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Évolution du poste de travail : rêves et réalités

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    La digitalisation de l'espace de travail a-t-elle fait disparaître le papier des étagères des organisations ? (EverJean via VisualHunt / CC BY)
  • Avec la transformation numérique des organisations, le poste de travail a profondément évolué ces dix dernières années. Mais est-il le même pour tous ? Ce poste de travail virtualisé tant prôné par les observateurs de tendances, accessible de partout sur tous les types de terminaux, est-il une réalité ?

    « Le modèle classique du poste de travail, présent dans les entreprises depuis de nombreuses années, montre aujourd’hui ses limites en tant que solution évolutive capable de répondre aux attentes et aux besoins futurs ». Ce constat fait par la société de conseil et de recherche Gartner, qui affirmait ensuite qu’une « mutation profonde » du poste de travail était en préparation, date de 2011. 

    Ces dix dernières années ont en effet été marquées par la digitalisation du poste de travail, jusqu’à donner naissance à un concept symbolisant cette hyper-transformation globale et cohérente de l’expérience collaborateur : la « digital workplace ». Il faut voir la « digital workplace » comme une véritable stratégie de la part des organisations les plus engagées dans une transformation digitale, destinée à promouvoir l’agilité et l’engagement des employés au sein d’un environnement technologique qu’elles cherchent à faire adopter rapidement.

    Libérant les collaborateurs des contraintes de lieu et de temps et unifiant les technologies utilisées (messagerie électronique et instantanée, réseaux sociaux d’entreprises ou RSE, intranet, applications RH ou encore outils de réunion virtuelle), la « digital workplace » tente de s’adapter aux changements observés dans les modes de travail, aujourd’hui plus transverses et collaboratifs. « Cette dimension n’est plus exclusivement technologique, explique Maryse Carmes, maître de conférence en sciences de l’information et de la communication au Cnam, chercheuse et co-directrice du réseau de recherche sur les devenirs numériques Grico ; elle exerce un couplage entre les pratiques de travail, les processus organisationnels et la technologie ».

    Mais cet eldorado existe-t-il réellement ? Il semblerait en effet que la « digital workplace » ne concerne aujourd’hui qu’une niche d’entreprises ayant opéré une transition numérique de fond. La grande masse des organisations tenterait plutôt de s’adapter comme elles peuvent au fait que leurs salariés et le management utilisent des espaces numériques divers. Ce que confirme Frédéric Creplet, directeur général de la société de conseil en management Voirin-Consultants : « Les entreprises de moyenne et grande taille suivent ces évolutions, explique-t-il ; mais à ce jour, elles cherchent le plus souvent à mixer une simplicité des usages, une réponse à ces usages et un coût économique pertinent ».

    Hybridation

    Deux grandes tendances ont tout de même été observées ces trois dernières années. La 

    mobilité associée à une diversification des terminaux, d’abord, qui se caractérise notamment par l’utilisation de la tablette en milieu professionnel avec, d’une part, un usage géré par l’entreprise pour ses employés et, d’autre part, aussi un usage décidé par le management et les cadres dans leurs interactions (en réunion, par exemple). « Le smartphone ou la phablette deviennent de vrais compagnons de route, dans la poche et toujours prêts pour accéder à ses mails et surtout au web », confirme Jacques Heitzmann, directeur associé du cabinet de conseil cloud et télécom Jaito. 

    La seconde tendance est le cloud associé à une ubiquité des données. Aujourd’hui, qu’il soit au bureau, à son domicile ou même en déplacement, le collaborateur peut accéder à ses données à tout moment. « Dans le cloud, les données sont synchronisées automatiquement, poursuit Jacques Heitzmann ; les technologies de mise en œuvre diffèrent suivant les entreprises ; Dropbox est parfait à titre individuel. Google drive est bien adapté aux grandes organisations. On synchronise les contacts, l’agenda, etc. »

    Deux tendances que Frédéric Creplet confirme tout en les nuançant : « Nous n’en sommes qu’au début, des précurseurs ont structuré leur système d’information et leurs ressources numériques dans cette optique, mais beaucoup reste à faire dans de nombreuses organisations ». C’est également le point de vue de Maryse Carmes : « On ne cesse de parler du nomadisme et des technologies qui le permettent. Pourtant, ces pratiques sont loin d’être aussi répandues en France qu’on le prétend. Dans les faits, nous sommes à la traîne par rapport aux autres pays d’Europe. »

    Face à la diversité des usages, des processus et des technologies observés dans les organisations, un phénomène de fond, résultat des deux tendances citées plus haut ainsi que du déplacement des pratiques professionnelles en dehors de l’entreprise, semble globalement se confirmer : l’hybridation. « Cette hybridation vient du fait que du professionnel s’exprime à la fois au sein et hors des outils de l’entreprise, explique Maryse Carmes ; mais elle est également due aux pratiques numériques personnelles observées sur le lieu de travail, et aux pratiques numériques professionnelles réalisées au domicile, sur le temps personnel ».

    Zéro papier ?

    Du côté des pratiques collaboratives, les RSE viennent compléter les usages communicants du mail, voire des messageries instantanées dans le but de favoriser les interactions au sein de l’organisation. Pourtant, les communautés les plus actives sont généralement celles de petite taille reproduisant virtuellement les équipes physiques. « Les collaborateurs craignent cette idée du partage excessif de leurs publications, explique Maryse Carmes ; ils ont besoin d’être rassurés sur ce qui est vu ou non ». « C’est seulement si les utilisateurs gagnent quelque chose à utiliser un RSE qu’ils deviennent des acteurs collaboratifs, poursuit Frédéric Creplet ; sans un terreau fertile de culture d’entreprise et de culture managériale, les plateformes collaboratives peuvent vite devenir des plateformes de stockage inertes ».

    La question de la sécurité est centrale au sein de ces nouveaux espaces numériques organisationnels et au cœur du sujet de l’identité numérique. Celle relevant des profils et des habilitations fonctionnelles l’est tout particulièrement. »On observe aujourd’hui une articulation entre politiques d’accès et politiques d’usages qui s’agrège dans une stratégie d’interface, explique Maryse Carmes ; autrement dit, à quel type de situation professionnelle correspond tel type de pratique ? Cela se traduit par une mise à disposition de services sur une plateforme commune à tous, que la gestion des droits couplée à une politique de profiling (caractéristiques du collaborateur) personnalisent ensuite ».

    Cette digitalisation de l’espace de travail a-t-elle fait disparaître le papier des étagères des organisations ? Le zéro papier, ce fameux Graal des années 2000, est ou sera-t-il une réalité ? Il est vrai que les gros volumes de courrier présents en entrée de nombreuses organisations publiques et privées ont été largement dématérialisés, tout comme leur gestion. Pourtant, selon Frédéric Creplet, « il reste de forts volumes de papier dans des correspondances internes (parapheurs, etc.) comme externes et l’on constate encore trop souvent des rematérialisations de documents (les marchés publics en sont le plus bel exemple) ». Ce que confirme Jacques Heitzmann : « Si les organisations ont bien compris l’intérêt de dématérialiser leurs documents pour le stockage de l’information, nombre de collaborateurs semblent encore très attachés à la lecture de documents sur papier plutôt que sur écran ».

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