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Extension des activités en bibliothèque : toujours plus de missions ?

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    Les médiathèques n’ont cessé de diversifier leurs activités culturelles. Elles ont mis en place des cours de langue, des grainothèques, des fablabs, ou encore des séances d’aide à la rédaction de CV pour les usagers les plus démunis. (freepik)
  • Alors qu’elles ne cessent de multiplier les activités et services proposés à leurs usagers, les bibliothèques se tournent progressivement vers le modèle du tiers-lieu, un concept qui ne semble critiqué qu’aux marges de la profession.

    enlightened CET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°375

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    Au sommaire :

    - Dossier : comment faire (re)venir les publics en bibliothèque ?
    Bibliothèques : panorama d'initiatives pour attirer les publics et créer du lien
    - Le marketing en bibliothèque : une offre et des usagers


    Lors de son congrès qui s’est tenu l’an dernier à Dunkerque, l’Association des bibliothécaires de France (ABF) avait placé le thème de la politique documentaire au centre de ses débats. La fameuse PolDoc reste en effet "un sujet central et en perpétuelle évolution", selon l’ABF.

    Il est vrai qu’en quelques décennies, les collections des bibliothèques se sont en effet ouvertes aux objets documentaires les plus variés : disques vinyle, CDRom, DVD, jeux vidéo… Certains établissements sont allés encore plus loin, comme la bibliothèque universitaire de La Roche-sur-Yon, en Vendée (85), qui propose aux étudiants d’emprunter des ustensiles qu’ils n’ont pas les moyens de s’acheter : assiettes, couverts, saladier, autocuiseur, marteau, tournevis, pince…

    En Normandie, c’est l’intercommunalité de Bayeux, dans le Calvados (14), qui a lancé un projet similaire avec le prêt d’instruments de musique et de matériel dédié à l’image et au son. Ils sont accessibles gratuitement dès l’âge de 11 ans après la signature d’une charte. La durée d’emprunt est identique à celle des collections classiques (quatre semaines) sans prolongation. Et à Paris, ce sont désormais huit médiathèques qui proposent aux usagers d’emprunter des guitares, des percussions, des ukulélés et des synthétiseurs.

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    Être au service de la population

    "Ces dernières années ont également vu l’apparition des jeux de société en bibliothèque et tout un ensemble d’activités autour de l’écologie", confirme Xavier Galaup, responsable de la commission Plaidoyer/Adocacy au sein de l’ABF. "Les bibliothèques ont multiplié les activités là où on ne les attend pas forcément, comme la fabrication de cosmétiques, l’aide à la réduction de l’impact environnemental et, depuis quelque temps, des ateliers dédiés à l’intelligence artificielle. Les bibliothèques se saisissent plutôt rapidement de toutes ces évolutions. En Suisse, j’ai vu une bibliothèque proposer des prêts de cravate pour les usagers qui doivent passer un entretien d’embauche ! Il s’agit d’une extension du domaine des collections vers une logique sociale afin d’aider les usagers".

    De fait, les médiathèques n’ont cessé de diversifier leurs activités culturelles. À côté des traditionnels clubs de lecture et des rencontres avec des auteurs, elles ont également mis en place des cours de langue, des grainothèques, des fablabs, ou encore des séances d’aide à la rédaction de CV pour les usagers les plus démunis.

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    Légende : Xavier Galaup, responsable de la commission Plaidoyer/Adocacy de l’ABF. (DR)

    Ces initiatives sont bien accueillies par les usagers et témoignent des capacités d’adaptation des bibliothécaires. Mais elles soulèvent une question inédite : jusqu’où doivent aller les missions des bibliothèques ? "Elles vont continuer à enrichir leurs prestations en fonction de leurs moyens", estime Xavier Galaup. "Il s’agit pour elles de s’adapter à leur contexte et à l’évolution de la société tout en restant dans les missions culturelles et éducatives des bibliothèques".

    Autre question : ces nouvelles missions qui s’ajoutent aux tâches traditionnelles se font-elles au détriment du cœur de métier des bibliothécaires ? "Je ne le pense pas", poursuit-il. "Les collections restent au centre des missions, ainsi que la médiation et l’action culturelle en lien avec les collections. Les bibliothèques ne peuvent pas s’affranchir des préoccupations et des besoins éducatifs et sociaux de la société. Leur objectif est d’être, autant que possible, au service de la population". 

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    Peut-on encore parler de bibliothèques ?

