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Monétiser les archives d'entreprise : mission impossible ?

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    Affiche Candido de Faria, c. 1907 (Coll. Fondation Pathé)
  • Yves Saint-Laurent, Air France, Pathé, BNP Paribas rivalisent d’imagination pour valoriser leur patrimoine archivistique. Toutes ces initiatives ne génèrent pas un retour sur investissement immédiat - loin de là -, mais elles contribuent à l’image et à la réputation des marques.

    Tout le monde connaît Yves Saint-Laurent comme couturier. Rares sont ceux qui ont entendu parler d’Yves Saint-Laurent comme archiviste. Tout au long de sa carrière, le créateur génial et tourmenté a pris un soin particulier à constituer un fonds d’archives exceptionnel : dessins, photographies, prototypes, collections… Ce corpus bigarré est aujourd’hui exposé dans les salles du musée Yves Saint-Laurent à Paris.

    « Pour l’historien, le conservateur, l’archiviste, le créateur, le professionnel ou le passionné de mode, ce patrimoine s’ouvre à eux pour enrichir leur connaissance à cet art nouveau du XXe siècle, la haute couture », expliquait Pierre Bergé, compagnon et homme-orchestre de la maison Saint-Laurent, lors de l’ouverture de ce musée au mois de septembre dernier.

    En homme d’affaires avisé, Pierre Bergé a réalisé un autre exploit : monétiser des archives. En faisant payer l’entrée du musée (à partir de 7 euros), la maison Saint-Laurent parvient à amortir (en partie seulement) les frais générés par l’exposition de ses archives.

    Autre couturier à avoir le sens des archives et celui des affaires, Jean-Charles de Castelbajac a mis en vente les archives de sa maison de couture. Riche idée : en 2003, il avait récolté 650 000 euros ! Précisons qu’il faut entendre ici le terme « archives » au sens très large puisqu’il s’agissait de lots composés de dessins, de patrons et de vêtements.

    Gratuit, mais élégant

    Autre milieu, autres pratiques. En 2014, à l’occasion de son 80e anniversaire, Air France a fait les choses en grand. La compagnie aérienne a présenté une exposition itinérante sur trois continents, à Shanghaï, New York et Paris ! Baptisée « Air France, France is in the air », cette exposition a reçu 11 000 visiteurs en Chine et aux États-Unis. Une belle opération de communication internationale pour une compagnie qui joue de son image d’élégance et de l’ampleur de son réseau.

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    Entièrement gratuite, l’exposition organisée à Paris sur le site prestigieux du Grand Palais présentait des archives et des objets estampillés Air France : affiches, menus, uniformes des hôtesses de l’air, photographies, maquettes… Là aussi, l’exposition n’a pas rapporté un kopek, mais elle a permis à la compagnie d’avoir de très nombreux articles dans la presse grand public ainsi que dans les magazines et sur les sites spécialisés.

    Ce type d’événement contribue aussi à l’image et à la réputation de la compagnie aérienne. Ce qui n’est pas négligeable dans un monde où les réputations se font en plusieurs années et se défont en quelques minutes sur les réseaux sociaux...

    Mettre le patrimoine à disposition de tous

    La Fondation Jérôme Seydoux-Pathé a fait un choix similaire. « Nous n’engageons pas de facturation ou de billetterie pour les archives (qui ne sont donc pas monnayées). C’est un choix que nous avons fait depuis les débuts de la fondation, qui est une fondation reconnue d’utilité publique, sans but lucratif. Les prêts (éditions, documentaires, expositions, etc.) sont gratuits, comme les consultations », explique Stéphanie Salmon, directrice des collections historiques en charge des expositions.

    Créée en 2006, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé s’est donné pour mission de conserver les archives de la société de production de cinéma Pathé : scénarii, affiches, documents juridiques et administratifs, photographies… Sans oublier une splendide collection de caméras et de matériel de projection. Depuis 2015, elle conserve également les archives filmiques de la production muette du catalogue Pathé.

    « Ce patrimoine représente l’histoire d’une industrie cinématographique fondée par Charles Pathé en 1896, une histoire des métiers, des techniques, du développement d’un art et d’un loisir qui font partie de l’histoire du cinéma », souligne-t-on à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé.

    La valorisation d’un tel patrimoine a un coût, mais la mission de la fondation est bien de mettre ce patrimoine à disposition de tous plutôt que d’en tirer de l’argent. Elle procède par exemple à des prêts pour des expositions et des projets d’édition. L’automne dernier, une exposition baptisée « Sport et cinéma, une enfance partagée » a ainsi permis d’admirer des archives méconnues sur le rôle joué par le cinéma dans la promotion du sport.

    Quant aux projections payantes (de 3 euros à 6,50 euros selon le type de billet), elles sont loin de couvrir les investissements consentis : « Les frais d’entrée pour les expositions et les projections ne concernent pas les collections. Ils ne rentabilisent d’ailleurs pas les frais engagés pour la mise en place des programmations et l’accueil du public ».

    Des archives pour le prestige et pour les collaborateurs de l’entreprise

    D’autres entreprises font le choix d’expositions virtuelles pour gagner en prestige. C’est le cas de BNP Paribas qui a mis en ligne de nombreux documents : « Ces archives parlent de nous bien sûr, mais elles évoquent également le marché de l’économie mondiale », explique Roger Nougaret, responsable du département archives et histoire du groupe bancaire ; « elles proposent un regard intéressant sur le financement du chemin de fer en Asie par exemple ou bien sur les investissements dans le secteur cinématographique en Italie. Ces archives sont consultées par les historiens et certains professeurs d’économie conseillent à leurs étudiants d’y jeter un œil. Ces archives sont également utilisées en interne par nos salariés qui peuvent y trouver de très nombreuses informations ».

    Là encore, la banque n’attend pas de retour sur investissement de l’exploitation de ses archives. Ces dernières permettent de mettre en avant l’histoire du groupe en France et à l’étranger. Et elles remplissent leur mission première : « Les archives servent d’abord de moyen de gestion et de preuve », précise Roger Nougaret.


    + repères

    La valeur cachée des archives d’entreprise

    Les entreprises le savent : en cas de sinistre, les archives jouent un rôle vital dans la mise en place d’un plan de continuité d’activité. Mais les archives rapportent également de l’argent par le simple fait d’exister. Elles jouent en effet un rôle méconnu dans l’activité quotidienne des organisations et dans la consolidation de leur chiffre d’affaires. Selon une étude réalisée par le cabinet IDC pour le tiers-archiveur Iron Mountain, « sur 100 entreprises interrogées, les 15 meilleures attribuent plus de dix millions de dollars (environ 8 850 000 euros) de revenus supplémentaires au résultat direct généré par l’exploitation de leurs archives de données au cours de l’année passée ».

    Malheureusement, ces archives sont largement inexploitées estime Iron Mountain : « Seulement 12 % de ces entreprises disposent d’un processus uniforme pour identifier quelles données sont archivées et quand. Cela signifie que 88 % des entreprises peuvent être confrontées à des difficultés pour identifier des données clés et y accéder lorsqu’elles en ont besoin ».

    De cette situation, on peut tirer une mauvaise et une bonne nouvelle. Mauvaise nouvelle : les entreprises ont encore de la route à faire avant de tirer un bénéfice de leurs actifs informationnels.

    Bonne nouvelle (pour les prestataires en archivage) : le marché est grand ouvert...

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