Sur internet, s’est développée la pratique des webinaires (webinar, en anglais), ces séminaires ou formations en ligne sur des sujets particulièrement prisés, y compris en entreprise, tels que le développement personnel ; un sujet sur lequel les experts autoproclamés sont nombreux et où le marketing agressif fait rage. Pourtant, ces webinaires sont protégés par un cadre juridique dela propriété intellectuelle. Ils le sont notamment par un double droit : le droit d'auteur et le droit dit voisin de l'"artiste interprète". Sans oublier la cession de droits d'exploitation.
C’est dans ce contexte de business débridé que nous avons été amenés à nous pencher sur un litige emblématique de ce monde des webinar. Un univers où les affaires priment, sans trop se préoccuper des aspects juridiques et des contrats, rédigés sur un coin de table par des dirigeants ignorants du droit.
Les noms et les dates de ce cas ont bien sûr été modifiés.
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1. Litige juridique autour d'un webinaire : les faits en synthèse
La société Vidéofor, dirigée par André et Yves, réalise et commercialise des vidéos de formation, notamment au développement personnel. André, également concepteur des cursus de formation et animateur des séquences vidéo qui sont filmées, se rapproche de la société Commerweb qui pratique "l’affiliation", ce qui consiste à vendre des produits sur le site de l’affilié moyennant un partage des recettes, en général de 50 % chacun.
Un contrat nommé "contrat de partenariat d’édition" est alors fourni par Commerweb.
Les parties mentionnées au contrat sont la société Commerweb, désignée comme "l’Éditeur" et la marque "Work in Happiness", marque déposée par André, désignée comme "l’Auteur".
Ce contrat, qui tient en une page, prévoit un partage du chiffre d’affaires comme suit :
- un petit pourcentage est reversé à l’Auteur ;
- 70 % sont réinvestis par Commerweb dans la publicité pour mieux vendre les produits de l’Auteur.
Les seules autres clauses concernent les obligations :
- de l’Éditeur : commercialiser au prix de 190 euros le pack vidéo, via un webinaire ;
- de l’Auteur : participer à ce webinaire.
Il est enfin stipulé que le webinaire sera "la propriété de Commerweb".
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Les dirigeants, séduits par le discours de Commerweb, ne prennent pas la peine de lire attentivement le contrat et Yves conseille à André de signer celui-ci, ce qui est fait le 20 mars 2018.
Au bout de quelques semaines, les deux dirigeants de Vidéofor s’aperçoivent d’un certain nombre d’irrégularités commises par leur partenaire Commerweb. Ils constatent notamment une très grande opacité sur les sommes prétendument réinvesties pour la publicité ainsi que sur le chiffre d’affaires réellement effectué (officiellement de 180 000 euros déjà encaissés sur les mois d’avril et mai 2018).
Ils s’interrogent donc sur l’honnêteté des rémunérations qui leur sont versées. En conséquence, les dirigeants voudraient bien trouver un moyen de rompre le contrat qu’ils ont signé.
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2. Litige juridique autour d'un webinaire : analyse juridique des faits
Nous nous sommes donc penchés sur la situation, le contrat et les autres échanges entre les parties. Il est ainsi apparu les points suivants :
Pour qu’un contrat soit valide, il importe que les parties signataires soient clairement désignées. Dans sa précipitation, Commerweb n’a pas désigné la société cocontractante (Vidéofor), mais la marque dont le seul propriétaire est André, à titre personnel et non pour le compte de sa société, ce qui n’a aucun sens. Le contrat est donc déjà entaché de nullité pour défaut de désignation des parties.
Le contrat dit "d’édition" désigne la société qui commercialise comme "l’Éditeur" et la marque d’André comme "l’Auteur". Mais à aucun moment, les mentions de cessions de droits d’auteur sur le webinaire et sur les vidéos de formation, prévues à l’article L.131-3 al. 1er du Code de la propriété intellectuelle, ne sont présentes, comme il se doit dans un contrat d’édition, entraînant du même coup la nullité du contrat sur le terrain du droit d’auteur.
À cet argument, l’avocat de la partie adverse répondra que lorsqu’il est question de commercialisation entre deux sociétés d’œuvres d’auteur, les mentions du code ne sont pas requises, comme la jurisprudence l’a déjà constaté. Il nous a été facile de démontrer que le contrat n’ayant pas été signé entre les sociétés, mais entre la société éditrice et la marque d’André, on pouvait à la rigueur considérer que le contrat était signé entre la société et l’auteur personne physique, puisque c’est lui qui avait signé personnellement ce document.
