Maillon souvent sous-estimé du traitement archivistique, l’élimination n’est pas un acte anodin. Une étape que les spécialistes de l’archivage externalisent auprès de prestataires spécialisés.
Une savoureuse anecdote circule parmi les archivistes. Il y a quelques années, un client qui avait confié l’élimination de ses archivesi à un prestatairei spécialisé avait voulu s’assurer que le travail de destruction serait bien mené. Quelle ne fut pas sa surprise, en suivant discrètement le camion chargé de transporter et détruire les tonnes de papier, de voir le véhicule se diriger vers une décharge publique et déverser son contenu à l’air libre ! Non seulement le prestataire n’avait procédé à aucune élimination, mais il avait laissé ces archives d’entreprise à la portée de n’importe quel passant… ou concurrent. Une histoire similaire est récemment arrivée au Tribunal des mineurs de Lausanne (Suisse) où des milliers de documents confidentiels ont été jetés dans une benne à ordure sans avoir été détruits. Un facétieux journal genevois s’est amusé à publier des copies de certaines pièces, après avoir eu l’élégance d’effacer les données nominatives. Pareille mésaventure reste exceptionnelle. L’élimination d’archives obéit en effet à une procédure bien balisée. En amont de la destruction proprement dite, plusieurs étapes doivent être observées :
Identification du fonds à éliminer.
Préparation du bordereau de destruction.
Contrôle du bordereau.
Validation du bordereau par l’archiviste.
Autorisation de destruction.
Dans tous les cas, les archives doivent être éliminées au terme de leur durée d’utilité administrative (Dua). La phase de destruction intervient après ces étapes.
incinération ou déchiquetage
À la différence de ses voisins, la France autorise deux modes de destruction d’archives : l’incinération et le déchiquetage. L’incinération est en effet interdite dans plusieurs pays européens en raison de sa nocivité pour l’environnement. Moins onéreuse que le déchiquetage, elle a longtemps eu la préférence de certains clients qui y voyaient un moyen économique de se débarrasser de leur paperasse. Mais, développement durable oblige, l’incinération perd progressivement du terrain au profit du déchiquetage. Comme saint Thomas, certaines entreprises ne croient que ce qu’elles voient. Elles préfèrent, quand cela est possible, assisterà l’élimination physique de leurs archives. Plusieurs sociétés se sont spécialisées dans la destruction d’archives sur site. Elles envoient des camions broyeurs qui se déplacent dans les locaux des clients. Selon Raphaël Hautière, directeur général de Destrudata, « la destruction d’archives dans un camion broyeur qui se déplace sur le site de l’entreprise permet au client de constater de visu que ses documents sont bien déchiquetés Les clients sont très sensibles aux enjeux liés à la confidentialité de leurs archives ». Destrudata s’est spécialisée dans l’élimination d’archives par moyens mobiles et s’attaque à tous les types supports archivistiques : papier, CD, DVD, bandes magnétiques…Chaque procédure de destruction est filmée et un système de pesée permet de connaître le poids de documents réduits en confettis. Tous les détails comptent :« Nous utilisons une taille de coupe très particulière qui est plus sûre que les coupes droites ou les coupes croisées. Notre type de coupe rend impossible toute tentative de reconstitution par les logiciels de recomposition de papier détruit », précise Raphaël Hautière [voir ci-dessous]. Au terme de la destruction, le client se voit remettre un certificat de destruction et le papier réduit en lambeaux est revendu à des prestataires en recyclage.
