3 questions à Laura Pagès, chargée de mission ressources et innovation numériques au grand équipement documentaire (Ged) du Campus Condorcet. Elle est également l'auteure d'un mémoire "Vers des bibliothèques de lecture publique sans livres imprimés ?" (Enssib, 2016).
En 2013, est apparue aux Etats-Unis la première bibliothèque municipale sans livres imprimés. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Alors qu’il trouve ses origines au sein des bibliothèques universitaires, le mouvement des bibliothèques sans livres imprimés ne s’est pas beaucoup étendu en matière de lecture publique. Depuis la création de la Bexar BiblioTech en 2013 au Texas, le comté de Bexar a ouvert une deuxième antenne en juillet 2015, la Dr. Romo BiblioTech, et projette d’ouvrir un troisième site d’ici quelques années. Il s’agit du premier et du seul réseau de bibliothèques de lecture publique sans livres imprimés au monde. Les villes de Houston au Texas et d’Omaha dans le Nebraska envisageraient également de construire de telles bibliothèques. À l’exception de la mise en place à titre expérimental et temporaire du Labo-Cité en 2014 lors de la fermeture pour rénovation de la bibliothèque de la Cité à Genève, aucune bibliothèque de ce type n’a encore vu le jour en Europe.
Quelles sont les conséquences de ce mouvement pour les bibliothécaires ?
Le métier de bibliothécaire évolue profondément dans le cas d'une bibliothèque sans livres imprimés. Si l’accueil physique des usagers reste fondamental, le travail au quotidien implique une meilleure complémentarité entre les espaces physiques et virtuels. Comme ils ne sont plus accaparés par le catalogage ou le rangement des collections imprimées, les bibliothécaires peuvent dédier la majeure partie de leur temps de travail au service des usagers pour mieux répondre à leurs questions. Enfin, la médiation documentaire numérique représente une partie intégrante du projet, l’objectif étant de rendre les lecteurs suffisamment autonomes et indépendants en matière numérique pour qu’ils deviennent des acteurs à part entière de la bibliothèque et de ses collections numériques.
Quel est le scénario d'évolution le plus probable : bibliothèque totalement numérique ou bibliothèque hybride ?
Si les bibliothèques municipales françaises conservent d’importantes collections papier, avec en moyenne 30,4 livres imprimés par mètre carré, on assiste à la multiplication d’établissements hybrides au sein desquels les bibliothécaires ne réfléchissent plus en termes de format ou de support, mais en termes de contenu. En démultipliant les possibilités d’usages, ces bibliothèques constituent un scénario d’évolution très crédible. À l’inverse, le modèle des bibliothèques totalement numériques semble être prématuré au regard des freins financiers, juridiques et techniques qui persistent : offre insuffisante et onéreuse, problèmes d’accès et de droits, manque de formation des agents. J’ai pu observer au cours de mes recherches certaines réserves de la part de nombreux bibliothécaires français à l’égard de ce nouveau type de bibliothèque. Il est nécessaire d’avoir plus de recul sur les quelques expériences de bibliothèques sans livres imprimés qui ont déjà été menées dans le monde avant d’étendre ce modèle en France.