Le dernier congrès de l’Ifla (1) s’est tenu à Cape Town, en Afrique du Sud. Il avait pour thème générique « Bibliothèques dynamiques : accès, développement et transformation ».
Du 16 au 21 août derniers, la 81e Conférence mondiale de l’information et des bibliothèques organisée par l’Ifla a été accueillie à Cape Town, en Afrique du Sud.
Les liens de la fédération avec l’Afrique sont nombreux : Ellen Tise, présidente de l’Ifla de 2009 à 2011, vient d’Afrique du Sud, l’un de ses prédécesseurs était Kay Raseroka, du Botswana. Depuis 2007, le bureau régional d’Afrique de l’Ifla est hébergé par l’université d’Afrique du Sud (University of South Africa, Unisa) à Pretoria. La Semaine des bibliothèques d’Afrique du Sud est organisée cette année conjointement par Liasa (Library and information association of South Africa) et l’Ifla.
C’est la deuxième fois - il y eut la ville de Durban en 2007 -, que la communauté bibliothéconomique internationale se réunit sur le continent africain, avec cette année 3 190 participants en provenance de 112 pays, les plus importantes délégations venant d’Afrique, des Etats-Unis ou de Scandinavie. La France compte plus d’une quarantaine de délégués.
La ville de Cape Town (« the mother city », la cité mère) est le berceau des bibliothèques en Afrique du Sud avec la première bibliothèque publique qui ouvre en 1818. Cape Town est une ville qu’il faut savoir découvrir et connaître. Différente des autres grandes villes du pays telles Pretoria, Johannesburg ou Durban, elle bénéficie d’une position géographique enviable près du mythique cap de Bonne Espérance : beaucoup de marins sont passés par là tel Bartolomeu Diaz, célèbre explorateur portugais au XVe siècle qui franchit celui-ci, apportant ainsi la preuve d'une route maritime vers les Indes.
réactives et innovantes
Le thème du Congrès est, année après année, très générique et permet d’englober les différentes sous-thématiques qui vont être abordées dans les programmes des 45 sections de la fédération. Les termes employés cette année dans le titre du congrès (« dynamiques », « développement » ou « transformation ») reflètent avec bonheur le monde actuel des bibliothèques qui, malgré les crises, les réductions budgétaires sont très réactives et trouvent des solutions innovantes pour survivre et attirer de nouveaux publics tout en gardant les plus anciens.
C’est tout du moins ce qui transparaît du discours officiel de l’Ifla, mais également des différentes conférences données - plus de 200 conférences sur 5 jours, d’une qualité parfois inégale, sans compter les dizaines de workshops ou rencontres satellites organisés.
les fruits de la Déclaration de Lyon
La nouvelle présidente de l’Ifla, Donna Scheeder (bibliothèque du congrès, Etats-Unis), ainsi que Loïda Garcia-Febo du conseil d’administration et le secrétaire général permanent de l’Ifla Stuart Hamilton (2) ont œuvré de concert en 2014 et 2015 pour promouvoir la Déclaration de Lyon auprès des Nations-Unies à New York (inscription sur l’agenda 2015 des Nations unies - post-2015 UN Development Framework).
La Déclaration de Lyon, adoptée en 2014 lors du congrès de Lyon et signée depuis par quelque 600 bibliothèques, villes et institutions, promeut l’accès à l’information pour tous. La position de l’Ifla est la suivante : la déclaration qui devrait être adoptée par les Nations unies doit reconnaître clairement que « l'amélioration de l'accès à l'information et aux connaissances, liée à la question de l'alphabétisation, est un pilier essentiel du développement durable ».
La Cape Town Declaration ou Déclaration du Cap.est une conséquence de la Déclaration de Lyon : les ministres et les représentants de plusieurs pays africains (Angola, Burkina Faso, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Lesotho, Guinée, Madagascar, Malawi, Mozambique, Nigeria, Afrique du Sud, Soudan du Sud et Swaziland) ont discuté le 14 août 2015 de la situation des bibliothèques et de l’état d’avancement de l’accès à l’information. La présidente de l’Ifla et les bibliothécaires des différentes nations représentées étaient également sur place. Les participants ont délibéré du statut des bibliothèques sur le continent africain et des progrès nécessaires pour attendre les objectifs mondiaux de développement durable.
bibliothèques vertes
Avec la construction de nouveaux bâtiments, les architectes adoptent les principes des bibliothèques vertes : matériaux recyclés ou recyclables, géothermie, mesures écologiques pour économiser l'énergie, notamment l'électricité et le chauffage, les exemples foisonnent. Ce n’est pas un thème récent pour l’Ifla car, déjà en 2002, une déclaration officielle est signée à Glasgow, « la Déclaration des bibliothèques et du développement durable ».
Ce thème prend de l’ampleur d’année en année et se traduit par la thématique de « green libraries » qui a pu être exploitée lors du congrès de Singapour en 2012 : la bibliothèque nationale de Singapour a développé une bibliothèque pour enfants entièrement verte « the tree library » avec une collection de 75 000 documents sur la nature, les plantes, l'environnement et le climat.
