Ce double principe de libre circulation des idées et des informations trouve son origine dans les diverses déclarations de droits de l’homme, comme corollaire à la liberté d’expression.
1. Quelques grands principes
2. Idée et information versus auteur
3. Un équilibre juridique entre information et droit d'auteur
4. La libre circulation de l'information en pratique
1. Quelques grands principes
- Un principe de droit d'auteur
C’est un des principes fondamentaux du droit d’auteur : l’auteur n’exerce son droit de propriété que sur la formalisation de sa création, soit « le choix ou la disposition des matières » (art. L.112-3 CPI). Mais en revanche, les idées et les informations que son œuvre véhicule sont libres. Et ce principe prévaut dans la plupart des pays du monde (Claude Colombet, Grands principes du droit d’auteur et des droits voisins dans le monde, Litec / Unesco, 1992, p.10).
- Un principe de droit universel
Ce double principe de libre circulation des idées et des informations trouve son origine dans les diverses déclarations de droits de l’homme, comme corollaire à la liberté d’expression. C’est le cas de notre Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 dont l’article 11 proclame « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement (…) ». Suivront diverses déclarations internationales dont voici les principales :
Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU, 10 décembre 1948 : art.19 ;
Conseil de l’Europe, Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, 4 novembre 1950 : art. 10 ;
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 7 décembre 2000, remplacée par celle du 12 décembre 2007, modifiée le 26 octobre 2012 : art.11 Liberté d’expression et d’information.
Toutes mentionnent « la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées ».
- Jefferson et l'accès à la connaissance pour tous
Ce même double principe remonte aussi, logiquement, à l’époque où le commerce a commencé à porter sur des biens immatériels, essentiellement au tournant des 18ème et 19ème siècles. Une des premières traces historiques apparaît sous la plume de Thomas Jefferson, qui dans une lettre à Isaac McPherson du 13 août 1813 s’opposait à la brevetabilité des idées au motif que « Celui qui reçoit une idée de moi, reçoit une instruction [entendons information] sans diminuer la mienne ; comme celui qui allume sa chandelle à la mienne reçoit la lumière sans m’obscurcir ». Les idées et informations sont ainsi vues comme le gage d’accès à la connaissance pour tous, un point essentiel pour la défense des métiers de l’information-documentation dont c’est précisément la mission.
2. Idée et information versus auteur
Tout professionnel de l’information-documentation connaît les obstacles posés par le droit d’auteur au traitement et à la diffusion de l’information, matière première de nos métiers. Le fait de rappeler avec force l’existence d’un droit à la libre circulation des idées et des informations conduit à conforter une liberté professionnelle. Et permet de rappeler que ces professionnels ne sont pas des "photocopilleurs", mais bien des "informacteurs", ayant leur pleine légitimité dans les missions qu’ils rendent à leurs utilisateurs.
N’y aurait-il donc pas abus de droit de la part des auteurs (en réalité des éditeurs d’information professionnelle et/ou scientifique) lorsqu’ils prétendent interdire de diffuser les informations et les idées qu’ils font passer, sous prétexte qu’ils les auraient enchâssées dans des mots et des phrases leur appartenant ?
La question n’est pas si simple et ne peut se réduire à l’opposition entre contenu (idées et informations libres) et contenant (œuvre de l’auteur). On sait combien certains articles sont rédigés de manière limpide et lumineuse tandis que d’autres, à volume d’information ou d’idées égal, sont illisibles. La qualité de l’information et des idées transmises tient donc pour une part dans la qualité de médiation de l’auteur.
3. Un équilibre juridique entre information et droit d'auteur
Mais il conviendrait de trouver un juste équilibre entre la nécessaire circulation de l’information et la protection de la propriété intellectuelle. L’idée n’est pas qu’hypothétique et le législateur, notamment en droit français, a déjà consacré ce principe d’équilibre, au moins dans deux cas :
1. Actes officiels et décisions de justice exclus du droit d'auteur
Il est de tradition constante, contemporaine des premières lois révolutionnaires sur le droit d’auteur, de ne pas faire porter de droit d’auteur sur les « actes officiels ». Cette règle non-écrite trouve son fondement dans l’adage « Nul n’est censé ignorer la loi ». Puisque toute personne doit connaître le droit qui s’impose à lui, il est hors de question d’entraver la circulation de l’information juridique officielle par un quelconque droit de propriété. Ainsi sont hors du champ du droit d’auteur (et non comme exception à ce droit) tous les textes ayant force obligatoire tels que la Constitution, les lois et règlements (décrets, arrêtés, actes réglementaires) ainsi que les textes de l’Union européenne applicables en France. On y ajoute les circulaires qui sans s’imposer au citoyen, font autorité vis-à-vis de l’administration concernée. S’y ajoutent pour des raisons proches, les décisions de justice : nul n’est censé ignorer ce que dit le juge au nom de la loi, et par ailleurs ces décisions sont prises « au nom du peuple français ».
