3 questions à Laurence Jung

Laurence Jung archimag

 

Laurence Jung est l'auteure du mémoire d'étude Je ne travaille jamais en bibliothèque, enquête auprès d'étudiants non-fréquentants ou faibles fréquentants (Enssib, 2010). Elle est par ailleurs conservatrice au sein du SCD de l'université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense.

 

Les étudiants fréquentent-ils encore les bibliothèques universitaires ?

Oui, bien sûr. Je travaille actuellement au SCD de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense : la fréquentation de la BU est en hausse depuis quelques années, nous accueillons en ce moment 6 000 étudiants par jour ! Et on fait toujours la queue devant les bibliothèques parisiennes. Les étudiants constituent la catégorie de lecteurs qui fréquentent le plus les bibliothèques en France, qu'elles soient publiques ou universitaires. Les études générales sur la fréquentation des bibliothèques montrent cependant une tendance à la baisse de la fréquentation et surtout du prêt qu'il faut prendre en compte.

Les accès et les ressources numériques ont-ils un impact sur la fréquentation des bibliothèques universitaires ?

Très certainement. Le développement des ressources numériques permet aux étudiants et enseignants-chercheurs de consulter des documents depuis leur domicile ou leur bureau. J'ai interrogé dans mon étude des chercheurs en physique qui ne se rendaient jamais à la bibliothèque, mais qui utilisaient l'ensemble des ressources en ligne mises à leur disposition. Comme ils bénéficiaient d'un bureau et d'un ordinateur et qu'ils réalisaient un travail de veille bibliographique sur des revues électroniques, ils ne voyaient pas l'intérêt pour eux de se rendre à la BU. Les bibliothèques scientifiques passent peu à peu au tout électronique, à l'avenir, les étudiants viendront marginalement consulter des livres dans la bibliothèque. En lettres et sciences humaines, l'usage du papier est encore bien ancré, l'évolution sera plus lente.

L'offre numérique n'entraîne cependant pas automatiquement une baisse de fréquentation des bibliothèques : ce sont les usages au sein de ces bibliothèques qui sont amenés à changer. On assiste à une dissociation entre la recherche documentaire, qui peut être menée de chez soi, et le besoin d'un lieu calme et propice au travail. Les bibliothèques sont pour certains étudiants que j'ai interrogés de simples salles de lecture. La présence de livres devient symbolique : les étudiants ne les consultent pas, mais les étagères de livres confèrent au lieu une atmosphère studieuse. Les étudiants en santé, par exemple, s'installent dans n'importe quelle bibliothèque pourvu qu'elle leur propose une table et du silence. Les sociologues les appellent des « séjourneurs ».

Quelles actions les bibliothèques doivent-elles lancer pour reconquérir les étudiants ?

Il ne s'agit pas d'opposer les accès distants aux collections physiques. Nous devons prendre acte de ces évolutions, accepter l'idée que consulter les ressources électroniques de la bibliothèque, c'est être pleinement un lecteur de la bibliothèque et proposer d'autres services au sein du bâtiment. La bibliothèque est un lieu de vie. Certains étudiants l'évitent car ils se sentent écrasés par le savoir, ils ont peur d'être perdus ou jugés. Les SCD cherchent à créer des lieux plus conviviaux et à multiplier les services : formation des étudiants à la recherche documentaire, action culturelle, valorisation des collections... Les learning centres constituent également une voie intéressante : ce modèle anglo-saxon conjugue un espace de documentation et un centre d'apprentissage. Les services y sont mis en avant, en particulier la formation et l'autoformation. Les ordinateurs, tablettes et liseuses y jouent un rôle aussi important que les livres.

Enfin, la fréquentation de la BU dépend beaucoup des attentes des enseignants. Si ceux-ci demandent aux étudiants de faire des recherches dès la licence, s'ils travaillent en partenariat avec la bibliothèque, les étudiants viendront à la BU. Un étudiant en école d'ingénieur m'a ainsi expliqué qu'en France, il n'allait jamais à la bibliothèque parce que ses professeurs lui donnaient des feuilles d'exercices à faire. Il n'avait donc pas besoin de documentation. Lorsqu'il avait étudié au Canada, il s'y rendait tous les jours parce qu'il devait réaliser de petites recherches et que c'était une habitude prise par les étudiants. Comme dans le cas des learning centres, je pense que c'est par l'association de l'enseignement et des missions traditionnelles des bibliothèques que se trouve l'avenir des BU.

Les podcasts d'Archimag
Rencontre avec Stéphane Roder, le fondateur du cabinet AI Builders, spécialisé dans le conseil en intelligence artificielle. Également professeur à l’Essec, il est aussi l’auteur de l’ouvrage "Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise" (Éditions Eyrolles). Pour lui, "l’intelligence artificielle apparaît comme une révolution pour l’industrie au même titre que l’a été l’électricité après la vapeur".