Le Défenseur des droits demande le maintien du support papier dans les relations entre l'administration et les usagers. Il souhaite également affecter une partie des économies engendrées par la dématérialisation à l'accompagnement des millions de citoyens éloignés du numérique.
A rebours du discours dominant sur les bienfaits de la dématérialisation, le Défenseur des droits met en garde contre les inégalités d'accès aux services publics en ligne. Dans un rapport dévoilé aujourd'hui, Jacques Toubon dresse un constat : 7 millions de personnes (12 % de la population française) ne se connectent jamais à internet. Et 18 millions de citoyens s'estiment incompétents lorsqu'il s'agit d'utiliser un service public en ligne.
"La dématérialisation des services publics supprime les distances mais elle crée également des obstacles. Il existe un risque d'exclure un certain nombre de citoyens car il n'y a pas d'égalité dans l'accès à internet en France" constate le défenseur des droits. De fait, de nombreuses zones blanches empêchent les usagers de se connecter à internet. Cette carence se constate surtout dans les zones rurales mais aussi dans les territoires ultra-marins où le taux de raccordement atteint seulement 50 % contre 81 % à l'échelle nationale. L'outre-mer est par ailleurs pénalisé par un coût d'accès supérieur de 40 % par rapport à la métropole.
Pas de SMS et une radiation de Pôle emploi
Au-delà des chiffres, Jacques Toubon déclare avoir été saisi de milliers de réclamations sur les difficultés rencontrées par les usagers face à la généralisation de la dématérialisation des démarches administratives. C'est le cas d'un usager qui a été radié de Pôle emploi en raison de deux absences à des rendez-vous fixés par son conseiller. Habitant en zone blanche, il n'a jamais reçu les courriels de convocation ni les SMS sur son téléphone portable. A la suite de l'intervention du défenseur des droits, Pôle emploi est revenu sur la sanction qu'il avait prise à l'égard de ce demandeur d'emploi.
Alors que l'Etat est engagé dans un vaste programme de dématérialisation des services publics, Jacques Toubon recommande au gouvernement de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Il propose notamment de "préserver plusieurs modalités d'accès aux services publics pour qu'aucune démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée". Concrètement, un usager pourrait continuer de communiquer avec l'administration par téléphone (un moyen plébiscité par les usagers) et via un support papier. Ces deux canaux coexisteraient avec les plateformes dédiées à l'administration électronique.
Accompagner et financer
Avec près de 13 millions de personnes éloignées du numérique, le Défenseur des droits souhaite également mieux repérer et accompagner ces citoyens en difficulté. Cela pourrait passer par les 1 300 Maisons de service au public auxquelles peuvent s'adresser les citoyens lorsqu'ils rencontrent une difficulté avec l'administration. Mais aux yeux de Jacques Toubon, la moitié de ces établissements ne sont pas en mesure de répondre aux besoins numériques des usagers. Renforcer les moyens de ces Maisons de service au public devra donc passer par une augmentation de leurs moyens.
Le défenseur des droits préconise de "redéployer une partie des économies procurées par la dématérialisation des services publics vers la mise en place de dispositifs pérennes d'accompagnement des usagers".
Des sites officiels concurrencés par des sites commerciaux
Autre recommandation du rapport, mieux prendre en compte les besoins de publics spécifiques comme les personnes placées sous tutelle, les handicapés ou les détenus.
Selon Jacques Toubon, il y va de l'intérêt de l'Etat de mettre en oeuvre ces mesures sous peine de voir les sites gouvernementaux concurrencés par des sites commerciaux. Ce phénomène est notamment apparu en 2017 à l'occasion des dysfonctionnements du site dédié à la demande de cartes grises. Des centaines de milliers de demandes n'ont pu être satisfaites en raison d'anomalies informatiques. Des sites commerciaux se sont alors engouffrés dans la brèche pour proposer des prestations payantes. L'un d'entre eux se disait même "habilité par le ministère de l'Intérieur et agrémenté par le Trésor public" pour se livrer à son commerce.