les bibliothèques municipales face à la concurrence

 

Une enquête du Crédoc dresse un état des lieux des bibliothèques municipales en France. Fréquentation, inscriptions, comportements des usagers, expansion d’internet... Autant de facteurs qui bousculent les habitudes.

Au mois de juin dernier, lors du congrès de l’Association des bibliothècaires de France à Nantes, les bibliothécaires ont eu la primeur des résultats de l’enquête menée par le Crédoc sur la situation des bibliothèques municipales en France. Bruno Maresca, sociologue et directeur de recherche au Crédoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie), y avait présenté les premiers enseignements de l’étude réalisée à la fin de l’année 2005 auprès de la population française. Signe des temps, cette nouvelle collecte de données s’inscrit dans un climat d’incertitude qui prévaut au sein de la communauté bibliothécaire à l’heure où internet">i apparaît désormais comme un concurrent direct des bibliothèques publiques en termes d’accès à la connaissance.
 
période de mutation profonde

Cette « période de mutation profonde au moins aussi grande que l’apparition de la télévision » s’accompagne d’un affaiblissement régulier de la pratique assidue de la lecture. Mais il convient de la relativiser : la tendance est en effet survenue dès les années 1970. Autre motif d’inquiétude, selon une précédente étude menée par la direction du livre du ministère de la Culture, le taux d’inscription est passé de 18,2 % en 1999 à 17,1 % à 2003. Cette baisse serait imputable au recul du nombre d’inscrits parmi les moins de 15 ans, par ailleurs de fervents adeptes d’internet. Mais ce scénario pessimiste est, en partie, contredit parle Crédoc : « la fréquentation des bibliothèques s’est amplifiée au cours des huit dernières années, le nombre de Français de plus de 15 ans inscrits dans les établissements municipaux passant de 10 millions en 1997 à 12,5 millions en 2005 ». Les auteurs estiment que cette hausse s’explique par un « mouvement de transformation des bibliothèques traditionnelles en médiathèques, particulièrement dynamique au cours des années 1990 ».
 
multifréquentation

Le Crédoc observe plusieurs autres tendances : le taux élevé de multifréquentation des bibliothèques municipales– 24 % – ne signifie pas une multi-inscription. Cette dernière est très limitée – 7% – et concerne essentiellement les jeunes disposant également d’une carte en bibliothèque universitaire dans le cadre de leurs études. Un chiffre devrait donner du baume au coeurdes bibliothécaires : 56 % de la population a effectué, àun moment ou à un autre de leur vie, une inscription ! Cela permet, selon les auteurs de l’étude, de « reformuler les questions que suscitent la stagnation du nombre des inscrits voire, localement, de son érosion ». Le rythme de fréquentation des bibliothèques municipales ne saurait être réduit à un chiffre statique, tant il varie selon l’âge des usagers : « la moitié des moins de25 ans déclarent n’aller à la bibliothèque municipale qu’à certaines périodes. Au-delà de 25 ans, la régularité l’emporte et celle-ci croît avec l’âge. Les usagers les plus réguliers se rencontrent parmi les 35-44 ans et chez les plus de 65 ans ». Avec l’irruption des nouvelles technologies de l’informationi et l’évolution des demandes des usagers, les bibliothèques ont diversifié leurs prestations : consultations sur postes informatiques emprunts de DVD, animations pour enfants, expositions, conférences, lectures publiques. Les nouvelles pratiques n’en ont pas pour autant changé la donne. L’emprunt de documenti demeure la première motivation des utilisateurs en particulier pour les personnes inscrites, à 96,8 %.
 
l’impact d’internet

Les enquêteurs du Crédoc ont par ailleurs procédé à des entretiens qualitatifs pour mieux saisir l’impact d’internet sur les usagers et leurs pratiques documentaires. À cet égard, les témoignages recueillis en disent long la concurrence exercée par le webi : « Internet, j’étais contre au départ. J’ai changé d’avis depuis qu’on l’a à la maison. Il y a beaucoup d’infos que je ne trouve pas ailleurs. Depuis, je dois dire que la bibliothèque est devenue un peu obsolète ».Un autre usager : « Grâce à internet, on n’a pas à se déplacer, c’est un gain de temps… Pour la bibliothèque, il y a des horaires ;internet, c’est n’importe quand ». Selon les données recueillies par le Crédoc, les lieux d’approvisionnement pour la recherche d’informations afin d’aider les enfants à chercher des documents pour leurs devoirs témoignent de cette évolution: 19,1 % des personnes interrogées se rendent en bibliothèque alors que 48,8 % naviguent sur internet ! Mais les auteurs de l’étude relativisent cette tendance : « Il serait prématuré de se prononcer sur un éventuel abandon progressif des bibliothèques au profit du réseau. Le modèle encyclopédique d’internet et celui de la médiathèque sont fondamentalement de même nature ».
 
deux scénarios

Une autre forme de concurrence érode la fréquentation des bibliothèques : la grande distribution. Les grandes-surfaces, spécialisées ou non, mais aussi le commerce électronique, facilitent l’accès à des biens culturels à prix modéré. Longtemps sous-estimées, « les mutations en cours dans la distribution des produits culturels » font de l’ombre aux établissements culturels. Comme le déclare un membre du panel,« c’est plus facile de pousser la porte du Leclerc que celle d’une bibliothèque ».
Cette concurrence a au mois le mérite de poser la question de l’avenir des bibliothèques municipales et de leur adaptation aux temps modernes. Le Crédoc envisage deux scénarios : une hypothèse haussière –progression de la fréquentation jusqu’à 45 % – et une hypothèse baissière – régression de la fréquentation jusqu’à 30 %. Entre ces deux voies, les auteurs soulignent que « la dynamique propre des médiathèques comptera pour beaucoup, c’est-à-dire la capacité des collectivités locales à faire de ces établissements des centres de la vie culturelle de proximité ». Au-delà des taux de fréquentation, les enjeux portent également sur les missions dévolues aux bibliothèques municipales. Doivent-elles devenir, comme cela se constate à la BPI et à la BNFSite web de la BnF">i, des annexes des bibliothèques universitaires? Au contraire, les auteurs considèrent qu’elles doivent « stimuler l’appropriation par le plus grand nombre d’une culture de plus en plus encyclopédique et multiforme ».
 

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Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.