Cet article est issu du dossier "Covid-19 : les bibliothèques confinées, et après ?" du numéro de mai-juin d'Archimag. Voici le sommaire du dossier :
- Covid-19 : du confinement au déconfinement des bibliothèques, comment l'ABF traverse la crise
- Bibliothèques et bibliothécaires transformés par le Covid-19 et le confinement
- Raphaëlle Bats de l'Enssib : "Le séminaire Biblio-Covid a rencontré son public"
- Covid-19 : une hausse historique pour la consultation des ressources numériques des bibliothèques
- Covid-19 : à l'étranger, comment se passe le déconfinement des bibliothèques ?
- Covid-19 : la filière du livre, en danger, cherche à rebondir
Rétrospectivement, pouvez-vous nous décrire quelles ont été les étapes et les difficultés rencontrées par l'ABF depuis le 14 mars, date de fermeture des bibliothèques au public ?
Lauriane Demangeon : Depuis le 14 mars, l’ABF a vécu (trimé, tremblé, grogné) au gré des annonces gouvernementales et des interrogations émanant du terrain. Mon retour sur cette aventure à rebondissements et à haute teneur en émotions pourrait se faire en 5 épisodes :
- Épisode 1 :
Suite au décret du 14 mars visant à réduire la propagation du Covid-19, plusieurs élus et collectivités ont fait le choix de fermer, par sécurité, les bibliothèques. D’autres ont préféré maintenir le service tout en prenant certaines précautions, comme celle de limiter le nombre de personnes dans la bibliothèque.
Mais un afflux massif d’usagers (jeunes, seniors tout autant que populations fragiles) venus en bibliothèque pour faire leur stock de documents avant confinement a été largement constaté.
L’annonce du confinement, et donc de la fermeture imposée des tous les équipements publics à partir du mardi 17 mars, fut ensuite brutale pour tous. De nombreux échanges ont donc commencé à fleurir au sein de la profession avec une question chez tous les bibliothécaires : comment continuer à assurer un minimum de service public culturel et informationnel ?
Il a paru évident pour l’ABF de saluer les mesures prises par le gouvernement à travers un premier communiqué et de partager des idées et initiatives bienvenues dans ce contexte.
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- Épisode 2 :
Mais très rapidement, et certainement dans une volonté de continuer à rendre service, certains ordres ont été donnés aux bibliothécaires de maintenir des prestations physiques : prêt et retour sur place, service de “drive” (pourtant interdit par décret aux établissement recevant du public de type S), portage à domicile, actions dans les résidences de personnes âgées…
De nombreux bibliothécaires, stupéfaits et inquiets, se sont alors tournés vers l’ABF pour obtenir des recommandations et du soutien pour faire face à ces potentielles situations à risque.
L’ABF a donc rappelé alors aux autorités décisionnaires que la poursuite de certains services de bibliothèques ne saurait s’effectuer au détriment de la santé publique.
- Épisode 3 :
Bien évidemment, cette période a très vite entraîné de nombreuses réflexions, au sein de la profession, sur l’après confinement, autour d’une question centrale : comment organiser une reprise de l’ensemble des services aux usagers ainsi qu’un retour de l’ensemble des équipes au travail en présentiel, dans les conditions sanitaires et techniques les plus sécurisées possibles ?
Les associations ABF, ADBGV, ABD, Bibliopat et Acim ont donc travaillé de concert avec le Service du livre et de la lecture et l’ANCLL afin de proposer des recommandations particulières pour organiser le déconfinement progressif des bibliothèques.
’interassociation a alors déconseillé une réouverture des bibliothèques le 11 mai. Elle a plutôt proposé une réouverture phasée et différenciée en fonction des situations vécues sur le terrain et sollicité l’Etat pour apporter tous éclaircissements, validation et préconisations sur une réouverture progressive des bibliothèques.
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- Épisode 4 :
L’annonce du Premier ministre du 28 avril annonçant que les bibliothèques pourraient rouvrir à compter du 11 mai a provoqué surprise et inquiétude ! L’interassociation a donc réagi dans la foulée en publiant un communiqué et dès le lendemain, le fruit de leur travail : les fameuses recommandations pour un déconfinement progressif des bibliothèques.
Depuis, le site web de ressources Biblio-covid visant à accompagner les élus et professionnels dans le déconfinement des bibliothèques est né. Il s’enrichit de jour en jour de fiches pratiques et d’exemples.
- Épisode 5 :
Les sollicitations sont toujours nombreuses pour l’ABF depuis le déconfinement : chaque bibliothécaire réfléchit, organise au mieux la réouverture des équipements, en fonction des consignes imposées, des moyens octroyés et parfois d’une pression des tutelles pour une réouverture précipitée. Conseils, partages d’expériences, solidarités sont plus que jamais utiles en cette période compliquée…
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Quel regard portez-vous sur la façon dont les établissements - et les professionnels ! - se sont adaptés à la crise sanitaire ?
