Daniel Ichbiah : "Google joue un jeu dangereux"

Daniel Ichbiah, auteur de "Comment Google mangera le monde" BT

 

Archimag. Google jouit d’une image très positive dansle monde et pourtant vous affirmez que l’envers du décor n’est pas aussi réjouissant.
 
Daniel Ichbiah. Les deux fondateurs de Google, Larry Page et Serguey Brin, sont marqués par une culture bobo faite d’anticonformisme, d’écologie, d’avantages matériels offerts aux salariés. Ils mettent souvent en avant cet aspect philanthropique mais, en réalité, le système est extrêmement pervers. À trop proposer de services gratuitement, ils créent une société d’esclaves ! Ils jouent un jeu dangereux. Leur pari est d’avancer très vite, comme l’ont fait avant eux Microsoft et Apple, et d’imposer le fait accompli en prenant des libertés avec le droit, comme dans le cas de leur bibliothèque numérique irrespectueuse du droit d’auteur.
 
Larry Page et Serguey Brin ont amassé une fortune en quelques années seulement. Etait-ce prémédité lorsqu’ils ont lancé Google ?
 
Page et Brin sont ce qu’en Californie on appelle des« nerds », c’est-à-dire des passionnés d’informatique. Ils sont des types très intelligents, des créateurs en réalité guère motivés par l’argent. Comme Bill Gates, un autre milliardaire, Page et Brin réagissent plus en terme de défis intellectuels à relever que de profits. Ils préfèrent remporter une victoire technologique plutôt que de gagner de l’argent. Il est intéressant de noter que Page et Brin sont d’ascendance israélite, ce qui les dispose au débat et aux discussions interminables. Parfois, au bout de ces discussions, des idées brillantes naissent.
 
De plus en plus de voix s’inquiètent de la conservationi et de l’exploitation des données chez Google. Les internautes seraient-ils fichés ?
 
Un vrai problème de conservation des données chez Google existe. Chaque fois qu’un internaute lance une recherche sur ce moteur de recherchei– le plus utilisé du monde –, Google en conserve une copie grâce à une infrastructure informatique dont même la CIA n’a jamais rêvé ! Cela pose de sérieux problèmes de confidentialité. Par exemple,le gouvernement des États-Unis a récemment demandé à AOL, Yahoo, Microsoft et Google de communiquer trois mois de requêtes afin de mener une enquête sur la pédophilie. AOL, Yahoo et Microsoft ont obtempéré, Google a traîné des pieds mais a fini par communiquer un mois de consultations. Parmi les internautes ayant tapé le mot pédophilie dans le moteur de recherche, il ne peut pas y avoir que des pédophiles potentiels mais aussi des journalistes enquêtant sur le sujet, par exemple. Ces personnes seront pourtant désormais référencées dans un dossieri pédophilie.
 
Comment peut-on expliquer le fait que Google communique très peu ?
 
Google a beaucoup d’intérêt à ne pas communiquer, car ses dirigeants se sont rendu compte qu’en ne parlant pas, ils provoquaient une paranoïa folle chez leurs concurrents ; y compris chez Bill Gates, qui doit parfois se réveiller en pleine nuit ! Ce mutisme crée un fort sentiment de curiosité et de désir, les internautes se demandent : mais qu’est-ce que Google va bien sortir cette fois-ci ? Je me suis laissé dire que Microsoft employait une personne à plein temps pour surveiller ce que faisait Google. Pour la firme de Bill Gates, l’heure est grave. À partir du moment où Google met à disposition gratuitement un traitement de texte et un tableur en ligne, il porte de rudes coups à la suite bureautique du géant informatique, génératrice jusqu’ici de revenus considérables.

 
Le modèle économique de Google est novateur et intrigue beaucoup. Quel est-il ?
 
Le coup de génie de Larry Page et Serguey Brin est d’avoir compris que n’importe quelle personne produisant un bien pouvait être un client potentiel pour Google. Prenons le cas d’un vendeur de bicyclettes A : Google lui propose de placer son nom en haut de la rubrique des liens publicitaires lorsque les internautes taperont « Tour de France » dans le moteur de recherche. Google lui demande un euro pour ce service. Puis, il propose à un vendeur de bicyclettes B d’apparaître devant pour deux euros. Celui-ci accepte, car Google est devenu incontournable. Google retourne voir le vendeur A pour lui demander s’il est prêt à surenchérir à trois euros… Et ainsi de suite. Cela peut être décliné avec des dizaines de vendeursde bicyclettes, devenant ainsi des courtiers de Google. Google transformerait de telle manière le monde en immense cour de courtiers.
 
Les conditions de travail chez Google sont souvent citées en exemple : locaux confortables, piscines, crèches, restaurants de qualité. Mythe ou réalité ?
 
Google est une entreprise anticonformiste. Elle laisse carte blanche aux chercheurs pour mener des projets personnels. Chaque employé dispose de 20 % de son temps de travail pour ce type de tâche. Dans ce cadre, Krishna Bharat, un informaticien indien, a imaginé le service Google News. Mais attention, le silencei est d’or chez Google. Il y a quelques mois, un chercheur fraîchement embauché a été licencié sur le champi parce qu’il parlait de son nouvel emploi sur son blogi.
 
Vous affirmez que les innombrables services gratuits de Google fournissent toujours plus d’informations sur les utilisateurs.
 
En effet, Google prétend vouloir proposer une publicité la plus personnalisée possible aux internautes en fonction de la recherche effectuée ou des courriels de leur messagerie Gmail. La vie privée et la confidentialité des informations personnelles sont atteintes. L’internaute devrait avoir le droit de refuser cette publicité hyperpersonnalisée.
 

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Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.