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Photographie et numérique : "les images amateures sont une chance pour le journalisme. Pas une concurrence déloyale"

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    Photo prise par Adam Stacey, montrant les personnes prises au piège dans le métro de Londres, juste après les attentats de juillet 2005. (Adam Stacey CC BY 2.5 via Wikimedia Commons)
  • Rencontre avec André Gunthert, enseignant-chercheur en histoire visuelle à l'Ehess et spécialiste des usages sociaux des images. Il a fondé la revue Études photographiques en 1996 et vient de publier « L'Image partagée. La photographie numérique », aux Éditions Textuel.​

    Peut-on parler de révolution pour qualifier la transition numérique qu'a connue la photographie ?

    Nous sommes devant un phénomène suffisamment important et d'une telle ampleur culturelle que nous pouvons en effet parler aujourd'hui de révolution. Car il faut se rappeler comment fut accueillie la technologie numérique lorsqu'elle s'est appliquée à la photographie. Certains disaient : « Ce n'est plus de la photo, nous entrons dans l'ère de la post-photographie ». Ce type de réflexion paraît étrange aujourd'hui, car nous nous sommes rendu compte que la photographie a finalement continué d'être utilisée comme avant.

    Certains experts ont anticipé des problèmes qui ne se sont finalement pas produits, en particulier concernant le rapport à la vérité de l'image. Le premier exemple ayant prouvé que ces craintes étaient infondées est le scandale mondial provoqué par la diffusion des photographies de la prison d'Abou Ghraib en 2004. Malgré l'évidence de leur caractère numérique, l'authenticité de ces images n'a jamais été remise en question.

    Selon vous, le numérique n'a pas accentué le problème de la retouche ?

    Décrite comme le principal problème posé par le numérique, la retouche a toujours accompagné la pratique photographique, et ne constitue qu'une petite part des altérations possibles de l'image. Sans doute, la facilité d'intervention sur les fichiers a amplifié cet usage ; pourtant, on voit bien que ce n'est pas cela qui modifie la perception de la photo. On continue à photographier nos enfants ou à publier les images de l'actualité.

    Ce qu'on peut dire, c'est que la pratique numérique a déplacé les critères de l'authenticité. Le selfie est un genre qui profite d'une crédibilité due à l'autoproduction et à un effet de signature. Il y a donc toujours de la place pour la valeur d'authenticité. À côté, une autre production existe, comme l'image publicitaire, dont le caractère fictionnel est parfaitement intégré.

    Vous écrivez dans votre ouvrage que les bénéfices de la transition numérique de la photographie sont plutôt allés aux acteurs de l'informatique, de la téléphonie et du web. Pourquoi les industriels de la photo sont-ils restés sur la touche ?

    Parce qu'ils ont refusé de se laisser contaminer par ce qu'ils ont perçu comme une dérive ou une trahison. Dès les années 2000, le « camphone » fait intervenir une autre dimension de l'image : celle de son partage instantané dans le cadre d'applications de messagerie ou de partage en ligne. Le smartphone et les réseaux sociaux vont rapidement amplifier cette seconde révolution numérique, celle de l'image connectée, qui fait exploser les usages.

    Cette mutation n'a pas du tout été 

     

    anticipée par les fabricants. En 2010, la perplexité régnait encore. Un représentant de l'industrie photographique me disait encore à ce moment-là : « Il n'est pas question de transformer un appareil photo en téléphone ! ». Bien sûr, cela supposait de quitter le confort d'un univers très structuré, centré autour de l'appareil et de la production de l'image. L'exemple de Kodak et de ses stratégies pour ralentir l'arrivée du numérique montre la difficulté de faire ce saut. 

    Toutes ces distinctions n'ont aujourd'hui plus vraiment de sens, puisque l'on peut par exemple prendre des photos avec une caméra ou faire des films avec un appareil photo. Et le smartphone, qui ne sert pas principalement à faire des images, est devenu un outil photographique plus universel qu'aucune caméra n'avait pu l'être. Aujourd'hui, on peut donc dire que la photographie est devenue une pratique de niche à l'intérieur de la fonction de communication, qui a tout envahi.

