Pour fidéliser leur public, en séduire de nouveaux, mieux répondre aux besoins et aux usages des différentes communautés, les bibliothèques ont bien compris qu'elles devaient s'adapter et se renouveler. En un mot : se réinventer. Tour d'horizon d'initiatives, qu'elles soient développées en interne, à l'aide d'un collectif de professionnels ou via un partenaire extérieur.
« Si nous voulons être encore là dans quinze ou vingt ans, il faut innover ». C'est avec cette formule que le département de l'Isère annonçait sa demi-journée de rencontres, qui a eu lieu le mois dernier, autour du sujet « L'innovation : une nécessité pour les bibliothèques ? » Révolution du numérique, changement profond de consommation de la culture, modification de la fréquentation des établissements... « Depuis quelques années, les bibliothèques, grandes ou petites, s'interrogent sur leur devenir », précisait le département de l'Isère en préambule de cette journée. Et ce type de questionnement est loin d'être isolé, en témoigne le thème central choisi pour le 62e Congrès de l'ABF (Association des bibliothécaires de France) qui s'est déroulé en juin dernier à Clermond-Ferrand : « L'innovation en bibliothèque ».
Un laboratoire d'usage numérique à la bibliothèque
L'un des modèles classiques dédiés à l'expérimentation en bibliothèque est le fab lab. Mais il s'est créé à Nîmes un autre type de laboratoire innovant, davantage adapté aux services culturels : le laboratoire des usages numériques Labo² de la bibliothèque municipale de Nîmes. Imaginé dès 2003 et formellement créé en 2012, il vise à favoriser l'émergence de nouveaux usages du numérique grâce à la bibliothèque et ses publics, en s'appuyant également sur la créativité d'artistes, de développeurs, d'associations ou encore d'entreprises et d'autres professionnels des secteurs culturels et éducatifs. « Nous avons anticipé très tôt les usages et les industries créatives que l'on voyait émerger il y a 10 ans », explique Alexandre Simonet, le responsable du Labo².
Concrètement, le Labo² propose différents types d'actions tournées vers la médiation, l'éducation, le conseil et l'expérimentation. Il organise régulièrement des conférences, des expositions, des ateliers Scratch dans les écoles, des résidences d'artistes numériques et participe même chaque année au festival Noga (Nîmes open game art), dédié au jeu vidéo et à la création numérique. Il a notamment créé un outil cartographique libre conçu pour Wordpress, le Géoproject, permettant d'éditer du son, de la vidéo, des images et du texte sur une carte. Il a également créé la borne d'écoute et de téléchargement de musique libre de droits Audiotact, qui a reçu en 2013 le prix de l'innovation de la Biennale numérique.
L'année 2018 s'annonce charnière pour ce service support jusqu'ici plutôt isolé, puisque le Labo² disposera alors d'un lieu physique ouvert au public et dédié aux nouvelles écritures interactives au sein de la bibliothèque municipale. « Notre action sera beaucoup plus flagrante avec un lieu bien identifié », s'enthousiasme déjà Alexandre Simonet.
Remixer la bibliothèque
En matière d'expérimentation et de création participative autour des services en bibliothèque, le dispositif Biblio Remix est devenu une référence. Développé en 2013 sur le modèle des Muséomix, il vise à faire esquisser par des participants d'horizons divers leur vision de la bibliothèque idéale. « Remixer la bibliothèque, c'est imaginer, prototyper et expérimenter des réponses aux problématiques rencontrées par les professionnels des bibliothèques dans la mise en oeuvre de leurs missions, avec les habitants, les acteurs des politiques publiques et les porteurs de créativité », explique le site de Biblio Remix.
