Comme dans de nombreux secteurs professionnels, les professionnels de l'information-documentation sont confrontés à de sévères baisses de leur budget de fonctionnement. Loin de se décourager, certains documentalistes en profitent pour réviser leurs méthodes de travail en misant sur la négociation avec les fournisseurs, la mutualisation et le recours aux logiciels gratuits.
Aucun secteur n'échappe aux restrictions budgétaires. Pas même les centres de documentation qui paient un lourd tribut à la crise financière. Au mieux, leurs budgets de fonctionnement stagnent ; au pire, les effectifs sont revus à la baisse quand ils ne sont tout simplement pas supprimés. Mais cette crise est également l'occasion pour les documentalistes de mettre en place de nouvelles façons de travailler.
C'est la voie suivie par le réseau de documentalistes de la Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU). Face aux restrictions budgétaires, leur stratégie s'est d'abord focalisée sur les acquisitions de ressources documentaires. Face aux éditeurs et fournisseurs d'information, certains documentalistes négocient désormais systématiquement tous les marchés. Ces négociations portent par exemple sur l'obtention d'un pack papier-numérique ou sur le prix des abonnements. Une documentaliste, qui a obtenu une baisse de 20 % sur un abonnement, livre quelques conseils : « Il faut faire jouer l'ancienneté et la fidélité de la relation commerciale avec les fournisseurs d'information. Nous proposons également de leur fournir quelques-unes de nos propres publications. Ces petits gestes aident à négocier. Dans le cas d'abonnements à des ressources numériques, la négociation peut également se faire autour du nombre d'accès autorisés ».
De façon plus expéditive, le coût des ressources documentaires peut également être réduit en supprimant les titres peu ou pas consultés. La démarche demande du doigté afin de ne pas heurter les usagers, mais elle est de plus en plus fréquente. On se souvient de la récente vague de désabonnements survenue dans les bibliothèques universitaires françaises (et étrangères) confrontées à une double difficulté : une baisse de leurs budgets et d'importantes hausses des tarifs d'abonnement. L'université Pierre et Marie Curie (Paris) n'avait eu d'autre choix que de se désabonner de la version électronique de la prestigieuse revue Sciences. Rappelons que l'éditeur AAAS avait augmenté le prix de cet abonnement de... 100 % avant de se raviser à 47 %.
Mutualisation et mise en commun
Autre piste empruntée par les documentalistes de la FNAU, celle de la mutualisation et de la mise en commun. Les 52 agences de la Fédération nationale des agences d'urbanisme peuvent accéder à la base de données Urbamet lancée en 2000 par le ministère de l'Équipement et la région Île-de-France. On y trouve plusieurs milliers de références dans les domaines de l'habitat, des transports et de l'urbanisme dont certaines sont consultables en accès intégral. Quant au portail Urbadoc, grand frère européen d'Urbamet, il propose plus d'un million de notices produites par des institutions italienne, allemande, espagnole et britannique. Mais c'est surtout le forum alimenté par le réseau FNAU qui fait office de mutualisation : « Il s'agit d'un forum très réactif au sein duquel beaucoup d'informations sont échangées. Les membres se connaissent et, du coup, interviennent rapidement pour venir en aide à ceux qui en ont besoin. Presque aucune question ne reste sans réponse », souligne une documentaliste.
La mutualisation peut également se jouer au niveau de la formation continue. Après négociation, 18 documentalistes de la fédération ont suivi une formation pour un prix total de 6 000 euros soit 333 euros par personne pour deux jours. Une baisse appréciable alors que le coût moyen d'une journée de formation dans le domaine de la documentation se situe à environ 500 euros !
« Les éditeurs de logiciels font preuve d'une grande souplesse ! »
Du côté informatique, les services de documentation ont appris à négocier avec les éditeurs depuis belle lurette. La crise financière n'a fait qu'amplifier la tendance. « Les éditeurs se sont adaptés au marché et à nos restrictions financières en proposant des solutions à la carte autour de briques fonctionnelles. Ils intègrent même des outils gratuits dans leurs logiciels. Ils font preuve d'une grande souplesse ! », constate une documentaliste de la FNAU.
Comme les particuliers, les gestionnaires de l'information font appel à une multitude de services gratuits ou à faible coût : l'agrégateur Feedly pour lire les flux RSS (la version gratuite est très performante et une version payante est disponible autour de 40 euros), Twitter et Facebook pour faire de la veille, Flickr pour la photothèque, Scoop It pour le partage des résultats de veille... Les logiciels libres PMB et Drupal peuvent également être déployés pour des projets de gestion de contenu.
Toutes ces initiatives ne sont pas sans effet sur les missions confiées aux documentalistes. « Nous devons gérer des flux d'information de plus en plus instantanés et hétérogènes alors que les restrictions budgétaires empêchent tout recrutement. Par ailleurs, de nouvelles tâches nous sont confiées comme l'administration de sites web, la communication ou l'évènementiel... Ces évolutions sont aussi l'occasion de nous adapter à un milieu fortement évolutif et à nous positionner sur la base de nouvelles compétences. Il faut en profiter pour inscrire nos missions dans une nouvelle perspective ».
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+ repères
Dans les bibliothèques, les désabonnements sont-ils des restrictions budgétaires ou des « actes partisans » ?
Au mois de janvier dernier, la médiathèque de la ville de Fréjus (Var) annonçait l’arrêt des abonnements au Figaro et à Libération. Une décision motivée par « une baisse sensible des consultations de périodique » selon Philippe Lottiaux le directeur général des services de la ville. Pour la directrice de la médiathèque, Catherine Lecat, « il s’agit de restrictions vraiment drastiques qui concernent l’ensemble de la ville et pas seulement la médiathèque ». Libération et Le Figaro ne sont donc plus proposés aux usagers, mais le maire de Fréjus, David Rachline (Front national), annonçait dans le même temps l’ouverture d’un abonnement à… Charlie Hebdo !
D’autres bibliothèques ont décidé de se désabonner aux périodiques sans que l’on puisse savoir s’il s’agit de décisions motivées par des restrictions budgétaires ou fondées sur des considérations politiques. Ainsi, à Puteaux (Hauts-de-Seine), plusieurs hebdomadaires ont disparu des rayons dès 2013 : Le Nouvel Observateur, Marianne, Le Monde Magazine… D’aucuns y ont vu un « acte partisan », car ces désabonnements ne concerneraient que des titres classés à gauche. Les opposants à la maire de la ville, Joëlle Ceccaldi-Raynaud (UMP), rappellent que l'édile s’était rendu célèbre en 2011 lorsqu’elle avait fait acheter tous les exemplaires du Canard enchaîné vendus dans les kiosques de Puteaux alors que l’hebdomadaire satirique évoquait l’existence d’un compte bancaire dans un paradis fiscal.