    Vous écrivez aussi que la transition numérique n'aurait pas transformé tout un chacun en photographe, bien que certains le pensent. Pourquoi ?

    Cette opinion témoigne des difficultés qu'ont eu les professionnels à gérer la transition numérique. L'une des façons de résister à cette évolution a été de pointer du doigt les pratiques amateurs, en les accusant d'usurper les fonctions de la photographie professionnelle. 

    Pourtant, avec le recul, on voit bien que les journaux continuent de s'approvisionner principalement auprès de leurs fournisseurs habituels, comme les agences filaires. Bien sûr, les documents amateurs, mais aussi les enregistrements de surveillance, sont plus nombreux qu'avant, puisque tous les usages de l'image se développent, mais c'est plutôt une chance pour le journalisme, pas une concurrence déloyale. La demande pour une image de qualité, exécutée par des spécialistes, comme la photo de mariage, n'a pas disparu, ce qui veut bien dire que même le grand public continue de faire la différence entre pratique amateur et pratique professionnelle.

    N'y a-t-il pas un risque de confusion entre image et information, illustrée par l'adage répandu « tous journalistes » ? Les attentats de Londres de 2005 en sont un exemple...

    Ces attentats constituent un cas particulier, qui ne s'est pas reproduit depuis. Les images prises au « camphone » ont été importantes lors de ce drame, puisqu'il n'y avait aucune source professionnelle disponible. La seule manière pour illustrer les attentats à l'intérieur du métro était donc de recourir aux documents produits par les victimes. 

    Mais cette situation exceptionnelle n'est pas du tout devenue la règle du traitement de l'actualité. Prenons la photographie du petit Aylan : les agences de presse, les photographes et les cameramen ont fait leur métier et ce sont bien leurs images qui ont été rediffusées. À partir du moment où il existe une source professionnelle, c'est toujours celle-ci qui est utilisée en priorité, tout simplement parce qu'elle garantit les meilleures conditions d'usage dans un contexte qui est celui de la rapidité et de la fiabilité.

    Selon vous, l'indexabilité des images nuirait à l'économie de la photographie. De quelle façon ?

    L'une des conséquences de la numérisation est que l'on est passé d'un état ancien où l'image était un objet, éventuellement accompagné de données annexes, à une information manipulable associée au fichier lui-même. L'indexabilité par des mots-clés, qui permet un classement accéléré des images, est une évolution qui peut sembler secondaire puisqu'elle ne porte pas sur l'image elle-même. C'est pourtant l'une des mutations majeures du paysage professionnel, qui a permis la multiplication des bases de données et des banques d'images, dont le fonctionnement est basé sur l'indexation. Elle a donc permis à de nouveaux acteurs de casser les prix, ce qui a dégradé l'ensemble du marché. 

    Et que penser des plateformes collaboratives comme Flickr, qui proposent des photos libres de droit ?

    Cette plateforme pose problème dans la mesure où certains en font un usage commercial alors qu'elle n'a pas été prévue pour ça. Au départ, le partage sur Flickr est basé sur la réciprocité, c'est-à-dire que chaque membre peut emprunter des images à d'autres s'il met lui aussi les siennes à disposition. C'est du donnant-donnant.

    Le fait que des photos soient accessibles à tout le monde par défaut faisait partie de l'utopie de l'ouverture du web 2.0 dans les années 2000. Mais cette utopie ne tenait pas compte du fait qu'il existe des besoins industriels ou économiques qui ont modifié le fonctionnement des plateformes participatives. En revanche, ces usages parasites ont encouragé une nouvelle génération de réseaux sociaux, comme Facebook, conçus comme des univers mieux protégés et plus fermés. 

    L'extension de la communication numérique risquerait donc de réduire, au final, la fluidité des contenus ?

    En effet, le web se recloisonne de plus en plus, sous la pression économique et la mainmise d'acteurs hégémoniques. Aujourd'hui, Wikipedia reste l'un des derniers outils réellement collaboratifs, autoproduits et libres d'accès. Les applications récentes, comme les applications de rencontre, vont au contraire vers une gestion de plus en plus fermée, qui devient même une condition d'usage.

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