Les missions des professeurs documentalistes sont multiples et ont été renforcées par une circulaire publiée au mois de mars dernier. Mais les profs-doc demandent plus. Rencontre avec deux professionnelles.
Les Centres de documentation et d'information (CDI) célébreront leur 45e anniversaire en 2018. Apparus sous cette forme grâce à une circulaire de 1973, les CDI font figure de lieu à part au sein des collèges et des lycées. Les élèves s'y rendent volontiers pour y lire, y travailler au calme et découvrir des ressources documentaires qu'ils ne trouvent pas chez eux.
"Les CDI sont aussi des lieux d'enseignement, explique Aurélia Guyon coresponsable du Centre de documentation et d'information du lycée polyvalent Raphaël Elizé de Sablé-sur-Sarthe ; notre CDI est doté de trois salles de cours et nous sommes deux professeurs documentalistes à former les élèves à l'information-documentation afin de les rendre autonomes dans leurs recherches".
En poste depuis neuf ans au sein de cet établissement qui compte 1 300 élèves inscrits dans des filières générales et professionnelles, Aurélia Guyon affiche un double cursus : maîtrise d'anglais et Capes de professeur documentaliste. Comme ses collègues profs-doc, son emploi du temps est organisé autour de...
...trente heures effectuées au sein de l'établissement et de six heures à l'extérieur. "Mais les journées ne se ressemblent pas entre nos missions d'enseignement, de gestion des ressources et d'ouverture culturelle".
Jusqu'à 200 élèves par heure !
Toutes visites confondues, le CDI du lycée polyvalent Raphaël Elizé reçoit jusqu'à 200 élèves par heure ! Les cours qui y sont dispensés le sont parfois en partenariat avec d'autres professeurs. Les élèves de certaines filières sont invités à produire des dossiers documentaires.
"Nous leur apprenons à évaluer la fiabilité des sites d'information. Les élèves sont relativement conscients des risques de désinformation qui circulent sur les réseaux sociaux et sur les sites conspirationnistes. Mais il existe une perte de confiance qui se traduit par une grande suspicion à l'égard des médias traditionnels. Dans ce contexte, nous devons amener les élèves à s'interroger sur les sites qu'ils consultent", souligne Aurélia Guyon.
Pour autant, rien n'oblige un chef d'établissement à mettre en place des heures d'apprentissage de l'information-documentation. "Une circulaire publiée au mois de mars 2017 renforce notre mission. Pour la première fois, l'institution a écrit noir sur blanc que les professeurs documentalistes enseignent aux élèves la recherche documentaire. Cela nous a fait beaucoup de bien, mais c'est insuffisant", estime Aurélia Guyon.
Résultat : le nombre de profs-doc qui ne proposent aucune séance pédagogique est passé de 4 à 13 % en une année selon une enquête de de l'Association des professeurs documentalistes de l'éducation nationale (voir ci-dessous).
Objectifs pédagogiques
Autre mission confiée aux profs-doc : la gestion des ressources documentaires du CDI. Catalogues, ressources physiques et numériques doivent être administrés à la lumière des objectifs pédagogiques. Les suggestions des autres enseignants sont prises en compte dans l'élaboration de la politique d'acquisition. Sans surprise, les livres interdits aux mineurs n'ont pas leur place dans la liste d'achats...
Chaque année, le budget est préparé selon les projets en cours. La décision d'achat finale appartient à l'intendant de l'établissement qui tient les cordons de la bourse.
"Notre travail comprend également une part dédiée à l'ouverture culturelle de l'établissement. Nous mettons en place des partenariats avec des associations, des bibliothèques et des institutions culturelles, explique Aurélia Guyon ; par ailleurs, je mène un travail de veille qui se traduit par un bulletin de brèves d'informations culturelles. Il est important d'amener la culture au lycée et de conduire les élèves à l'extérieur".
