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Propriété intellectuelle : tout savoir sur le périmètre d'exploitation

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    Notion pivot de la propriété intellectuelle, le périmètre d'exploitation commande toutes les stratégies d'exploitation des oeuvres : quels périmètres se faire céder par les auteurs pour couvrir toutes les exploitations envisagées ? (Freepik)
  • La notion de « périmètre d’exploitation » est fondamentale en matière de propriété intellectuelle. C’est une des différences essentielles entre propriété matérielle et propriété intellectuelle.

    Temps de lecture : 8 minutes


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    Gouvernance de l’information, données personnelles, propriété intellectuelle… Le droit de l’information est omniprésent. Les textes de référence peuvent être anciens ; parallèlement, internet et le numérique conduisent à une production importante de nouvelles législations françaises ou européennes.

    Les nouvelles questions juridiques sont pléthore : protection des données à caractère personnel (RGPD), réforme du droit d’auteur, text et data mining, blockchain… Avocats, juristes et spécialistes interviennent dans cette cinquième édition et délivrent avertissements et conseils pratiques.

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    enlightenedLire aussi : Droit d'auteur : un salarié ou un agent public est-il propriétaire de son oeuvre ?

    1. Définition de la notion de propriété « intellectuelle »

    Toute création émanant de l’esprit humain est protégée par un droit de propriété du créateur sur sa création. C’est notamment le cas des œuvres d’auteur, des marques, des brevets, des dessins et modèles.

    L’auteur dispose donc d’un droit de propriété sur son œuvre et ce « du seul fait de sa création » (article L.111-1 al. 1er du Code de la propriété intellectuelle), c’est-à-dire sans aucun dépôt ni autre formalité pour obtenir la protection.

    Si quelqu’un utilise l’œuvre d’un auteur (on dit « exploite », en droit d’auteur) sans son accord, c’est une sorte de vol, qualifié de contrefaçon en propriété intellectuelle. Il n’y a pas « vol », c’est-à-dire soustraction totale de l’œuvre à son auteur, mais utilisation de celle-ci sans l’accord de son propriétaire.

    C’est la différence entre un bien matériel dont on est dépossédé en bloc et un bien intellectuel, dont il est plus difficile de cerner les contours de la propriété.

    enlightenedLire aussi : Comprendre le droit d'auteur : qui est "auteur" ?

    2. De la connaissance, bien intellectuel…

    Faisons un détour par la philosophie de la connaissance et les États-Unis.

    Thomas Jefferson et le transfert de connaissance

    Thomas Jefferson, rédacteur de la Déclaration d’indépendance des États-Unis et un des premiers présidents de ce pays, s’est notamment opposé à la privatisation des idées et informations, qu’on nommait plus aisément « savoirs » à l’époque.

    Dans une lettre à Isaac McPherson datée du 13 août 1813, Jefferson explique :

    « He who recieves an idea from me, recieves instruction himself, without lessening mine; as he who lights his taper at mine, recieves light without darkening me »
    (« Celui qui reçoit une idée de moi reçoit un savoir qui ne diminue pas le mien, de même que celui qui allume sa chandelle à la mienne reçoit de la lumière sans me plonger dans l’obscurité »).

    Nous avons là - au passage - un des fondements de la liberté des idées et des informations, bien commun de l’humanité qui se partage librement par sa transmission, principe reconnu dans la plupart des pays du monde (Déclaration universelle des droits de l’homme de l’Onu de 1948 - art. 18 et 19 -, Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du Conseil de l’Europe, de 1950, art. 10, Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2012, art. 11).

    enlightenedLire aussi : Comprendre le droit d'auteur : les cas de pluralités d'auteurs

    3.… à la création intellectuelle, autre bien immatériel

    Si les idées et les informations ne sont pas protégeables en tant que telles, en revanche, leur agencement et mise en forme par un esprit humain dans une de ses créations formelles sont bien protégés, notamment par le droit d’auteur.

    Le Chapelier, rapporteur de la première loi française sur le droit d’auteur, déclarait le 13 janvier 1791 :

    « La plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable, et, si je puis parler ainsi, la plus personnelle de toutes les propriétés, est l’ouvrage fruit de la pensée d’un écrivain ; c’est une propriété d’un genre tout différent des autres propriétés ».

    La fin de la phrase attire notre attention sur la différence entre propriété intellectuelle et propriété matérielle classique.

    enlightenedLire aussi : Comprendre le droit d’auteur : qu’est-ce qu’une oeuvre ?

    4. En droit d’auteur

    L’œuvre d’un auteur est un bien immatériel, incorporel, propriété de son auteur, accessoirement incorporé dans un bien matériel qui serait le livre, le DVD, la toile peinte, etc. Mais que cède donc un auteur lorsqu’il cède « des droits d’auteur » ?

    L’affaire du Figaro

    Cette jurisprudence illustre pleinement la notion de périmètre d’exploitation. La direction du Figaro décide de mettre en ligne sur le serveur d’archives de presse de l’Européenne de données (le futur service Pressedd, récemment rebaptisée Tagaday) la totalité des articles de ses journalistes en version numérique.

    Les journalistes du Figaro assignent alors en justice leur direction au motif qu’ils n’ont pas donné leur accord pour cette reproduction de leurs œuvres.

