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"L’intelligence artificielle apparaît comme une révolution pour l’industrie au même titre que l’a été l’électricité après la vapeur", écrivez-vous. En 2024, quel est l’impact de l’IA sur l’économie ?
Cet impact est très important dès que l’on place l’intelligence artificielle au bon endroit. Lorsque c’est le cas, l’entreprise parvient alors à augmenter sa compétitivité : elle optimise ses coûts opérationnels et son rendement. Elle est plus performante sur son marché comme sur la qualité client. Comme lorsque l’électricité a été inventée, il y aura une rupture entre les entreprises qui ont adopté l’IA et celles qui ne l’auront pas fait.
C’est le cas par exemple de nouveaux entrants sur le marché de l’assurance. Il y a quelques années, une petite société spécialisée dans l’assurance habitation a mis en place une solution très simple : l’assuré prend trois photos d’un sinistre et répond à seulement trois questions.
Dans 70 % des cas, il est remboursé dans les 90 secondes. Cette offre, qui n’existait pas auparavant sur le marché, constitue une vraie rupture, et ses coûts sont dix fois moindres que ceux d’un assureur classique.
L’IA donne lieu à de multiples définitions. Quelle est la vôtre ?
L’IA, c’est de la statistique, de la mathématique appliquée à tous les postes de l’entreprise. Un cap a été franchi avec le développement de grands modèles de langage, comme ChatGPT, qui sont désormais capables de traiter de très importants volumes de données. Alors qu’un humain est capable de traiter une quinzaine de paramètres - une cinquantaine pour un génie -, l’IA peut en gérer 3 000, 30 000 ou 300 000 sans problème. Elle permet notamment de mieux comprendre les documents non structurés, de prendre de meilleures décisions et de capter des signaux faibles.
C’est beaucoup, mais l’IA n’est que cela. Elle n’est pas en mesure de rivaliser avec d’autres formes d’intelligence humaine telles que l’intelligence conceptuelle ou l’intuition. Encore une fois, cette intelligence artificielle n’est valable qu’à certains endroits.
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L’IA génère de nombreuses craintes et fantasmes. Faut-il la démystifier ?
Il faut en effet la démystifier rapidement, car ces craintes empêchent les collaborateurs de s’emparer de l’IA par peur d’être dépassés. Il faut expliquer que l’IA n’est qu’une recommandation dans une chaîne de traitement : l’humain doit rester en responsabilité.
Il se rejoue avec l’IA ce qui s’est produit ces dernières décennies lors de l’apparition de la bureautique, puis des suites métiers. Il est important de rassurer les collaborateurs : l’IA va leur rendre des services et non pas les remplacer.
Que sont les LLM (large language models) et qu’apportent-ils à l’IA ?
Les LLM sont apparus en 2017 et désignent une nouvelle structure de cellules de réseau de neurones récurrents. Il y a une dizaine d’années, l’IA était capable de comprendre le sens de la phrase et son contexte, mais uniquement sur des phrases courtes. Aujourd’hui, le NLP (natural language processing) et ces nouveaux modèles de langage permettent de comprendre les grandes phrases.
Ces grands réseaux de neurones sont capables de capter non seulement le sens de la phrase, mais également des règles du sens commun. Par exemple, lorsque je prends une brosse à dents, je mets du dentifrice. L’IA l’a appris, car on lui a fourni des centaines de milliards de mots qui proviennent de phrases écrites par des humains et qui reprennent donc leurs raisonnements. Les LLM rendent possible cette prouesse et chacun peut le constater en utilisant ChatGPT.
Pour autant, lorsque l’on réalise des tests systématiques avec ChatGPT, son taux d’erreur est très élevé ; de l’ordre de 40 % pour les premières versions ! Ce qui n’est pas compatible avec une utilisation en entreprise. Il y a donc encore du travail à fournir pour utiliser ces LLM dans des contextes professionnels avec un taux d’erreur acceptable.