Étonnamment, les Etats-Unis sont précurseurs en la matière : ce n'est pas un effet de mode car les premières réalisations datent d'une vingtaine d'années. Le site Greeningyourlibrary indique les nouvelles initiatives en la matière, tandis que Green Libraries répertorient les bibliothèques vertes sur le continent américain (Etats-Unis et Canada). Prenons l'exemple de la Oaklyn Branch Library à Evansville en Indiana, qui est construite principalement en bois, elle est adossée à une colline qui lui procure de l'ombre en été et la protège du froid en hiver ; elle est aussi agrémentée de panneaux solaires et le toit est laissé à la verdure. Enfin, hormis un groupe d'intérêt dédié à ce thème en son sein, Ensulib (Environmental sustainability and libraries special interest group), l'Ifla a publié en 2013 un ouvrage incontournable en la matière "The green library".
impact du big data
Le big data a t-il un impact sur les bibliothèques ? Il semble que la réponse soit affirmative selon les différentes interventions lors du congrès, soit de manière directe car une bibliothèque gère de gros volumes de données (fichier des lecteurs, acquisitions, références des catalogues en ligne, transactions avec les lecteurs telles le prêt, le prêt entre bibliothèques, les questions posées…) dont l’analyse s’avère utile pour connaître les publics, voire les tendances, envisager des innovations, soit plus indirectement car les organisations vont être amenées à traiter de plus en plus de masses importantes d’informations.
Le big data se définit grâce à la règle des trois V : volume, vélocité et variété. On parle alors de volumes très importants d’informations qui se chiffrent en téracotets ou pétaoctets ; mais aussi de rapidité des échanges d’informations, parfois d’instantanéité.
Les différentes conférences données sur ce thème indiquent le rôle que les bibliothécaires ou professionnels de l’information peuvent jouer, notamment par rapport aux données de la recherche universitaire, en les localisant et en sachant les utiliser. Ils peuvent aider à la création de taxonomies, la conception de schémas de métadonnées et la systématisation des méthodes de récupération. Les outils de visualisation d'information (datavisualisation), peuvent être très utiles également, d’où de nouveaux rôles possibles pour les futurs professionnels (3).
Jean-Philippe Accart
jpaccart@gmail.com
+ repères : l’Ifla 2015 en quelques faits marquants
- 3 190 délégués provenant de 112 pays.
- Déclaration du Cap signée par une quinzaine de pays africains le 14 août 2015.
- Déclaration de Lyon signé par 600 institutions et bibliothèques dans le monde : elle est inscrite sur l’agenda 2015 des Nations unies (post-2015 UN Development Framework).
- Adoption d’une Déclaration sur la vie privée dans les bibliothèques.
- IFLA Journal fête ses 40 ans.
- L’ISSN fête ses 40 ans.
- Annonce de la ville de Wroclaw en Pologne qui accueillera la conférence Ifla 2017.
- Donna Scheeder (bibliothèque du congrès, Etats-Unis) commence son mandat de présidente de l’Ifla pour 2 ans.
- Nouveau conseil d’administration élu : la France et la francophonie sont représentées par Vivana Quiñones (Bibliothèque nationale de France, Centre national de la littérature pour la jeunesse-La Joie par les livres).
- Prix du meilleur poster 2015 délivré à Brigitte Doellgast et Niall McNulty (Afrique du Sud) pour « digital memory toolkit – a free resource to assist community projects ».
- La publication « Strong libraries strong societies », Namibia Symposium Proceedings, rencontre un grand succès (Il est possible d’obtenir une copie auprès de Ritva Niskala (University of Namibi), email : rniskala@unam.na).
+ repères : les bibliothèques en Afrique du Sud
Dans sa partie « déclaration des droits » (bill of rights), la constitution de la république d’Afrique du Sud garantit à tout citoyen l’accès à l’information. Le professeur Rocky Ralebipi-Simela, « bibliothécaire national », indique que, depuis 1994, de nombreuses bibliothèques publiques, scolaires et universitaires ont été construites ; elles constituent un solide réseau au service de 54 millions d’habitants. Depuis 2008, les bibliothèques publiques ont reçu de nombreuses subventions de la part du gouvernement en reconnaissance, apparemment, de leur rôle social : en 2012, 34 nouvelles bibliothèques ont été financées et 229 autres établissements rénovés avec à la clé 1 575 contrats d'embauche. Cependant, la pauvreté ne se résorbe pas avec plus de 48% des Sud-Africains qui vivent en dessous du seuil de pauvreté : une vingtaine de bibliothèques ont été brûlées ces dernières années, signe du mécontentement de la population.
Plus d’information dans le texte suivant traduit en français par Thomas Chaimbault (Enssib) : « La Charte de transformation des bibliothèques en Afrique du Sud : grandes orientations, cadre politique et professionnels de l'information », par Genevieve Hart et Mary Nassimbeni.
+ repères : autres avis et impressions complémentaires sur l’Ifla 2015
- Journal du congrès Ifla 2015 à Cape Town, par nicoAsLi :
- A jubilant Ifla conference opens in Cape Town”, George Eberhart, blog de l’American Library Association :
- Page Facebook de la conference Ifla 2015 :
- Compte Twitter d’Ifla 2015
(1) Ifla : International federation of library associations and institutions, fondée en 1927 et dont le siège social est à La Haye
(2) Stuart Hamilton joue un rôle non négligeable dans la représentation de l’Ifla au plan international sur un certain nombre de dossiers importants pour les bibliothèques : il suit depuis plusieurs années les discussions du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) à Genève et Paris, celles de l’Ompi et notamment l’adoption du traité de Marrakech en 2014.
(3) Voir à ce sujet la publication : Borgman, Christine L. – Big data, little data, no data. Scholarship in the Networked World. – Cambridge (Massachusetts) : The MIT Press, 2015. – xxvi, 383p. – ISBN 978-0-262-02856-1. Et le site : mitpress.mit.edu/big-data