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Des archives à la mairie de Bordeaux, il y a plus d’un pas ! Pouvez-vous nous expliquer votre parcours peu commun ?
Je suis bordelaise depuis toujours. Après des études d’histoire, et sans trop savoir encore ce que je voulais faire de ma vie, j’ai postulé un peu par hasard auprès du département et ai été embauchée aux archives départementales de la Gironde en tant que chargée de mission pour le classement des fonds de la Seconde Guerre mondiale.
J’ai donc appris les archives sur le tas, au contact d’excellents conservateurs qui m’ont beaucoup appris.
Parallèlement, ayant un véritable goût pour l’informatique — mon père m’avait mise très tôt au MS-Dos —, je me suis familiarisée rapidement avec les logiciels d’informatisation des archives. Sont venues ensuite les questions des métadonnées, de l’encoded archival description (EAD), de la normalisation, puis de l’archivage électronique. J’ai très vite compris l’intérêt de la rétroconvertion des instruments de recherche pour les mettre à la disposition du grand public, celui de la normalisation des producteurs et des métadonnées.
J’ai donc un parcours d’autodidacte, en formation interne. Ce fut un peu comme une nouvelle langue, apprise très tôt auprès de bons collègues (des services informatiques notamment), ce qui a finalement rendu cet apprentissage assez simple.
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Mais alors comment avez-vous forcé la porte de la mairie de Bordeaux ?
Je suis rentrée à Europe Ecologie Les Verts (EELV) en 2011, dont j’ai rapidement intégré le bureau de Bordeaux, puis ai été élue d’opposition avec Pierre Hurmic en 2014. Nous étions alors les deux seuls écologistes.
Cette période de 6 ans, passée dans l’opposition, fut très complexe et frustrante de ne pas voir avancer les projets qui nous tiennent à cœur. Au point que j’avais demandé à être en position non éligible si nous perdions les élections de 2020. Et puis nous avons gagné ! Je me suis donc retrouvée adjointe au maire de Bordeaux !
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Vous avez poussé un signal d’alerte sur les archives juste après votre élection. Pourquoi ?
J’ai passé un coup de fil au directeur des archives municipales dès le dimanche de l’élection car j’étais très inquiète. Et ce à juste titre, car je me suis rendue au cabinet de la mairie très rapidement et y ai trouvé plein de sacs remplis de confettis. Et tout était vide !
Le cabinet sortant a beaucoup détruit et certainement emporté pas mal de choses. Je considère qu’il s’agit à la fois d’une faute grave pour l’histoire de la ville, mais aussi administrativement et démocratiquement parlant. C’est même une aberration intellectuelle. Heureusement, certains élus sortants ont versé leurs archives, mais tous les élus devraient être sensibilisés à cette question.
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Vous êtes donc en charge de l’administration générale, de l’évaluation de la politique et de la stratégie de la donnée…
C’est un triptyque primordial et très réfléchi. Sans l’administration et les ressources humaines, et donc les agents, on peut difficilement évaluer la mise en place des politiques publiques. Pour cela, il nous faut des bilans ! Et sans donnée capitalisée (une administration en produit énormément), on ne peut pas réaliser d’évaluation qualitative ou quantitative.
J’ai d’ailleurs choisi les termes « stratégie de la donnée » et pas « du numérique » car je tenais justement à valoriser la donnée et son potentiel. Cette richesse des collectivités territoriales est selon moi sous-exploitée aujourd’hui et impacte toute la question de l’open data et donc de la transparence de l’action publique. Nous avons pris trop de retard sur ces sujets et je voulais les porter politiquement.
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Vous êtes également chargée du numérique de Bordeaux Métropole. Quels sont les enjeux de votre mandat ?
Pour la métropole, il y a d’abord un grand enjeu autour de la mutualisation et de la convergence de toutes les applications utilisées afin de réaliser de véritables économies. Vient ensuite celui de la sobriété numérique, car tous les terminaux et les applications consomment beaucoup d’énergie et de ressources naturelles. Nous devons donc les utiliser de façon raisonnable et raisonnée.