Ainsi, au nom de l’impératif de circulation de l’information juridique officielle, il est ici fait totalement échec au droit d’auteur.
2. L'exception de discours d'actualité
Plus intéressante peut-être est cette exception au monopole d’exploitation de l’auteur. Il n’est pas douteux qu’un discours, même improvisé, soit une œuvre d’auteur protégée en tant que telle. Mais l’exception autorise, pour les discours prononcés publiquement, leur « diffusion, même intégrale, par la voie de presse ou de télédiffusion, à titre d'information d'actualité » (article L.122-5, 3°c du code de la propriété intellectuelle). En d’autres termes, pendant le court délai que dure l’actualité (en fonction de la périodicité du support) l’auteur du discours voit son droit de propriété suspendu. Il le retrouve pleinement passé ce délai d’actualité. Ici nous avons le cas flagrant où des logiques professionnelles ou para-professionnelles s’opposent et se concilient par volonté de la loi : d’un côté les auteurs de discours publics et de l’autre les médias.
3. Pourquoi pas une exception de revue de presse d'actualité ?
Il ne serait donc pas illogique que le législateur introduise dans la loi une exception similaire, par exemple, l’exception d’actualité pour réaliser sereinement des revues de presse. Ce fut une des revendications de l’Association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS) dans les années 1990, hélas abandonnée depuis lors. Et l’exception de revue de presse qui est dans la loi (article L.122-5 3° b CPI) ne vise que les revues de presse au sens de celles publiées dans la presse, écrite ou audiovisuelle, comme le démontre la jurisprudence (Cass. Crim. 30 janvier 1978).
4. La libre circulation de l'information en pratique
À défaut d’une telle nouvelle exception, il importe d’exploiter au maximum et avec doigté cette liberté de l’information pour assurer au mieux nos missions d’info-médiation.
- Réutiliser les seules idées et informations
Dans cette perspective, tout l’art du professionnel sera d’être capable d’extraire les informations et les idées sans jamais toucher à l’œuvre protégée de l’auteur. C’est ainsi que toute pratique visant à extraire des idées et informations d’une œuvre en vue de communiquer celles-ci est totalement licite, comme l’avait rappelé en partie l’affaire Le Monde c/ Microfor (Cass. Ass. Plén. 30 octobre 1987).
- Les pratiques classiquement libres
Constituent ainsi des extractions licites d’information et d’idées : l’indexation (associer des mots-clés à un texte pour en caractériser les grands thèmes) ; le résumé et la synthèse, documentaire ou de presse ; ou encore la rédaction de « brèves » qui reprennent en quelques mots la substantifique moelle intellectuelle ou informationnelle d’un article professionnel ou scientifique. Ainsi se trouve réduite à un vœu pieux, sans portée juridique, l’exigence de la charte du Geste d’avril 2000, selon laquelle aucun résumé ne pourrait être rédigé sans l’accord de l’auteur du texte d’origine.
- L'extraction de données brutes
La réutilisation de données brutes entre également dans le même espace de liberté. C’est ainsi que des chiffres clés de l’économie ou d’un autre secteur d’activité, des données géographiques brutes sont librement exploitables. Même si leur assemblage peut constituer un choix délibéré, l’extraction ponctuelle de données issues de ces ensembles n’est en rien interdite.
Et cela lorsque la collection même de ces données est protégées par le droit des producteurs de bases de données.
- La libre réutilisation des données publiques
Déjà traitée récemment, cette liberté en plein essor, dite open data, participe de cette liberté de circulation des informations. C’est si vrai que la réglementation encadrant l’ensemble pose ce principe de liberté sous réserve des droits de propriété intellectuelle ou de données protégées (données personnelles, par exemple). Mais on retrouve là le même principe de libre circulation des informations.
+ repères
A retenir
Malgré une certaine pression des « titulaires de droits », expression qui vise les auteurs mais surtout les intermédiaires que sont les éditeurs et producteurs, la société de l’information repose sur une matière première libre et librement exploitable, qui se trouve être celle des professionnels de l’information-documentation : l’information, ainsi que les idées. Réutiliser celles-ci, les retraiter, les reformuler en vue de les transmettre ou de les diffuser autour de soi relève non seulement de la pure liberté, mais de la légitimité des métiers de l’information-documentation.