En quelques mois, ils sont devenus la coqueluche du web. Les vérificateurs d’information passent à la loupe les discours des hommes et femmes politiques pour démêler le vrai du faux. Chiffres à l’appui.
« Il y a un peu plus de 400 000 élèves de moins dans l’Education nationale depuis 10 ans et il y a 45 000 professeurs de plus », déclarait Nicolas Sarkozy au micro de RTL le 27 février dernier. « Sarkozy ment une fois de plus sur le nombre d’élèves, rétorquait Bruno Julliard, secrétaire à l’éducation nationale au Parti socialiste ; en 10 ans, le nombre d’élèves a augmenté de 63 000 et le nombre d’enseignants a baissé de 76 000 ». En réalité, Nicolas Sarkozy et Bruno Julliard mentent tous les deux. Le premier surestime la baisse du nombre d’élèves qui est en réalité de 160 000 ; le second mélange les chiffres de l’éducation nationale et ceux de l’enseignement supérieur.
Cette bataille de chiffres a été décryptée par Les Décodeurs, un blog alimenté par le service politique du quotidien Le Monde qui s’est donné une mission de « passer au crible les propos des hommes et femmes publiques pour y démêler le vrai du faux » (1). Ces vérificateurs d’information ont consulté et croisé différentes sources d’information : statistiques de l’Insee et chiffres du ministère de l’Education nationale.
Et pour gagner en efficacité, ils font appel au grand public. A l’heure du web 2.0, les internautes sont invités à traquer les mensonges et les erreurs des différents candidats à l’élection présidentielle. Mais cet appel au public n’est pas sans risque pour les vérificateurs qui se voient parfois reprocher leur attitude partisane ou vétilleuse.
Quoi qu’il en soit, l’aventure continue pour Les Décodeurs qui, aujourd’hui, doivent compter avec d’autres sites dédiés au fact checking (vérification des faits) :Désintox, Véritomètre, Bobaromètre ou Guantomètre !
intox, désintox
Désintox, créé en 2008, est lui aussi adossé à un titre de presse bien connu : Libération. Affiché comme « un observatoire des mensonges et des mots du discours politique », il présente le discours de l’homme ou de la femme politique (Intox) et le contredit par une vérification des chiffres tirés de sources reconnues comme fiables (Désintox). Pratiquement tous les thèmes abordés par les candidats à la présidentielle sont passés au crible : pouvoir d’achat, niche fiscale, traité européen, immigration, écologie.
Eva Joly, candidate d'Europe Écologie-Les Verts à la présidentielle, a ainsi fait les frais de ses déclarations sur le supposé mauvais classement de la France dans le domaine de la réduction des énergies fossiles au profit des énergies renouvelable : « Nous ne respectons pas les engagements que nous avons pris d’être aujourd’hui à 20 % d’énergies renouvelables. Nous sommes à peine à 10 % et nous venons de recevoir une injonction de la Commission européenne pour dire que nous ne tenons pas nos engagements ». Intox selon Libération qui précise que le taux d’énergie renouvelable s’élève en réalité à 12,9 % et que l’objectif d’atteindre 23 % - et non pas 20 % - est fixé à l’horizon 2020.
Désintox publie également un Bobaromètre hebdomadaire « à partir des mensonges (petits et gros) des candidats à la présidentielles et de leurs lieutenants ». A la mi-mars, le podium des “ bobardeurs “ était occupé dans l’ordre par Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen et François Hollande. Le classement du Bobaromètre évolue en fonction des mensonges repérés dans les discours des candidats.
Pour autant, les journalistes de LibéDésintox reconnaissent les limites du fact checking : « Vu la masse de discours politiques diffusés en une semaine, il ne peut prétendre à la précision scientifique ni à l’exhaustivité ». Mais la critique la plus féroce est venue d’une… ex-journaliste de Libération, Muriel Gremillet, qui se moque de cette nouvelle mode de la presse parisienne : « Le fact check, c’est Wikipédia sans les fautes d’orthographe. Quoique… »
data journalistes et visualisation de données
Autre site à suivre, le Véritomètre (2). Ici, on mise sur l’infographie. Il faut dire que cette application est le fruit de l’association entre la chaîne d’information iTélé et le site Owni qui s’est taillé une belle réputation dans le domaine de la visualisation de données. Le résultat est séduisant : une grande clarté ergonomique qui permet d’accéder aux données ventilées par thèmes ou par candidats.
La veille porte sur six des dix candidats à la présidence de la République (Bayrou, Hollande, Joly, Le Pen, Mélenchon, Sarkozy). Une partie seulement de leurs discours est vérifiée car le site ne prétend pas à l’exhaustivité. Les data journalistes attribuent une appréciation aux citations : correct, imprécis, incorrect.
Le classement des six candidats est ajusté à la lumière des vérifications opérées par iTélé et Owni. A la mi-mars 2012, cette « ligne de crédit » donnait l’avantage à Eva Joly avec une crédibilité estimée à 65 %, suivie de Jean-Luc Mélenchon avec 59 %. En fin de classement, Marine Le Pen affichait une ligne de crédit de 43 %.
émission participative
Cousins éloignés des vérificateurs, Les Observateurs de la chaîne d’information internationale France 24 font à la fois office de détecteurs d’événement et de vérificateurs d’information (3). Cette « émission participative » couvre l’actualité mondiale via des témoignages directs de téléspectateurs présents là où les événements ont lieu et où les journalistes ne sont pas – encore - présents. Ces témoins postent des textes, des photographies ou des vidéos qui font l’objet d’un traitement de validation en plusieurs étapes par les journalistes de la chaîne : sélection, vérification, traduction et explication.
A l’occasion des violences qui secouent la Syrie depuis plus d’un an, de nombreux contestataires syriens ont choisi ce moyen pour contourner l’interdiction faite aux journalistes étrangers de se rendre dans le pays. C’est aussi un moyen efficace pour les opposants au régime de Bachar al-Assad de populariser leur lutte.
Tout internaute peut devenir un « observateur France 24 » après avoir rempli une fiche qui sera retenue, ou pas, par la chaîne.
contre la propagation de rumeurs sur le web francophone
Bien avant que ces sites de vérification ne fassent florès, Hoaxbusters faisait déjà un travail similaire il y a une douzaine d’années (4). Ce site, lancé en 2000, se donnait pour objectif de « mettre un terme à la propagation des hoax et des rumeurs en circulation sur le web francophone ». Les occasions de traquer les canulars et les bobards n’ont pas manqué depuis cette date : rumeurs sur les attentats du 11 septembre 2001, arnaques africaines destinées à soutirer de l’argent aux internautes, informations mensongères sur la grippe H1N1, fausses chaînes de solidarité… En plus de dix ans, Hoaxbusters est devenu l’un des sites de référence pour lutter contre les bobards en tous genres. Le site affiche une moyenne de 3,5 millions de pages vues par mois et compte 120 000 abonnés à sa lettre d’information (statistiques 2010).
Hoaxbusters a balisé le chemin pour les vérificateurs d’information. Mais une question reste en suspens : qui vérifiera les vérificateurs ?