Le volet de l’inclusion numérique est également primordial car toute une partie de la population reste encore aujourd’hui exclue du numérique. La question du numérique responsable au service de tous est donc un vrai sujet. Il est aussi nécessaire de réorienter les politiques publiques vers les communs numériques.
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En matière d’e-administration, quels sont les chantiers ?
Nous devons bien sûr gérer tous les chantiers légaux de dématérialisation, comme celui des permis de construire, par exemple. Mais nous avons parallèlement un vrai travail à faire sur la modernisation de l’administration. Lors de mes débuts en tant qu’adjointe au maire de Bordeaux, j’ai été surprise d’y découvrir une gestion administrative quelque peu… archaïque.
Par exemple, il n’y a pas de gestion de courrier informatisée avec un suivi de la relation usager. Et, je suis estomaquée de découvrir le nombre de sujets traités sur des tableurs Excel ! C’est très problématique, que ce soit en termes de sécurité ou de temps perdu par les agents. Tout un travail sur la qualité de la donnée doit aussi être engagé.
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La décarbonisation du numérique est-elle un sujet pour vous ?
C’est un autre enjeu majeur, en effet. Car le numérique est responsable de 4 % de la production mondiale de gaz à effet de serre (GES) et celle-ci augmente de 8 % par an. Il faut absolument agir.
Heureusement, la région Nouvelle-Aquitaine a déjà commencé à travailler sur une feuille de route du numérique responsable auprès de tous les acteurs économiques, dans laquelle la métropole doit s’inscrire.
Bordeaux dispose d’un réseau d’acteurs du numérique très dynamique. En tant que membre du conseil d’administration de la French Tech de Bordeaux, je pose régulièrement ce sujet sur la table. J’essaye d’expliquer à ces entreprises qu’il en va de la résilience de leur propre écosystème : comment s’adaptera-t-il à l’injonction, déjà présente, de réduction des émissions de GES ?
C’est dès la conception d’un nouveau produit, d’un logiciel, ou dès que l’on crée un besoin ou un nouvel usage, qu’il faut y penser. Et ce avec les communs du numérique, avec l’open source, et en supprimant l’obsolescence programmée des outils. C’est absolument primordial !
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Et pour les autres entreprises ?
Toutes les entreprises peuvent s’emparer de ce sujet. Faire un bilan carbone est assez facile puisque ce ne sont pas les réseaux ou les serveurs qui polluent le plus. 80 % des GES viennent du matériel (ordinateurs, téléphones, etc.). La question de sa durabilité est donc essentielle.
Nous réfléchissons à la façon d’accompagner les entreprises pour réaliser leur bilan carbone, mais aussi, plus globalement, dans leur cycle de vie. Par exemple, si un artisan adopte un outil de logistique numérique, cela contribuera peut-être à réduire ses déplacements en voiture et donc sa production de GES.
Être écologiste ne veut pas dire être pour la décroissance. Cela veut dire rationaliser, être plus sobre et économe, et changer nos habitudes avec une vision plus globale des choses. Je milite pour un numérique à l’impact positif pour la planète et pour l’humain.
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En tant qu’archiviste et écologiste, quels sont vos sujets de préoccupation ?
Je suis préoccupée par une question dont j’ignore la réponse : je me demande comment nos archives et notre patrimoine seront conservés sur le temps très long, notamment en tenant compte de la problématique énergétique. Concrètement, la question du dérèglement climatique est-elle prise en compte au niveau des Archives nationales ?
Par exemple, nos bâtiments nécessitent beaucoup de ventilation et de climatisation, mais comment fera-t-on quand l’énergie viendra à se tarir ? Je suis sans doute très pessimiste, mais on sait tous que l’objectif des 2 degrés de l’accord de Paris est inatteignable et que les archives sont souvent la cinquième roue du carrosse.
Bien avant de couper l’énergie d’un hôpital, ce sera sûrement celle des archives qu’on débranchera. Il serait donc intéressant que les archivistes s’approprient la problématique du dérèglement climatique.