    La direction fait observer que, les journalistes étant leurs salariés, elle n’avait aucune autorisation à demander dès l’instant qu’ils étaient rémunérés pour la rédaction des articles.

    Le 10 mai 2000, la cour d’appel de Paris remarque, au vu des textes en vigueur, que le salaire versé au journaliste ne rémunère que la reproduction des articles sur le seul support papier du journal. La direction du Figaro devait donc solliciter l’accord de ses journalistes pour reproduire leurs articles dans une base de presse, s’agissant d’une exploitation distincte de celle prévue pour le journal papier.

    À la même époque, pour les sites internet de presse naissants, quelques affaires ont mené aux mêmes décisions (Dernières Nouvelles d’Alsace, Le Progrès…). Des accords ont donc été passés entre la plupart des organes de presse et leurs journalistes aux termes desquels les rédacteurs cédaient leurs droits numériques moyennant une prime forfaitaire.

    enlightenedLire aussi : La loi Création, architecture et patrimoine : de nouvelles obligations pour la cession de droits d’auteur

    Un périmètre d’exploitation flagrant

    On voit ainsi qu’un auteur - fût-il salarié - ne cède jamais qu’une tranche d’exploitation bien délimitée à l’exploitant auquel il accorde des droits. Par ailleurs, une rémunération, quelle qu’en soit le type - salaire, rémunération d’éditeur, honoraires de photographe ou de graphiste, etc. -, ne signifie pas que l’auteur a cédé tous ses droits d’exploitation sur son œuvre, mais uniquement un périmètre d’exploitation soigneusement délimité.

    Par exemple, Archimag ne dispose pour le présent article que d’une autorisation de le reproduire dans l’exemplaire papier de la revue et dans sa version numérique en PDF ou en ligne. Mais l’auteur dispose de toutes les autres tranches d’exploitation, lui permettant de publier le même article dans un ouvrage, un support de formation ou ailleurs.

    enlightenedLire aussi : Droit de l’information : attention à la pluralité de points de droit !

    Le périmètre d’exploitation, condition de validité des actes de cession de droits

    La cour d’appel de Paris a tout simplement fait application de la loi. L’article L.131-3 alinéa 1er CPI stipule :

    « La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. »

    Il s’agit donc bien de l’exigence — sans laquelle la cession des droits est nulle — de mentionner dans l’acte des éléments du périmètre d’exploitation cédé :

    • mention distincte des divers droits d’exploitation cédés (représentation, reproduction, traduction…) ;
    • délimitation du domaine d’exploitation :
      - quant à l’étendue et à la destination ;
      - quant au lieu ;
      - quant à la durée.

    Si l’une quelconque de ces mentions fait défaut, la cession des droits est nulle ; les juges peuvent déclarer le contrat nul et l’exploitant contrefacteur.

    Un arrêt de la Cour de cassation a ainsi rappelé que « des clauses trop générales dans un document contractuel ne sauraient rendre valide la cession des droits d’exploitation de l’auteur » (Civ. 1ère, 12 juillet 2006).

    Un arrêt de la cour d’appel de Versailles (1ère chambre, 1ère section, 22 février 2019) rappelle notamment que « le contrat de cession est d’interprétation stricte et l’auteur d’une œuvre peut exiger que celle-ci ne soit pas utilisée à d’autres fins que celle qu’il a autorisées ».

    enlightenedLire aussi : Originalité de l'oeuvre : tout savoir sur cette notion du droit d’auteur

    5. Le cas emblématique des photothèques

    Un cas de figure illustre particulièrement l’incidence du périmètre d’exploitation dans nos métiers. Nombreux sont les fonds photographiques au sein desquels sont stockés des monceaux d’images fournies par des photographes (internes ou externes, peu importe ici) et pour lesquelles, même si on connaît leurs auteurs, il est impossible de les réutiliser puisque rien n’établit quel périmètre d’exploitation l’auteur a cédé à l’entreprise.

    Pendant longtemps, on n’a pas fait signer de contrats écrits aux auteurs, d’où l’absence d’élément pour mesurer ce périmètre, notamment en termes d’étendue de l’exploitation (pour un seul support ? pour tous ?) et de durée (obligatoirement définie dans l’acte).

    Ce que nous analysons pour des images vaut également pour un texte écrit pour le compte d’une entreprise : il faut préciser dans l’acte de cession quel sera le périmètre dont l’entreprise sera cessionnaire pour exploiter le texte, spécialement quant aux supports et aux publics visés (étendue et destination) : sur un intranet ? si oui, pour quels publics ? sur internet ? Mais aussi quant à la durée d’exploitation concédée.

    enlightenedLire aussi : La durée de protection des droits d'auteur dans le monde

    Le périmètre d'exploitation : Ce qu'il faut retenir :

    Le périmètre d’exploitation est cette notion pivot essentielle à bien intégrer dans sa culture juridique professionnelle. Elle commande toutes les stratégies d’exploitation des œuvres dans un cadre professionnel : quels périmètres se faire céder par les auteurs pour couvrir toutes les exploitations envisagées ?

    Clés juridiques :

    Code de la propriété intellectuelle, surtout : article L.111-1 al. 1er, article L.131-3 al. 1er.

    Didier Frochot
    www.les-infostratèges.com

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