    La question de l’identité des bibliothèques n’est pas nouvelle. Au début des années 2000 est apparue la notion de bibliothèque comme "troisième lieu". "Véritables lieux de vie, centres culturels communautaires, ils fédèrent leurs usagers autour de projets culturels et sociaux", écrivait Mathilde Servet dans un mémoire d’études de l’Enssib en 2009. "Ils proposent une offre élargie et des services novateurs. Ils n’hésitent pas à recourir à des techniques issues du marketing et s’inscrivent dans la compétition de l’univers marchand. Peut-on encore parler de bibliothèques ?".

    À la même époque, le sociologue Bruno Maresca dressait un constat : "l’affaiblissement de la pratique assidue de la lecture livresque, que les enquêtes sur les pratiques culturelles des Français observent depuis les années 1970, est l’une des principales tendances habituellement convoquées lorsqu’on s’interroge sur l’avenir des bibliothèques". 

    En France, plusieurs établissements se revendiquent tiers-lieu : la médiathèque de Saint-Hilaire-de-Riez, en Vendée, la bibliothèque Louise Michel, à Paris, ou encore la médiathèque Estaminet de Grenay, dans le Pas-de-Calais…

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    Légende : Atelier d’initiation à la technique du cyanotype organisé en avril 2024 à la médiathèque de Saint-Hilaire-de-Riez. (Médiathèque de Saint-Hilaire-de-Riez) 

    D’autres encore font le choix de s’installer hors les murs, comme les bibliothèques de Vannes, dans le Morbihan, qui travaillent avec le Service pénitentiaire d’insertion probatoire (SPIP) du département pour apporter la lecture en milieu carcéral. Les bibliothécaires proposent des présentations d’ouvrages aux détenus ainsi que des rencontres avec des auteurs. "Plus structurellement, les médiathèques de Vannes mettent à disposition de la Maison d’arrêt un agent, pour six demi-journées par an, affecté à la gestion de sa bibliothèque : désherbage, réaménagement, rangement, valorisation des collections, acquisition de mobilier…", explique Françoise Le Viavant, directrice des médiathèques de Vannes. "Quant à l’informatisation de la bibliothèque de la Maison d’arrêt, elle est assurée en lien avec l’agence régionale Livre et lecture de Bretagne".

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    "Tonton grincheux" n’aime pas les bibliothèques troisième lieu

    Difficile, semble-t-il, de trouver une voix discordante face à ce mouvement d’élargissement continu des missions confiées aux bibliothèques. Il faut se tourner vers des collectifs politisés ou syndicaux pour trouver une critique des bibliothèques tiers-lieu : "c’est une arnaque inspirée du marketing", pouvait-on lire dans la tribune "Et tout le monde déteste le Tiers lieu !", publiée en réaction à la fermeture de bibliothèques municipales à Grenoble, en mai 2017, et qui a ensuite fait grand bruit au sein de la profession. "Les nouvelles bibliothèques se construisent en fonction de critères dictés par le marketing. On répète d’ailleurs dans les formations de bibliothécaires qu’il faut passer de "la logique de l’offre à la logique de la demande". Les bibliothèques n’ont pourtant rien à vendre…".

    Autre voix dissonante, celle du conservateur de bibliothèques Bertrand Calenge (disparu en 2016) qui ironisait sur "ce fameux troisième lieu [qui] chante la gloire d’espaces accueillants et ouverts, autorisant de multiples postures, facilitant la diversité des comportements, offrant l’opportunité d’un havre chaleureux entre la maison et le travail. Bref, une sorte de club anglais en plus moderne et moins fermé. Rien que de très séduisant dans cette perspective…". 

    Se qualifiant lui-même de "tonton grincheux", Bertrand Calenge voyait dans les bibliothèques troisième lieu "une intention consumériste, mettant l’accent d’abord sur la dimension "cocooning" du dit lieu, attentive aux revendications individuelles du travailleur fatigué et du consommateur las d’avoir vidé son porte-monnaie".  

    Pour autant, Bertrand Calenge n’était pas hostile à la réflexion, lui qui plaidait pour "des bibliothèques largement ouvertes". Il militait également en faveur de la réorganisation des services "pour faciliter l’entrée de chacun dans cette maison commune. C’est évidemment indispensable". 

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    Rencontre avec Stéphane Roder, le fondateur du cabinet AI Builders, spécialisé dans le conseil en intelligence artificielle. Également professeur à l’Essec, il est aussi l’auteur de l’ouvrage "Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise" (Éditions Eyrolles). Pour lui, "l’intelligence artificielle apparaît comme une révolution pour l’industrie au même titre que l’a été l’électricité après la vapeur".

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