Virginie Lescop, bibliothécaire référente pour la bibliothèque départementale d'Ille-et-Vilaine au sein de l'antenne de Bécherel a organisé un Biblio Remix autour de la thématique des petites bibliothèques de demain. « Un certain nombre de petites bibliothèques dont je m'occupe étaient en phase de déprime, explique-t-elle ; nous avons donc lancé un groupe et organisé cinq séances de réflexion sur ce qu'est une petite bibliothèque avec deux journées de Biblio Remix à mi-parcours, qui ont eu lieu en avril 2016 ». Ouvertes à tous (bibliothécaires, usagers, habitants, designers, architectes et informaticiens), et menées par quatre animateurs de Biblio Remix, ces journées sont placées sous le signe de la créativité et de la participation. Elles s'ouvrent d'abord avec des jeux puis des séances de réflexion. « L'idée est alors que les gens puissent se lâcher pour faire émerger des dizaines d'idées sur post-it, explique Virginie Lescop ; puis les participants sont répartis en petits groupes pour en transformer une en projet qu'ils devront scénariser et présenter devant tout le monde ».
Quatre projets ont germé grâce à ce Biblio Remix et sont en cours de développement dans différentes communes du territoire :
- la fabrique des idées, pour faire de la bibliothèque un lieu de débats ;
- Trocoteka, pour faire de la bibliothèque un espace d'échange d'objets gratuits ;
- faire une fête, pour que les enfants ou les personnes âgées puissent <puce>organiser leur anniversaire à la bibliothèque ;
- l'arbre de connaissances, pour organiser un partage de compétences au sein de la bibliothèque.
« Les Biblio Remix permettent d'essayer et de tester, quitte à se tromper, ce que l'on n'aurait jamais fait seuls, explique Virginie Lescop ; cette méthodologie donne vraiment l'envie d'innover et de se lancer ». Librement copiable, remixable et adaptable, le dispositif Biblio Remix ainsi toutes ses ressources sont entièrement partageables, modifiables et rediffusables sous licence creative commons depuis son site internet.
Coconstruire en immersion
De son côté, c'est à un intervenant extérieur que la région Auvergne a fait appel en 2012, en vue de la création d'une médiathèque intercommunale à Lezoux, dans le Puy-de-Dôme. Véritable laboratoire dédié à la transformation des politiques publiques, la 27e Région est un ancien programme de la Fing (Fondation internet nouvelle génération) devenu association en 2012. Elle avait alors déjà collaboré à une dizaine de projets, dont la création d'une maison de santé, d'un lycée ou d'une gare. Ce partenariat inédit vise alors à mettre en place une réflexion sur le rôle et les usages des bibliothèques au 21e siècle, essentiellement autour du volet numérique, en amont de la création de la future médiathèque. « Comme tous les projets auxquels nous participons, nous avons conduit une “résidence” afin d'être au plus près des gens concernés, explique Nadège Guiraud, la directrice des programmes et des projets de la 27e Région ; ainsi, les conditions sont plus favorables pour cocréer avec les habitants d'un territoire ».
Une équipe pluridisciplinaire, essentiellement issue du design et des sciences sociales, a été envoyée sur place, en immersion, durant trois semaines non consécutives, étalées sur environ six mois. Son objectif : coconstruire la problématique et imaginer des solutions avec les principaux intéressés. « C'est une véritable opération commando, poursuit Nadège Guiraud ; le rythme sur place est très soutenu, avec des ateliers, des tests, l'élaboration de maquettes et de prototypes ainsi que des expositions ». Ce système de résidence et de tests en situation réelle a notamment permis de voir de quelle façon les gens vivaient leur rapport au territoire et à la lecture et d'établir une relation étroite avec les habitants et les bibliothécaires bénévoles. L'une des pistes du projet a d'ailleurs été d'articuler un prêt de livres entre particuliers et d'intégrer les bénévoles au dispositif. Une cabine de téléchargement de documents en libre diffusion (films, musique, livres), gratuite et accessible 24 heures sur 24 a été imaginée, tout comme des ateliers de production de contenus culturels ou encore des malles de livres itinérantes.
Si l'ouverture de la médiathèque de Lezoux, initialement prévue pour 2014 a pris du retard en raison de découvertes archéologiques réalisées sur son terrain, elle devrait être inaugurée ce printemps. « Ce n'est pas nous qui mettons en oeuvre les projets qui germent lors de ces partenariats, explique Nadège Guiraud ; nous conduisons la réflexion, nous testons, puis nous documentons afin que d'autres s'en emparent ensuite. Surtout, nous voulons permettre à chacun de se servir de cette expérience dans d'autres contextes. La méthode peut rester la même, mais l'idée est avant tout d'innover ! »