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Archiviste au Cameroun, il raconte son métier à haut risque

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    Yaounde, la capitale politique du Cameroun, est surnommée la "ville aux sept collines". (ludwig.troller via VisualHunt.com / CC BY-NC)
  • Sommaire :

    Francophonie : des archivistes, des bibliothécaires et des documentalistes du bout du monde racontent leur métier
    Francophonie : des outils et des réseaux pour les pros de l'info​
    Travailler dans le Sahara est le quotidien de ce document controller algérien
    Archiviste au Cameroun, il raconte son métier à haut risque
    Au Luxembourg, les métiers de l'info sont en mal de formation locale
    Expatriée à Montréal, une bibliothécaire française partage son expérience​
    Archimag vous présente ses correspondants francophones !

    La valorisation du métier d'archiviste varie selon les régions du monde. Et le quotidien des professionnels peut s'avérer radicalement différent d'un pays à l'autre, au point d'être subi par certains. Didier Jolinon, archiviste au Cameroun, témoigne de cet écart entre professionnels francophones.

    Didier-JolinonSon parcours est celui d'un autodidacte. Alors qu'il débute sa licence de lettres, à la recherche d'un job d'étudiant, Didier Jolinon est par hasard, et sans formation ni prédisposition particulière pour le patrimoine, embauché en tant que commis d'archives dans la commune d'Ebolowa, à une centaine de kilomètres au sud de Yaoundé, la capitale du Cameroun. Ce premier contact avec le métier d'archiviste sera décisif.

    « Mes missions étaient très restreintes, explique-t-il ; il s'agissait essentiellement de classer les courriers de la mairie, les registres d'état civil ou encore quelques documents du cadastre. Mais cela m'a donné le goût de l'archive ».

    Au terme de sa licence, le jeune Camerounais décide de se préparer seul au concours d'entrée de l'École des bibliothécaires archivistes et documentalistes de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, au Sénégal. Bien que située à près de 4 500 kilomètres de chez lui, cette école est alors la seule de la « région » à former les étudiants francophones au métier d'archiviste. Reçu, il y entre en 1996 et en sort diplômé deux ans plus tard. 

    Le jeune homme obtient ensuite une bourse de la Coopération française pour un « stage pratique international » organisé alors par le ministère de la Culture en partenariat avec les Archives de France. Il effectue ce stage de deux ans en France, à Évreux, au sein des Archives départementales de l'Eure, avant de rentrer au Cameroun en 2000.

    Pressions et menaces

    À son retour, Didier Jolinon est immédiatement embauché au sein de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) du Cameroun - l'équivalent de notre Sécurité sociale - et en dirigera, au bout de quelques années et jusqu'en 2013, le service des Archives. Si sa carrière semble alors exemplaire, l'archiviste peine à s'épanouir véritablement dans ses fonctions à cause d'un enjeu de poids : l'accès à l'information, inhérent à sa fonction. 

    « Mon quotidien était émaillé de beaucoup de contraintes liées à la hiérarchie, explique-t-il. La transparence n'étant pas valorisée dans les administrations camerounaises, certains ont des sueurs froides rien qu'à la vue d'un archiviste. Il suffit d'un responsable un peu véreux pour qu'un professionnel ait au mieux du mal à travailler correctement, au pire, qu'il subisse des pressions et des menaces ».

    Dès 2003, Didier Jolinon tente de fédérer d'autres professionnels du domaine autour d'une association réunissant des archivistes de la sécurité sociale d'Afrique francophone. 

    « Elle a marché quelque temps, mais j'ai rapidement trouvé fastidieux de devoir sans cesse en renouveler les membres, qui la quittaient assez rapidement, explique Didier Jolinon ; dégoûtés par le métier d'archiviste, la plupart des professionnels se reconvertissent dès qu'ils le peuvent et, naturellement, abandonnent dans le même temps ce type de synergie ».

    Bien que très investi par ailleurs dans l'association Le Bouclier Bleu, en tant que secrétaire général de la commission locale, et donnant régulièrement des cours en archivistique au sein de différents centres de formation, Didier Jolinon sature. En 2013, son quotidien devient suffisamment difficile pour qu'il décide, à son tour, de démissionner. 

    « Le directeur du CNPS, favorable aux archives, est devenu ministre et a été remplacé par un autre, explique l'archiviste ; du jour au lendemain, mon service n'a plus reçu les documents de la direction que nous devions traiter. Lorsque je les ai réclamés, on m'a d'abord soufflé que l'on ne pouvait nous les transmettre, car le “boss” souhaitait les garder dans son bureau. C'est lorsque j'ai insisté que ma situation s'est vraiment détériorée ».

    À 43 ans, Didier Jolinon s'est alors trouvé dans une position très inconfortable, surveillé et pris en faute au moindre écart. « Je suis par exemple arrivé un matin avec cinq minutes de retard, se souvient-il ; je supervisais alors 72 personnes et faisais quotidiennement trois heures supplémentaires. Malgré tout, la nouvelle direction a réagi comme si je m'étais absenté sans prévenir pendant un mois ! »

    Entrepreneuriat

    Désormais chef d'entreprise, Didier Jolinon dirige Archi-Tech, une société réalisant des missions d'archivage, de conseil, d'accompagnement et des formations pour les PME ainsi que pour les personnels administratifs et les ministères. Son rayonnement s'étend du Cameroun au Gabon en passant par le Congo, la RDC et le Tchad. 

    « Il était très important pour moi de m'épanouir à nouveau dans mon travail, conclut-il. Et c'est réellement le cas aujourd'hui. Mais je plains les autres qui continuent à travailler en entreprise, là où les archivistes sont soupçonnés de tout ».  


    + repère

    Être archiviste au Cameroun

    Le métier d'archiviste est très peu valorisé au Cameroun. « Envoyer » quelqu'un aux archives étant d'ailleurs une punition classique des services de ressources humaines, il est fréquent d'exercer ce métier sans n’y avoir jamais été formé. De plus, 70 à 80 % des diplômés en archivistique changent de métier rapidement après la fin de leurs études. 

    « Les archives ne sont généralement qu'une porte d'entrée dans les administrations ou les entreprises d'État, explique Didier Jolinon ; les archivistes réalisent rapidement à quel point leur métier est risqué et changent généralement de métier dans les trois ans pour se mettre à l'abri ».

    Loin des slogans politiques qui se concrétisent rarement sur le terrain, l'archivage est le parent pauvre de l'administration publique. Son impulsion pour que la transparence et les normes en la matière soient respectées est quasi nulle. 

    « Les archives sont presque absentes de l'activité générale de l'État, ajoute Didier Jolinon ; les grands projets patrimoniaux ne sont d'ailleurs jamais financés par l'État, mais par d'autres organismes culturels indépendants ». 

    Côté salaire, ce n'est pas le métier qui détermine le revenu d'un Camerounais, mais le nombre d'années d'études qu'il a suivies. Celui-ci sera plutôt tiré vers le bas si l'on travaille dans la fonction publique ou vers le haut si l'on exerce dans une société privée. À titre indicatif, un débutant entamant sa carrière dans une société publique ou para publique touchera environ 400 euros par mois, tandis qu'un senior peut espérer terminer la sienne autour de 1 200 euros par mois.

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