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Thésaurus et propriété intellectuelle

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    Un thésaurus est une « liste organisée de termes normalisés, qu’ils soient descripteurs ou non-descripteurs, reliés par des relations sémantiques. Ils représentent les concepts d’un domaine de la connaissance. »
  • Nous avons longtemps pensé qu’un thésaurus est protégé par le droit d’auteur. Il fallut un contentieux documentaire en justice (en 2007-2008) et le regard d’un expert en propriété intellectuelle (Maître André Bertrand) pour ébranler nos certitudes préconçues. Archimag se penche pour la première fois sur la protection juridique des thésaurus.

    Temps de lecture : 20 minutes

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    Partie 1 - D’une confortable idée reçue…

    Les faits en synthèse

    Une documentaliste travaillait dans une agence photo œuvrant dans l’environnement. Elle réalisa dans ce contexte un thésaurus animal destiné à indexer les photos de l’agence. Ayant quitté cette structure, qui avait déménagé en région, elle décida au bout de deux ans de participer à la création d’une agence photo ; ayant ainsi respecté la clause de non-concurrence de 18 mois de son ex-employeur.

    Dans le cadre de cette nouvelle structure, elle constitua un thésaurus qui reprenait 209 des 218 termes du thésaurus créé dans son ancien emploi.

    Le litige en justice

    L’ancien employeur attaqua la toute jeune agence photo devant le tribunal de commerce pour concurrence déloyale et contrefaçon, revendiquant le droit d’auteur sur le thésaurus qui aurait ainsi été repris frauduleusement, demandant 65 000 euros de dommages-intérêts et l’interdiction d’utiliser le thésaurus. Procès perdu sur toute la ligne et assorti de dommages-intérêts non négligeables au profit de la jeune agence.

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    Partie 2 - …À une analyse juridique réaliste

    L’absence de droit de la société plaignante

    Notre première analyse était de constater que l’intéressée avait respecté sa clause de non-concurrence et qu’elle était la créatrice et l’auteure du thésaurus. Nous savions par ailleurs — et plus encore depuis la jurisprudence Le Figaro — qu’un salarié reste auteur et propriétaire de ses créations intellectuelles, et donc de ce thésaurus.

    Le défaut d’originalité d’un thésaurus

    Sur notre recommandation, la documentaliste fut défendue par Maître André Bertrand. Un rapide échange téléphonique avec ce dernier nous fit comprendre que l’on ne pouvait qualifier un thésaurus d’œuvre d’auteur, faute d’originalité.

    Au détour d’une question d’une brutale évidence (« Dans un thésaurus, où places-tu “rascasse” ailleurs que sous “poisson de mer” ? ») nous avons réalisé qu’en toute logique, un thésaurus est dépourvu d’originalité au sens du droit d’auteur, donc non protégé par ce droit. Voici pourquoi.

    Partie 3 - Thésaurus et droit d’auteur : analyse juridico-technique

    Un thésaurus est une « liste organisée de termes normalisés, qu’ils soient descripteurs ou non-descripteurs, reliés par des relations sémantiques (hiérarchie, équivalence, association, synonymie…). Ils représentent les concepts d’un domaine de la connaissance » (Source : Enssib).

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    Le critère d’originalité

    Pour qu’une œuvre soit protégée par le droit d’auteur, il faut qu’elle « porte l’empreinte de la personnalité de son auteur », autrement dit, constitue un « apport personnel » — expressions éloquentes couramment employées en justice.

    À la recherche de l’originalité du thésaurus

    Qu’est-ce qui peut être original dans un thésaurus ?

    • Le choix des descripteurs

    Ces descripteurs doivent être les mots les plus représentatifs de chaque concept : le créateur du thésaurus s’efforcera de trouver les mots les plus porteurs, en aucun cas de choisir esthétiquement les mots qui lui plaisent le plus. Le bon créateur sera celui qui choisit les termes les plus appropriés au domaine de connaissance, laissant peu de place à l’imagination littéraire ou artistique.

    • Les relations sémantiques

    Il y a tout d’abord la hiérarchie des descripteurs. Ces termes sont porteurs des concepts d’un domaine de connaissance, formant un corpus intellectuel hiérarchisé. La hiérarchisation des termes ne fait que suivre la structuration des concepts. Aucun « apport personnel », donc, dans cette hiérarchisation.