La fermeture des bibliothèques a été soudaine et les bibliothécaires ont su être réactifs et polyvalents. Très rapidement, toutes et tous se sont attelés à :
- communiquer avec le public et organiser les fermetures des bibliothèques ;
- offrir des contenus en ligne (mise à disposition de ressources numériques de manière la plus accessible possible, production et curation de contenus, animations en ligne…). Pléthore d’exemples imaginatifs sont partagés dans la profession ;
- organiser le travail à distance pour les équipes.
Mais surtout, les bibliothécaires ont été solidaires et innovants, et pas uniquement pour leur cœur de métier, à travers :
- la mise à disposition de matériels auprès des services et publics les plus nécessiteux (masques, gants, lingettes désinfectantes, gel hydroalcoolique…) et éventuellement de matériel informatique pour faciliter le télétravail dans d’autres services de la collectivité ;
- la réquisition de bibliothécaires dans d’autres services de la collectivité ;
- le soutien à l’économie locale avec la continuité des commandes passées aux libraires ;
- la participation à l’accompagnement numérique des publics (aidants numériques) ;
- la création de blouses et de masques, voire la fabrication de visières de sécurité ou de raccords respirateurs, etc.
Cette période démontre une fois de plus la perméabilité du métier de bibliothécaire dans plusieurs domaines. Toutefois, le cœur de mission reste l’accueil du public, et toute l’offre et tous les services d’une bibliothèque ne sont pas transposables en ligne, et ne sont pas accessibles pour tous.
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Cette crise a-t-elle mis en lumière des problèmes ou des sujets prioritaires pour la profession pour le fameux "après" ?
On parle souvent d’une transformation profonde des bibliothèques et du métier, avec la virtualisation-dématérialisation des supports et des services. Nous venons en quelque sorte de vivre un véritable condensé de “bibliothèque dématérialisée”. Les questions du rôle et de la place des bibliothèques en faveur de l’inclusion numérique et de la lutte contre l’illectronisme sont bien évidemment à nouveau pointées.
Il y a également la nécessité davantage accrue de formation des professionnels, mais aussi des bénévoles aux pratiques et aux outils numériques. Certains se sont retrouvés démunis (en matériel ou en compétences) dans un fonctionnement entièrement numérique. La fracture numérique, les déserts numériques ou le manque de matériel à domicile n’est pas une problématique réservée à certaines catégories de population. Tout le monde est concerné !
Le regain d’intérêt pour les ressources numériques a dans le même temps mis en lumière l’impact financier conséquent induit par les modèles économiques “à jetons”. Plus le service compte d’utilisateurs et plus il faut financer. Cela amène donc à se questionner sur la viabilité de ce type de service, à court et à long terme.
Le contexte de crise sanitaire interroge également sur ce qui est indispensable pour vivre. Aussi, qu’est-ce qui est indispensable dans la bibliothèque ? Le service rendu à la population par la bibliothèque, indissociable du “troisième lieu” tant recherché, est incompatible avec les consignes sanitaires. Comment la bibliothèque peut-elle remplir cette mission sociale sans lieu ? Et à partir de quand ce service est-il rendu avec une ouverture dégradée des locaux ?
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Quels sont les retours que vous avez reçus de la part des professionnels sur la réouverture progressive des établissements à partir du 11 mai ?
On peut se réjouir de voir les bibliothèques occuper une place de choix dans les discours politiques et d’être parmi les premiers services culturels à rouvrir au public, notamment après plusieurs années de militantisme pour que cette place de premier réseau culturel de proximité en France soit reconnue à sa juste valeur. Les bibliothécaires sont impatients de retrouver les publics et de pouvoir à nouveau remplir toutes les missions sociales et culturelles dévolues aux bibliothèques. On espère également avoir manqué aux publics !
Cependant, l’annonce subite d’une réouverture le 11 mai occasionne parfois la précipitation de bibliothécaires ou d’élus qui se sentent soudainement contraints d’y répondre dans l’urgence, sans tenir compte des précautions sanitaires et des aménagements qui s’imposent. Aussi, avant même la fin du confinement, et alors que l’état d’urgence sanitaire se poursuivait, de nombreux bibliothécaires ont dû reprendre le chemin du travail pour anticiper les ouvertures du 11 mai, parfois sans matériel de protection, ni accompagnement de leur collectivité.
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Par ailleurs, les annonces d’ouverture ont été faites sans nuances, ni précision dans les discours officiels, ce qui a mis de nombreux collègues en difficulté pour faire entendre à leur hiérarchie ou aux élus ces précautions pourtant nécessaires et indispensables à l’ouverture des services.
Nous avons donc reçu de nombreux retours positifs sur le guide de recommandations qui a permis de réfréner les ardeurs et de construire une réouverture progressive.