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La préservation de la mémoire collective est une préoccupation majeure pour nos sociétés. Mémoire d’une communauté ou d’un peuple, elle rassemble le vécu commun d’un groupe en le gardant au présent (définition de l’Observatoire B2V des Mémoires).
Enseignée de génération en génération, conservée par les institutions et commémorée lors d’événements ou autour de monuments, sa transmission est stimulée par les nouvelles technologies qui lui offrent de nouvelles perspectives.
Pourtant, certaines statistiques sont alarmantes : par exemple, le sondage "Le regard des jeunes sur la Shoah : connaissance, représentations et transmission", réalisé par l’Ifop en 2020, révélait que seuls 68 % des jeunes âgés de 15 à 24 ans avaient entendu parler de la Rafle du Vélodrome d’Hiver.
"On se tourne vers le passé pour écrire l’avenir, c’est une nécessité de faire perdurer la mémoire du passé", affirmait Marie Cuirot, professeure agrégée d’histoire, lors de l’émission "Vers une mémoire 2.0", diffusée en direct sur les comptes YouTube et Instagram du Mémorial de la Shoah en septembre 2022.
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Les nouvelles technologies permettent de créer des expériences immersives pour les utilisateurs, permettant ainsi une compréhension plus personnelle des événements historiques.
La réalité virtuelle au service du patrimoine
On le sait, les inégalités d’accès à la culture perdurent. Des barrières socioculturelles et économiques se dressent encore devant les portes des musées, qui restent inaccessibles à certains. Si la fréquentation des sites patrimoniaux est repartie à la hausse en 2021, après la crise sanitaire, de nombreux publics restent à conquérir : certains musées s’emparent de la réalité virtuelle afin de redonner vie aux œuvres d’une autre époque et faire découvrir l’histoire autrement…
Et pourquoi pas sans quitter son canapé ? À l’image du Musée du Louvre, à Paris, qui propose aux internautes, sur sa page Louvre +, d’explorer les collections du musée, d’écouter des podcasts et des conférences, ou même de visiter virtuellement les expositions de la Petite Galerie.
Pour remonter dans le passé, le musée des Armées s’est également mis au numérique, en proposant depuis 2015 une expérience de réalité augmentée permettant aux visiteurs (re)découvrir l’église du Dôme, son architecture, son décor, son mobilier et le tombeau de Napoléon Ier.
Dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale, en 2018, rappelons également que la Ville de Paris et le site "Mémoire des hommes" du ministère de la Défense avaient créé une base de données interactive permettant à tous d’accéder en ligne à un "monument aux morts virtuel" pour rendre hommage aux Parisiens morts lors de la Grande Guerre.
Au-delà de la capitale, les autres musées de France se sont bien sûr lancés. Le musée des Confluences, à Lyon, propose une application de réalité virtuelle qui permet aux visiteurs de découvrir les coulisses et l’architecture du musée, ainsi que de parcourir les expositions sous un angle différent.
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La Cité de l’espace à Toulouse n’est pas en reste : depuis son cinéma Imax ou dans son Stellarium, les visiteurs peuvent explorer l’univers comme s’ils étaient à bord d’une navette spatiale.
Ces expériences de visite offrent une nouvelle approche, plus ludique et immersive, du patrimoine et de la mémoire : "la dématérialisation permet de rendre accessible un lieu ou des œuvres qui ne le sont pas, ou difficilement", confirmait Frédéric Purgal, fondateur de la société de production ArtofCorner au Quotidien de l’Art.
Les NFT pour préserver l’histoire
"La mémoire collective en ligne présente l’avantage de développer une forme d’écriture nouvelle pour la mettre en avant", souligne Valérie Beaudouin, chercheuse en sciences sociales à Télécom Paris. "Il est intéressant d’observer comment des amateurs d’histoire et de généalogie font revivre la mémoire à travers ces nouvelles technologies", poursuit la chercheuse.