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3. Cadre légal des webinar : le droit d’auteur omniprésent
Pour achever de démolir le contrat qui s’avérait n’être ni un contrat de commercialisation entre deux sociétés ni un contrat d’édition, les mentions de l’article L.131-3 faisant défaut, nous avons analysé juridiquement les vidéos de formation et le webinaire litigieux.
- Des œuvres protégées par le droit d’auteur :
Le droit d’auteur protège toute création intellectuelle, notamment littéraire (entendons "textuelle"), quelle qu’en soit, notamment, la forme d’expression (article L.112-1 CPI). Peu importe donc que le texte soit improvisé comme dans un cours, un discours spontané ou encore — dans notre cas — lors d’un webinaire. De sorte que l’émetteur du texte parlé au cours de cette présentation en est également son auteur (article L.112-1 à 3 CPI).
Plus encore, on pourrait même soutenir que, étant l’auteur de son texte, il en a également été son interprète pendant le webinaire.
De sorte que le déroulement du webinaire est protégé par un double droit :
- le droit d’auteur ;
- le droit dit voisin de l’"artiste-interprète".
La présentation directe du webinaire aurait donc dû faire l’objet d’un accord de représentation de l’œuvre et d’interprétation de celui-ci.
L’enregistrement de cette session, quant à elle, constitue une reproduction de l’œuvre de l’auteur et de l’interprétation du formateur. Et sa commercialisation constitue une cession du double droit de reproduction (sur le support vendu – cédérom ou téléchargement d’un fichier) et de représentation (possibilité de visualiser la session).
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- Un formalisme intransigeant pour la cession de droits d’exploitation :
En matière de cession de droits d’exploitation, il est une règle intangible présente dans notre droit depuis des années : l’acte de cession doit impérativement contenir certaines mentions précisées par l’actuel article L.131-3 al. 1er, à défaut de quoi l’acte est nul, à savoir les droits d’exploitation cédés, le périmètre de l’exploitation défini quant à l’étendue et la destination, le lieu et la durée.
Cette exigence de formalisme a été renforcée par la loi du 7 juillet 2016 (nouvel article L.131-2 al.2), laquelle a rendu obligatoire la rédaction d’un acte écrit et formellement signé pour toute cession de droit d’auteur ou de droit d’interprète.
- Nullité absolue du contrat
L’ensemble de la relation contractuelle développée entre les parties est nulle et ne peut donc avoir produit aucun effet. L’auteur est resté propriétaire plein et entier de sa prestation dans le webinaire et n’a jamais cédé aucun droit pour l’exploiter.
Il s’ensuit que toute l’exploitation du webinaire, sa commercialisation depuis l’origine, est faite en violation de l’œuvre webinaire qui est la propriété de son auteur et en violation de l’interprétation de ce webinaire devant une caméra, propriété de l’artiste-interprète qu’était à ce moment l’auteur.
Cette double violation constitue donc un double délit de contrefaçon, passible d’un maximum de 3 ans de prison et de 300 000 euros d’amende, aux termes des articles L.335-1 et suivants du CPI. Il en est de même pour le pack des vidéos de formation commercialisées aux termes du contrat.
4. Litige juridique autour d'un webinaire : Épilogue provisoire
Depuis lors, les avocats des parties tentent de résoudre le litige à l’amiable.
À retenir :
On pourrait invoquer, à la manière de Kundera, "l’insoutenable légèreté de l’être" chef d’entreprise, inconséquent parce que totalement inculte sur les aspects juridiques que ses activités induisent.
Une telle inconscience est bien évidemment une faute professionnelle qui pourrait être une circonstance aggravante en cas de litige ou de liquidation d’une société suite à une condamnation à des dommages et intérêts — dans ce type de business, les condamnations peuvent aller jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros à verser à l’auteur, ce qui peut tuer plus d’une PME.
Il est donc plus qu’important d’acquérir une connaissance de base sur la propriété intellectuelle lorsque celle-ci régit des activités de son entreprise, afin d’en être conscient et demander l’aide d’un juriste en tant que de besoin.
Références :
- Code civil – Livre III, Titre III, sous-titre 1er « Le contrat » – articles 1101 et suivants.
- Code de la propriété intellectuelle – articles L.112-1 à 3, L.131-2 et 3, L.335-1 et suivants.
Didier Frochot
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