Mais si ces missions lui apportent de nombreuses satisfactions, la professeure documentaliste fait part de ses doléances : "Nous ne sommes pas suffisamment nombreux par rapport aux besoins réels et il faudrait créer des postes là où c'est nécessaire. Nous réclamons également un alignement du paiement des heures supplémentaires sur le même régime que les autres disciplines".
Contexte local
A Angers, Agnès Le Dem enseigne au sein d'un collège situé en zone d'éducation prioritaire. En ce mois de septembre 2017, il s'agit pour elle de sa douzième rentrée. Infographiste de formation, elle a obtenu un Capes externe et enseigne sa discipline sous différents angles : projets interdisciplinaires, classe média, apprentissage de l'information-documentation...
"Les élèves apprennent en pratiquant et il est important de capter leur attention en étant attractif. Quant aux pratiques des professeurs documentalistes, elles sont très variées selon le contexte local et le chef d'établissement". Au sein de son collège, les séances pédagogiques représentent une moyenne de treize heures par semaine.
Dans le cadre de ses cours, Agnès Le Dem met les élèves à contribution et les fait plancher sur des problématiques très contemporaines : qu'est-ce qu'une information ? Qu'est-ce que la désinformation ? Qu'est-ce qu'un document ? "Ces sujets trouvent un écho parmi les élèves, constate-t-elle ; à partir de leur utilisation et de leurs représentations de Google, nous expliquons le fonctionnement des moteurs de recherche et amenons les élèves à s'interroger sur la présentation des résultats de recherche".
En tant que responsable du CDI, elle réfléchit à la notion d'espace d'apprentissage et estime que le lieu reflète ce qui s'y passe. "Nous travaillons dans un secteur en perpétuel mouvement ce qui nous impose de veiller sur différentes thématiques et de nous interroger sur l'évolution de notre métier".
Une mission pédagogique et éducative
La nouvelle circulaire de mission des professeurs documentalistes a-t-elle convaincu les principaux intéressés ? Pour Alexandre Serres, maître de conférences (Université de Rennes 2), "la circulaire de 2017 sort (mais en partie seulement) de l’ambiguïté de celle de 1986. Quant à la nature ou l’ampleur des dépens pour l’institution, il est peut-être encore trop tôt pour les mesurer !"
A ses yeux, ce texte a au moins un grand mérite : les "documentalistes-bibliothécaires" deviennent officiellement des "professeurs documentalistes" positionnant ainsi clairement leur fonction. "La mission du professeur documentaliste est pédagogique et éducative", précise la circulaire.
Une façon de graver les pratiques dans le marbre selon Alexandre Serres : "Il était temps que le droit rattrape la réalité !"
Un problème de légitimité pour les profs-doc ?
La vie n'est pas rose tous les jours pour les professeurs-documentalistes. Selon une enquête menée en 2016 par l'APDEN (Association des professeurs documentalistes de l'Education nationale), "les professeurs documentalistes ont plus de difficultés à développer leur enseignement, à mettre en œuvre les apprentissages auprès des élèves, et donc à permettre le développement de leur culture de l’information et des médias".
Concrètement , le nombre de profs-doc qui ne proposent aucune séance pédagogique est passé de 4 à 13 % en seulement une année. Cette tendance est particulièrement marquée au niveau du collège.
Autre point critique, les relations avec les élèves ont tendance à se dégrader : "On retrouve le problème de légitimité, sans toujours de considération pour l’enseignant qu’est le professeur documentaliste", constate l'étude de l'APDEN. Plus surprenant, les profs-doc sont nombreux à noter une crispation avec les professeurs des autres disciplines, notamment au collège.
Pour l'APDEN, ces résultats sont préoccupants, mais ils doivent être replacés dans un contexte de réforme qui a perturbé les missions des professeurs documentalistes. L'association préconise, entre autres, une révision de l'organisation des enseignements et le recrutement de profs-doc en proportion avec le nombre d'élèves.