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Beaucoup d’organisations, publiques ou privées, se sont lancées ce défi : celui de mutualiser ses centres de documentation. Si cette tendance existe déjà depuis presque toujours, les projets se suivent, mais ne se ressemblent pas. Modernisation, partage de connaissances, gain économique, réunion de services au sein d’un même lieu : les objectifs sont nombreux et cumulatifs.
"La disponibilité croissante de l’information sous forme numérique renforce davantage la pertinence de la mutualisation et permet d’éviter également tout problème de transfert de données", souligne Gilles Batteux, président de l’éditeur Kentika. "Il n’est plus nécessaire de stocker plusieurs fois un document à des endroits différents !"
Si les profils des organisations qui se lancent dans une telle entreprise sont variés, une petite tendance se dessine néanmoins. "L’action publique met de plus en plus de bases en réseau", constate Bérengère Royer, responsable commerciale chez PMB Services. Les secteurs de la santé et du social sont assez précurseurs dans la mutualisation des données."
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Les instituts de formation (centres de formation, universités, écoles…) ne sont pas en reste. Côté technique, les bases de données documentaires sont réaménagées selon le projet. Alors que certaines fusionnent, de nouveaux outils peuvent être imaginés, comme des solutions uniques ou des agrégateurs communs.
Comme toute stratégie de transformation, construire son projet de mutualisation autour de son objectif reste un point de départ inéluctable. Pourquoi mutualiser les centres de documentation ? "Il ne faut pas s’enfermer dans des dogmes et garder une approche très pragmatique", reprend Gilles Batteux. "Il est nécessaire de se demander si le projet a un réel intérêt dans le travail, c’est-à-dire dans le quotidien des métiers."
Mettre tout le monde d’accord
À son arrivée au sein du groupement d’intérêt public Ressources & Territoires, Jenny Collin, qui compte vingt ans d’expériences professionnelles en tant que formatrice et gestionnaire de l’information, a très vite vu l’intérêt de la mutualisation.
"Je me suis rendu compte que nous étions plusieurs documentalistes, dans différentes régions de France, à faire le même travail, à veiller sur les mêmes ressources, à avoir les mêmes produits et finalement à constituer des bases très similaires." De ce constat est née la base de données documentaire Cosoter.
Le processus de conception passe par la rédaction d’un projet pour coucher les avantages, les contraintes, mais aussi les attentes d’un tel outil. "Depuis quelques années, le rôle du documentaliste s’est peu à peu déplacé et a pris de l’ampleur", reconnaît Gilles Batteux. "Passant d’une fonction opérationnelle à celle d’un architecte de l’information."
Il faut réussir à mettre d’accord toutes les parties prenantes, à s’accorder sur un thésaurus, sur une façon de procéder, etc. D’autant plus que la base de données documentaire peut être parfois utilisée par d’autres services que celui des documentalistes.
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À l’image du réseau documentaire de la vingtaine de Centres de ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS) présents en France : sa base ThèséAS, conçue par PMB Services, et qui recense des articles, des ouvrages et de la littérature grise, constitue une base documentaire à valeur scientifique et un point d’accès unique pour différents usagers : documentalistes des CRIAVS, documentalistes rattachés aux centres hospitaliers, professionnels et étudiants, secteurs de la santé, du social, de l’éducation et de la justice…
"Nous rappelons toujours à nos clients qu’il faut un groupe d’administrateurs de deux ou trois personnes maximum," explique Bérengère Royer. "Il faut qu’ils puissent prendre des décisions pour avancer. Et il est important de définir quelles sont les informations à conserver, quel est le besoin métier, à qui ils vont s’adresser, et pour quels objectifs."
C’est souvent là que le bât blesse : "Je dis souvent que les projets de mutualisation sont à l’image de l’installation d’un couple", s’amuse Jenny Collin ; "y a-t-il une vraie volonté de bien faire ensemble ou juste de cohabiter sous le même toit pour partager le nettoyage de la vaisselle ?".
"L’aspect humain est très important", ajoute Gilles Batteux. "Il est arrivé, pour de rares projets, heureusement, que nous observions beaucoup de tensions autour de la table. Il faut une certaine capacité à collaborer, à travailler ensemble, même sur des schémas que nous n’avons pas choisis."
Bénéfices versus risques
"Souvent, la réduction des coûts est mise en avant dans ce type de projet, mais il faut être prudent, car cela peut être interprété comme une annonce de suppression de postes", reprend Jenny Collin. "Les professionnels doivent rédiger un projet documentaire mettant en avant les bénéfices, tant pour eux-mêmes en interne, que pour les publics auxquels ils s’adressent."
L’appauvrissement des bases documentaires constitue aussi un risque lors d’un projet de mutualisation. "Si vous décidez de fusionner trois descripteurs, vous avez forcément une perte de qualité de l’indexation", avertit Gilles Batteux. Cet appauvrissement peut également provenir des utilisateurs s’ils ne sont pas convaincus par leurs nouveaux outils.
Si les différents sites conservent un outil local qui alimente une interface commune, l’interopérabilité entre les différents logiciels utilisés est aussi cruciale pour permettre la communication entre les bases de données.
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C’est le cas pour le Groupement national des Centres ressources autisme (GNCRA) qui gère le réseau national des Centres ressources autisme (CRA). Si chacun des centres dispose d’une base en local, le GNCRA a lancé un projet de mutualisation des ressources en 2019. L’objectif ? Décloisonner l’information qui peut être aussi utile en Corse qu’en Bretagne…
"Il y avait plusieurs éditeurs de logiciels, dont PMB Services selon les régions," détaille Bérengère Royer. "Nous avons fait le choix de créer une nouvelle base nationale mutualisée tout en conservant les locales. Chacune remonte une partie de leur fonds dédoublonnée."
Dans certains cas, les porteurs de projet cloisonnent délibérément certaines ressources. "Pour un client dans le domaine de l’éducation, chaque site a accès à une base commune, mais nous avons mis en place des barrières étanches pour certaines informations", explique Gilles Batteux. "L’établissement de Paris ne voit pas les mêmes contenus que celui de Lyon, par exemple."
Communautés de pratiques
Pour Jenny Collin, le déploiement de la base Cosoter est un succès. "Nous avons gagné du temps sur la mise en commun des informations, la collecte, ou encore le catalogage. Nous avons également pu réaliser des analyses documentaires plus fines et avons basculé dans un mode Web public en consultation. À ce jour, les onze centres de ressources que nous comptons contribuent activement."
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Chaque nouvel arrivant dispose d’une session de présentation et d’initiation à l’ensemble des outils et du réservoir d’informations auquel il a accès. Pour les membres qui n’ont pas de documentaliste ou qui n’ont pas les moyens techniques d’alimenter la base de données documentaire, ils contribuent financièrement à la maintenance du logiciel ou au développement de service.
Si la mutualisation des centres de documentation est une démarche complexe, tant d’un point de vue humain que technique, elle offre de nombreux avantages et ouvre de nouveaux défis. "Les projets de mutualisation impliquent, de façon plus ou moins implicite, le développement de communautés de pratiques professionnelles", conclut Jenny Collin. "Selon moi, l’animation de ces nouvelles communautés, qui vont au-delà des métiers et qui vivent de manière transverse, est au cœur des sujets de demain."