Moment privilégié entre enfants et parents, l'heure du conte renforce leur liens tout en favorisant la réussite scolaire.
"Je n'aurais jamais imaginé qu'une bibliothèque publique puisse faire ça !" s'exclame Rebecca Sanchez en sortant de l'une des bibliothèques publiques de Brooklyn, à New York aux Etats-Unis. Cela faisait onze mois que ses deux enfants, âgés de moins de trois ans, n'avaient pas vu leur père, incarcéré à la prison de Rikers Island, à quelques kilomètres de là.
Interdite de visites "en personne", la famille a malgré tout pu partager un long moment par le biais de la vidéoconférence, dans une pièce spécialement aménagée de la bibliothèque, remplie de jouets et de livres. C'est l'objet du programme Telestory, lancé il y a deux ans dans quatre antennes de la Brooklyn Public Library.
Lire des livres ensemble
Les modalités du programme sont simples : la bibliothèque et la prison disposent d'une même collection de livres pour enfants. Un rendez-vous est pris au préalable entre le parent incarcéré et une bibliothécaire. A l'heure dite, l'enfant se rend à la bibliothèque où une liaison vidéo est établie. L'enfant ou le parent choisit ensuite un livre que chacun peut lire, feuilleter et commenter conjointement.
Bien sûr, les enfants ne peuvent pas toucher leur père lors de ces vidéoconférences, mais ils lui chantent des chansons et lisent des livres ensemble.
"Ce moment m'a semblé bien plus normal qu'une visite au sein de la prison", poursuit la mère de famille.
Répondre aux besoins d'information du 21e siècle
Lauréate du Knight News Challenge for Library, la BPL a reçu cet été près de 400 000 dollars de la part de la Knight Foundation afin de développer ce service dans huit antennes supplémentaires. Car selon la fondation, la BPL et son programme Telestory, répondaient correctement au défi posé par le challenge : "Comment les bibliothèques pourraient répondre aux besoins d'information du 21e siècle ?".
"Notre programme permet aux membres d'une même famille de partager un moment de lecture ensemble, explique Nick Higgins, directeur des services de proximité de la BPL ; à partir du moment où l'un d'entre eux est en prison, celui-ci devient en quelque sorte hors de la vue et de l'esprit, marginalisé. Si nous pouvons les aider à réintégrer la communauté de manière "publique" et accueillante, je pense que nous avons raison de le faire. Si la mission première des bibliothèques est d'être aussi accessibles et inclusives que possible pour l'ensemble de nos communautés, j'estime que nous sommes en phase avec notre mission".
Alphabétisation
Et Telestory n'est pas le premier programme dédié aux familles de détenus et aux personnes emprisonnées.
En plus d'un club de lecture dédié à la science-fiction organisé chaque semaine avec les détenus de la prison de Rikers Island, le personnel de la BPL a également lancé un programme d'alphabétisation pour les parents incarcérés baptisé "Daddy and me" (Papa et moi). Durant quatre semaines, les parents apprennent à leurs jeunes enfants à lire et à écrire, leur montrent comment se construit un récit et participent à l'enrichissement de leur vocabulaire. Choisissant des livres adaptés à l'âge de leur enfant, ils ont également la possibilité de s'enregistrer en leur faisant la lecture. Le dernier jour, les enfants reçoivent ces enregistrements ainsi que des livres et leur propre carte de bibliothèque.
Des millions de familles concernées, rien qu'aux Etats-Unis
Depuis deux ans, Telestory a "relié" environ 150 familles de multiples fois, pendant une heure, à raison de quatre ou cinq de famille par semaine, gratuitement.
Selon les responsables de la protection de l'enfance de l'Etat de New York, environ 105 000 enfants de l'Etat ont un parent en prison. En avril 2016, un rapport publié par la fondation Annie E. Casey estime que près de 5 millions de jeunes américains de moins de 18 ans ont une mère ou un père incarcéré.