    On peut tenir le même raisonnement pour les autres relations sémantiques. Elles sont conditionnées par les relations intellectuelles existantes entre les concepts de la matière ainsi décrite : équivalence (« Voir aussi » ou VA), association (« Terme associé » ou TA) ou synonymie (« Employé pour » ou EP).

    • des cas d’exception ?

    En bonne logique, un thésaurus n’est pas une œuvre protégée par le droit d’auteur puisqu’il ne constitue pas une création « originale » au sens de ce droit. Pour ne pas trancher de manière absolue, supposons que dans quelques rares cas un thésaurus soit une construction originale.

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    Ne pas perdre de vue cependant que si les auteurs d’un thésaurus revendiquent un apport personnel original, c’est peut-être parce qu’ils n’ont pas collé réellement à la finalité d’un thésaurus : représenter les concepts d’un domaine de connaissance.

    L’absence de droit d’auteur sur un thésaurus ne signifie pas qu’il soit totalement dépourvu de protection juridique.

    Partie 4 - Thésaurus et base de données

    Définition juridique d’une base de données

    Plus large que la définition informatique, pour l’article L. 112-3 al.2 du Code de la propriété intellectuelle, transposant la directive de 1996, « on entend par base de données un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen. »

    Ainsi, toute collection de données ou d’autres objets, qui sont individuellement accessibles et disposés de manière systématique ou méthodique, est une base de données, même sans recours à l’informatique. C’est le cas d’une encyclopédie, d’un dictionnaire, d’un répertoire d’entreprises, même sur papier.

    Le thésaurus, éligible au droit sur les bases de données

    Si l’on reprend les critères électifs de la base de données, on peut y replacer point pour point un thésaurus, principalement : recueil « d’éléments indépendants » disposés de « manière systématique ou méthodique ».

    Un droit d’auteur sur la base de données ?

    Nous l’avons vu, au regard du droit d’auteur stricto sensu, un thésaurus n’est pas forcément protégé. L’al. 1er de l’article L. 112-3 précité nous éclaire un peu plus sur la question. Ce texte précise, entre autres, que sont protégés par la loi les auteurs « de recueils d’œuvres ou de données diverses, tels que les bases de données, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles. » La formulation peut troubler un non-juriste.

    Certes, dans un thésaurus, il y a bien « choix ET disposition des matières ». Mais ceux-ci, nous l’avons vu, suivent la logique du domaine de connaissance décrit et sont dépourvus de l’originalité nécessaire pour qu’il y ait « création intellectuelle » au sens de la loi.

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    Le droit des producteurs de bases de données

    En revanche, un thésaurus peut parfaitement être protégé au titre du « droit des producteurs de bases de données », droit voisin institué par la directive européenne du 11 mars 1996 transposée par la loi du 1er juillet 1998, aux articles L. 341‑1 et suivants du CPI.

    Aux termes de ces dispositions, le producteur de la base de données — donc du thésaurus — sera « la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants ». Il« bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel » (L. 341‑1 al. 1er).

    En d’autres termes, le producteur du thésaurus sera le dirigeant de la structure — et par derrière, la personne morale de cette structure — dans laquelle le thésaurus aura été créé, ayant investi pour la création du thésaurus. C’est sur cette base que certains organismes publics ou privés créent des thésaurus dans des domaines d’activité professionnelle et les commercialisent.

    À retenir

    Un thésaurus n’est en principe pas protégeable par le droit d’auteur. Sa constitution vise à représenter le plus fidèlement possible l’ensemble des concepts d’un domaine de connaissance, dans leur structuration hiérarchique et leurs relations sémantiques (Voir Aussi, Employé Pour, Terme Associé…), en choisissant pour termes porteurs (Descripteurs) les plus identifiables par les usagers du domaine.

    Il n’y a dans cette construction aucune « empreinte de la personnalité » de l’auteur permettant de reconnaître l’originalité de cette création, critère de base pour bénéficier de la protection du droit d’auteur.

    En revanche, le thésaurus constitue une base de données au sens juridique du terme ; il est protégé par le « droit des producteurs de bases de données », dévolu à la personne qui a pris l’initiative et investi pour sa création.

    Les textes applicables

    Code de la propriété intellectuelle :
    articles L. 112-3 al. 1 et 2 ;
    article L. 341-1 al.1er.

    Didier Frochot
    www.les-infostratèges.com

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