De nouvelles formes d’écritures, c’est justement ce que cherchent à créer certains "geeks" avec les jetons non fongibles (NFT). En effet, les NFT pourraient bientôt prendre une place centrale dans l’archivage, et notamment dans la protection de témoignages de guerre.
C’est ce que propose le développeur ukrainien connu sous le pseudonyme "VK" à travers sa plateforme "Meta History: museum of war" (Meta Histoire, musée de la guerre). Son concept ? Chaque jour, le conflit ukrainien est illustré par une œuvre d’art représentant un événement qui s’y est déroulé.
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Ces œuvres sont ensuite placées en tant que NFT sur la blockchain Ethereum (elles ne peuvent ni être modifiées ni détruites) et vendues via le transfert de cryptomonnaies. L’argent récolté à permis de financer l’achat de gilets pare-balles, de casques ou encore de lunettes nocturnes pour les soldats ukrainiens. "Nous ne laisserons jamais un seul jour de cette période disparaître du grand livre de l’histoire du monde", promet ainsi la devise de la plateforme Meta History.
Les réseaux sociaux pour la mémoire
Les réseaux sociaux permettent également de mettre en avant l’histoire et les événements marquants, notamment auprès des jeunes générations. "Il est nécessaire que les jeunes s’emparent de la mémoire collective pour qu’elle puisse perdurer", assurait Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah à Paris, lors de l’émission "Vers une mémoire 2.0".
Lors de cet événement 100 % digital, organisé à l’occasion des 80 ans de la "rafle du Vél'd’Hiv", des influenceurs, des comédiens, des youtubeurs, des écrivains et des historiens se sont rassemblés pour sensibiliser les plus jeunes à la mémoire et à la transmission de la Shoah et des génocides du XXe siècle.
"Nous voulions fédérer les différents milieux et générations afin de pouvoir parler au plus grand nombre", explique Julie Mamou-Mani, journaliste, rédactrice en chef et fondatrice de la maison de production Mamouz Prod. Pari réussi, puisque l’émission a rassemblé plusieurs milliers de spectateurs.
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Instagram voit également fleurir les comptes dédiés à l’histoire et au devoir de mémoire. Par exemple, l’autrice Camille Jouneaux réalise chaque semaine, de façon drôle et décalée, une story sur un événement, un personnage historique, ou encore une œuvre, depuis son compte @La.Minute.Culture.
Priscille Lamure, qui se décrit comme une « dévoreuse de manuscrits anciens et farfouilleuse en archives », décortique de son côté des moments de l’histoire sur son blog « Savoirs d’histoire » et sur Facebook.
"Les réseaux sociaux sont une source magique pour intéresser les gens à un large panel de sujets, en quelques secondes seulement", assure Julie Mamou-Mani. "Je trouve formidable de pouvoir informer en aussi peu de temps sur des moments aussi importants de notre histoire".
La voix de la mémoire
Quoi de mieux que la transmission par la voix pour remettre au jour les événements du passé ? Les podcasts ont émergé comme un nouveau moyen pour raconter l’histoire : accessibles où que l’on soit, ils touchent aussi bien les adultes que les plus jeunes, qui se voient proposer des épisodes plus pédagogiques et adaptés à leur âge.
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Ils se transforment même parfois en véritables espaces d’échanges, à l’image du podcast "Mémoires Vives", réalisé en mars 2023 par l’association du même nom, dans lequel deux générations se rencontrent et partagent autour des aventures sociales et intimes des aînés.
Face à ces nouvelles technologies, des questions se posent. La mémoire collective virtuelle pourrait-elle être menacée par ceux qui voudraient s’en emparer et la modifier ? "Certaines personnes tentent bien sûr de fausser la mémoire", affirme Julie Mamou-Mina. "Mais la mémoire en elle-même n’est jamais une description exacte de ce qui s’est vraiment déroulé. Elle est, elle-même, une reproduction du passé".