Les éditeurs de logiciels sont de plus en plus nombreux à affirmer qu’ils intègrent de l’IA générative dans leurs solutions. Est-ce la vérité ou s’agit-il d’un discours marketing ?
Les éditeurs vont en effet pouvoir intégrer facilement ce type d’IA dans leurs logiciels. Deux mois après la sortie de ChatGPT, Salesforce utilisait cette IA pour certaines fonctionnalités. L’arrivée de ces modèles modifie l’interaction des utilisateurs avec leur poste de travail.
Nous sommes passés des moteurs de recherche qui fournissent des liens à une IA qui répond à des questions de façon argumentée. C’est un vrai changement de paradigme. CoPilot 365 va être intégré à la suite bureautique de Microsoft : cela change le standard des interactions que nous entretenons avec les applications. Les interfaces homme-machine (IHM) vont être bouleversées.
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L’IA est-elle en train de révolutionner l’organisation des entreprises, qu’il s’agisse des processus ou de leur organisation ?
Nous n’en sommes pas là. Certains métiers ont été optimisés, mais beaucoup d’autres ne le sont pas encore. Cela se fera étape par étape. La mise en qualité de la donnée coûte très cher et le recours à l’IA se fait d’abord là où il y a un fort retour sur investissement. Le moment arrivera où la donnée sera disponible de façon transversale dans toute l’entreprise et il sera alors possible de mettre en œuvre des modèles qui intègrent tous les paramètres de sa réussite.
Qu’en est-il au sein du service public ?
L’IA a d’abord été utilisée pour lutter contre la fraude fiscale, ce qui est très bien. Le puzzle se met en place, surtout sur les traitements encore manuels, mais c’est un long chantier en raison de la dimension de l’État. Lorsque ce sera le cas, les agents pourront consacrer plus de temps à la relation qu’ils entretiennent avec les citoyens.
Qui doit piloter l’intelligence artificielle dans les organisations ?
C’est le chief data officer (directeur des données), car l’utilisation de la donnée doit servir les objectifs stratégiques de l’entreprise. Ces décisions doivent être prises au niveau du comité de direction de l’entreprise. La direction des systèmes d’information (DSI) n’intervient qu’au moment d’opérer, car l’IA est un système d’information parmi d’autres.
Que sait-on de l’acceptation de l’IA par les salariés ?
Cela dépend du secteur de l’entreprise et de sa propre maturité. Certains secteurs, comme celui des assurances ou de la banque, sont très matures. D’autres, moins digitalisés, ne le sont pas suffisamment. C’est le cas du bâtiment, par exemple, alors que les dirigeants en perçoivent le besoin. Cela doit passer par un accompagnement au changement et une phase d’acculturation. Tout ce travail reste à faire.
Existe-t-il un fossé générationnel entre les jeunes, a priori aguerris aux enjeux numériques, et les plus anciens ?
Oui, il y a un peu de ça, mais on constate que ChatGPT intéresse toutes les générations. La difficulté est d’intégrer l’IA dans les métiers, auprès des professionnels.
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Quelles sont les fonctions les plus avancées dans l’adoption de l’IA ?
Le marketing s’est très tôt intéressé à l’intelligence artificielle et fait figure de précurseur. Mais il existe des fonctions qui n’ont pas encore été servies par le digital, notamment les ressources humaines, qui sont pourtant demandeuses d’automatisation de leurs processus.
À ce jour, l’IA est-elle réservée aux grands comptes ou bien peut-elle être déployée dans toutes les entreprises ?
L’IA a longtemps été réservée aux grands comptes, car il n’y avait rien sur l’étagère et il fallait tout développer. Des produits standards vont bientôt faire leur apparition et seront progressivement déployés par des intégrateurs dans les entreprises de taille intermédiaire.
De son côté, Microsoft va mettre l’IA à la portée des PME grâce à l’intégration de CoPilot dans sa suite bureautique. À ce jour, les PME n’ont pas les moyens de développer leurs propres programmes d’intelligence artificielle.