette expérimentation permettra aux agents d’utiliser des réponses générées par l’intelligence artificielle en les complétant et en les personnalisant. La fonction publique espère ainsi être en mesure d’apporter une réponse plus rapide à l’usager. Les agents pourront, quant à eux, se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée et apporter des réponses qui nécessitent une attention spécifique.