La montée en puissance de l’administration électronique n’en est qu’à ses débuts, modifiant déjà profondément les métiers. L’accompagnement au changement s’avère incontournable pour assurer le succès de cette mutation.
Les Français sont très attachés à la notion de service public, mais ne se privent pas d’en critiquer la lourdeur et les manquements. L’émergence de l’e-adminstration leur fera-t-elle revoir leur opinion ? L’Etat et les collectivités territoriales s’engagent dans un vaste plan destiné à garantir l’égalité d’accès au haut-débiti en chaque point du territoire national. Ce volet technologique ne suffit pas. Il doit être accompagné d’une réflexion portant sur l’offre qui sera proposée à nos concitoyens, dont les attentes et les besoins peuvent être résumés en deux points : qualité et personnalisation. Le passage à l’e-administration constitue un défi autant pour son organisation que pour la formation des agents publics qui la serviront. Le développement de l’administration électronique est en effet marquée par une mutation des métiers qui requiert de nouvelles pratiques pour accompagner les cadres et les agents dans la construction de services aux usagers. S’intéressant à cette transformation, la consultante Catherine Chaumont souligne combien les usagers arborent dorénavant une attitude de client et réclament de la proximité, de la rapidité et de la disponibilité. Afin de répondre à ces attentes, les administrations sont contraintes de procéder à des changements d’organisation qui entraînent plusieurs évolutions :
Transversalité et coopération entre les services.
Développement des échanges et des partenariats entre administrations.
Introduction des notions de back office (administration) et de front office (utilisateur).
Ces changements ne sont pas sans conséquence sur les métiers qui, à leur tour, doivent s’adapter à la nouvelle donne :
Développement de l’autonomie des agents.
Changement des rapports hiérarchiques.
Apparition d’une expertise de la relation avec les usagers.
fracture générationnelle
On l’imagine aisément, de tels bouleversements ne se font pas sans heurts ni remise en cause. L’emprise des technologies sur le monde contemporain en général, et sur les métiers en particulier, ne manque pas de provoquer des réactions technophobes. C’est le cas pour la frange la plus âgée des agents de l’Etat, a priori la moins versée dans la course à l’innovation technologique. Mieux vaut rester vigilant : la fracture générationnelle risquerait de faire sombrer les ambitions de l’administration électronique, faute d’acteurs motivés. Catherine Chaumont souligne que certains projets échouent, par manque d’accompagnement au changement auprès des agents administratifs. Ceux-ci ont pu se sentir dépassés par des outils informatiques de plus en plus complexes.
La meilleure méthode consiste à définir précisément les objectifs à atteindre et à adopter une approche personnalisée de façon à ce que ces changements aboutissent à un résultat gagnantgagnant entre l’administration et ses administrés. Par exemple, des agents identifiés préalablement peuvent jouer un rôle de pilote en raison de leur appétence personnelle pour la technologie, en assistant ceux qui pourraient constituer un obstacle. Il est évident que ces démarches doivent se réaliser dans le cadre d’une approche psychologique bienveillante et soucieuse des susceptibilités de chacun.
déferlante technologique
Cette fracture générationnelle est confirmée par Denis Descubes, chargé de mission auprès de l’Ardesi, l’Agence régionale pour le développement de la société de l’informationi dans la région Midi- Pyrénnées. L’Ardesi facilite l’appropriation des nouvelles technologies par les collectivités territoriales et sensibilise les élus et les agents territoriaux, opérant souvent en milieu rural. La région Midi-Pyrénnées compte huit départements , 3 020 communes et plus de 2 600 000 habitants. Selon M. Descubes, les élus et les secrétaires de mairie de la région « subissent une déferlante technologique » à laquelle ils ne sont pas tous en mesure de répondre ; « il s’agit d’un public très hétéroclite », dont certains ignorent jusqu’à l’existence d’une souris d’ordinateur. Il convient donc de les rassurer et de les former selon les besoins qu’ils éprouvent dans le cadre de leur mission. Un buffet des savoirs a donc été institué à destination de ce public béotien, ainsi qu’un atelier de projet pour fournir un accompagnement personnalisé. Ces initiatives ont pour ambition de compenser la faible mobilisation des élus face aux enjeux de l’administration électronique et de proposer une assistance au changement. L’agence souhaite toucher un millier d’élus à partir du mois de décembre prochain. A un autre échelon, l’Ecole nationale d’application des cadres territoriaux de Nancy (Enact) délivre des formations destinées aux cadres A de l’administration territoriale. Ses dirigeants ont décidé de mettre en place un dispositif de formation et d’accompagnement au changement vers l’administration électronique. Dans ce cadre, elle utilise une plate-forme de travail collaboratif afin de capitaliser les multiples réalisations répertoriées en France. Selon Isabelle Boye, représentant l’Enact de Nancy, les stagiaires sont en demande d’information personnalisée, adaptée à des profils et des besoins différents. A ce jour, 1 700 cadres territoriaux ont été formés à l’e-administration ; 30 % d’entre eux ont exprimé le souhait de profiter d’une formation complémentaire.
encore aux balbutiements, l’e-administration
Le service public peut-il s’inspirer du privé ? A cette question, Stéphane Gronnier, du cabinet Ka Ora, répond par l’affirmative. Il observe que l’accompagnement au changement, dans le secteur public comme dans le secteur privé, répond à « une même typologie d’enjeux » et que seuls les leviers d’action diffèrent. Contrairement au privé où le changement s’est fondé sur l’externalisationou Outsourcing. L'externalisation désigne la délégation d'une fonction secondaire à un prestataire extérieur, fonction qui pourrait potentiellement être réalisée en interne. L'externalisation concerne les tâches liées au fonctionnement de l'organisation, intervenant beaucoup plus indirectement que les activités opérationnelles sur la production finale de l'entreprise. L'externalisation se distingue de la sous-traitance, qui concerne les opérations contractuelles par lesquelles un entrepreneur confie tout ou partie d'un travail destiné à ses propres clients.">i, le service public n’est pas tenu de suivre cette voie. Mais il ajoute que l’administration doit envisager un partenariat public-privé à condition de respecter quelques principes incontournables : donner du sens et expliquer les objectifs, fonctionner en mode projet, accepter le fait qu’il y aura des résistances, être stratégique sur l’objectif et tactique dans la mise en oeuvre, et surtout investir dans les hommes. Reconnaissant lui aussi l’importance d’associer les agents administratifs à l’e-administration, Stéphane Gronnier insiste sur l’indispensable prise en compte du facteur humain. Qu’en pensent les éditeurs ? Pour Catherine Pussacq de la société Digitech spécialisée dans les systèmes d’information documentaire, les collectivités locales ont intérêt à travailler de concert avec eux. Ce partenariat permettrait aux éditeurs de mieux saisir les besoins réels de l’administration et aux agents de s’approprier les outils proposés. Catherine Puissac remarque au passage que l’administration électronique mérite une vaste réflexion car elle n’en est qu’à ses balbutiements.
salon Inop 2006
L’accompagnement du changement a été l’une des thématiques fortes abordées lors des Rencontres de l’innovation publique et de l’Administration électronique (Inop), tenues à Nantes les 6 et 7 septembre derniers.
L’Inop entend s’inscrire dans un projet particulièrement fécond : construire les services publics de demain. Paul Guédon, commissaire de ces rencontres, se donne pour objectif de « mettre en avant les services qui marchent et qui apportent une véritable plus-value aux usagers ».
A son invitation, plusieurs centaines d’acteurs publics ainsi que des éditeurs se sont réunis sur les bords de la Loire pour débattre et mutualiser leurs expériences.