externalisationou Outsourcing. L'externalisation désigne la délégation d'une fonction secondaire à un prestataire extérieur, fonction qui pourrait potentiellement être réalisée en interne. L'externalisation concerne les tâches liées au fonctionnement de l'organisation, intervenant beaucoup plus indirectement que les activités opérationnelles sur la production finale de l'entreprise. L'externalisation se distingue de la sous-traitance, qui concerne les opérations contractuelles par lesquelles un entrepreneur confie tout ou partie d'un travail destiné à ses propres clients.">i
Du côté des principales sociétés d’archivagei, aucune ne procède elle-même à la destruction d’archives. Elles préfèrent externaliser cette tâche auprès d’entreprises spécialisées. Everial a fait appel à Veolia « car la destruction d’archives est un métier à part et nous ne disposons pas des infrastructures pour cela », souligne Lionel Garcia, directeur général de la société. En dépit de son impressionnant site de Chartres, Everial privilégie la gestion de flux documentaires et n’envisage pas d’intégrer la partie élimination à sa stratégie. Selon Lionel Garcia, « Veolia nous offre les garanties nécessaires en matière de confidentialité et aucun document n’est retiré de son carton d’archivage. Le carton et son contenu sont déchiquetés simultanément puis recyclés ». Lionel Garcia estime que seuls 3 à 4 % des archives sont effectivement détruites alors que ce taux pourrait atteindre 10 % par an. « La France est très attachée à la mémoire des choses et les pays latins aiment bien conserver leurs documents contrairement aux pays nordiques qui s’en débarrassent plus facilement », précise-t-il.
recyclage
Autre acteur du traitement archivistique, la Société générale d’archives préfère également se concentrer sur son coeur demétier plutôt que d’élargir ses prestations à l’élimination. Elle procède néanmoins à quelques opérations de suppression : « Cela concerne certaines demandes spécifiques de nos clients tels que les chèques ou d’autres pièces confidentielles. Mais tout cela reste marginal : environ 3 % des archives que nous traitons », précise Thomas Huzar, le directeur général de la SGA. L’essentiel de l’élimination est externalisé auprès de Veolia. Le recours à l’externalisation profite aux prestataires spécialisés. La Corbeille bleue dispose de plusieurs sites en région parisienne ainsi qu’à Lyon et Toulouse. Pour sa directrice générale, Anne Egloff,« le recyclage est une valeur forte du groupe car il permet de remettre du papier broyé dans le circuit de la production ». La Corbeille bleue procède à deux types de destruction : le premier est précédé d’un processus de tri qui sépare le papier d’autres matières moins nobles telles que le plastique. Cette chaîne de tri suppose l’ouverture des cartons d’archives et ne concerne donc que des archives sans grande valeur. Pour les archives confidentielles, il existe une autre filière :« nous disposons de sites sécurisés dans lesquels le broyage produit de très fines particules qui sont ensuite aspirées dans un système dédié avant d’être recyclées», précise Anne Egloff. Réduits àl’état de confettis, les documents sont logiquement impossibles à reconstituer.Signe des temps, la part des archives broyées en mode confidentiel atteint aujourd’hui 40 % contre 25 % en 2003.
plus d'expertise
de l'art de reconstituer des archives broyées
La réputation de la Stasi, la police secrète de l’ancienne Allemagne de l’Est, n’est plus à faire. Son goût pour l’espionnage explique l’accumulation des dizaines de millions de documents qu’elle s’est empressée de détruire lors de la chute du mur de Berlin en 1989. Mais, prise de vitesse, elle n’avait pas eu le temps de supprimer la totalité de ses archives; certaines furent hâtivement découpées, d’autres déchirées à la main. En 2007, l’institut Fraunhofer annonçait avoir conçu un logiciel capable de reconstituer un gigantesque puzzle estimé à 600 millions de fragments! Toutes ces pièces sont progressivement numérisées puis analysées en fonction de leur couleur, de leur taille, de leur texture et de leur police de caractères. Une ultime phase d’assemblage rendra leur cohérence à ces millions de débris et permettra aux historiens de travailler sur des documents que l’on pensait perdus à jamais.
morceaux très petits
Aux États-Unis, la société Churchstreet Technology s’est elle aussi spécialisée dans la reconstitution d’archives broyées et prétend être en mesure de reconstruire des documents déchiquetés. Ses clients appartiennent aussi bien au monde de la justice, de la police, de la médecine que de l’université.