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"Infobésité et collaboration numérique", les principales conclusions du Référentiel 2024 de l'OICN

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    Le rapport met notamment en exergue l’importance de replacer l’humain au cœur de l’activité et des bonnes pratiques à diffuser dans les organisations pour améliorer les conditions de travail et réduire la pollution numérique (DR).
  • Marie Ged est codirigeante de Mailoop, membre fondateur de l’Observatoire de l’infobésité et de la collaboration numérique (OICN). Elle présente ici les principales conclusions du Référentiel annuel 2024 : "Infobésité et collaboration numérique", publié en octobre 2024.

    enlightenedCET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°379
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    Depuis plusieurs années, l’Observatoire de l’infobésité et de la collaboration numérique alerte sur les risques psychosociaux liés à la surcharge informationnelle. Où en sommes-nous en 2024 ?

    Depuis que nous mesurons l’ampleur de l’infobésité en France, nous constatons une augmentation toujours plus importante du volume de courriers électroniques que les salariés doivent traiter. À cela s’ajoute un accroissement du nombre de réunions auxquelles les collaborateurs, les managers et les dirigeants doivent assister. Le développement du multitâches conduit par ailleurs les collaborateurs à traiter leurs e-mails en réunion.

    Quant au phénomène d’hyperconnexion, celui-ci pousse certaines personnes à consulter leur messagerie le soir, le week-end et même pendant les vacances.

    En 2024, nous avons constaté qu’il ne se passe pas une semaine sans que les dirigeants n’envoient des e-mails, y compris pendant les congés (c’est le cas pour 60 % d’entre eux). La machine ne s’arrête jamais. En un sens, certains collaborateurs n’ont pas de "congé numérique".

    Lire aussi : Lutter contre l'infobésité : il y a un Observatoire pour ça

    Ce chiffre est-il en hausse, par rapport aux années précédentes ?

    Oui, car les équipes échangent toujours plus d’informations, notamment lorsqu’elles travaillent en mode projet. L’échange d’informations est bien sûr une bonne chose, mais on ne s’interroge pas sur l’impact que cela génère ni sur la difficulté à prioriser ces informations. On ne s’interroge pas non plus sur l’impact environnemental du stockage de courriers électroniques dans les messageries. Et à l’heure de l’intelligence artificielle générative, cette information encombre encore plus les collaborateurs.

    L’habitude a désormais été prise de brancher CoPilot pour générer un compte-rendu de réunion, sans s’interroger sur son utilité. Ces pratiques et ces outils invisibilisent le coût cognitif de cette surcharge informationnelle sur les personnes.

    Lire aussi : Dossier : prévenir et guérir l’infobésité

    Quel est le volume de courriels reçus et envoyés chaque semaine par les différents collaborateurs de l’entreprise ?

    Chaque semaine, un collaborateur envoie 30 e-mails touchant 70 personnes en raison du mode multidestinataire ; un manager en envoie 64, alors qu’un dirigeant en envoie 101. À cela, il convient d’ajouter les e-mails reçus : 104 pour un collaborateur, 205 pour un dirigeant et 342 pour un dirigeant. Nous avons transposé ces volumes en temps minimum consacré au traitement de ces courriels envoyés et reçus : environ 3 heures et 15 minutes pour un collaborateur, 6 heures et 30 minutes pour un manager, et 10 heures et 45 minutes pour un dirigeant.

    Les messageries instantanées se sont multipliées sur les lieux de travail. Ont-elles permis de réduire la production de courriels ?

    À l’occasion de notre référentiel 2024, nous n’avons rencontré aucune organisation dotée d’un outil de mesure permettant de constater le basculement entre la messagerie e-mail et la messagerie instantanée. Ce que l’on constate, ce sont des indicateurs consacrés au taux d’adoption des messageries instantanées, mais ils sont plus ou moins fiables.

    Notre étude note l’apparition d’un mille-feuille communicationnel dans lequel un nouveau canal de communication s’ajoute à des canaux déjà présents et dans lequel les collaborateurs ont tendance à dupliquer des informations qui existent déjà ailleurs.

    Sous quelle forme se présentent les risques psychosociaux liés à la surcharge informationnelle ?

    Le plus important est probablement le phénomène d’hyperconnexion, dans lequel la place du travail déborde sur les soirées, les week-ends et les congés. Nous assistons également à une forme de pénibilité numérique, avec une charge croissante de messages à traiter. L’OICN considère que cette pénibilité commence à partir de 250 messages à traiter chaque semaine et 70 % des dirigeants sont concernés.

    Les outils numériques ont également développé une hyperréactivité, avec le stress qu’elle engendre. À l’origine, l’e-mail a été conçu comme un outil asynchrone qui n’impliquait pas une réponse immédiate. Aujourd’hui, nous nous sentons obligés d’y répondre de plus en plus rapidement pour montrer que nous sommes présents ou aptes à répondre à une question posée. Tous ces phénomènes finissent par créer de la frustration et finalement du travail mal ficelé.

    Le droit à la déconnexion est pourtant reconnu depuis 2017. Peut-on faire un bilan de son application ?

    Certaines organisations se sont dotées d’une charte reprenant le droit à la déconnexion. Mais nous estimons que ce droit est très peu appliqué. Au mieux, nous constatons une phrase à côté de la signature : "ce mail n’appelle pas de réponse en dehors des horaires de travail". Une phrase beaucoup plus engageante serait : "je ne répondrai pas à ce mail en dehors des horaires de travail".

    Dans les faits, la réalité est qu’environ 20 % des courriels sont encore envoyés en dehors des horaires de travail. Le fait de travailler en soirée et le week-end est encore valorisé parfois, et les personnes hyperconnectées continuent d’apparaître comme des modèles pour certains.

    Lire aussi : Méthodes et outils : éviter l’infobésité à tous les niveaux

    Vous estimez que 43 340 courriels sont stockés en moyenne par un dirigeant. Quels outils ou pratiques préconisez-vous pour réduire ce stockage massif ?

    Il faut déjà prendre conscience du coût environnemental de ce stockage dans les data centers. Ensuite, nous devons nous interroger sur notre besoin de conserver tous ces e-mails et sur le statut que nous accordons à l’information. Plus concrètement, nous préconisons d’attribuer une durée de vie aux e-mails dès leur réception en programmant leur destruction après un mois de présence dans la messagerie, quand cela est pertinent. C’est le cas des newsletters, des invitations…

    En revanche, les messages consacrés à un projet peuvent être programmés pour n’être détruits qu’après une plus longue période. D’autres encore peuvent être conservés ad vitam aeternam, si besoin.

    Votre référentiel constate également l’omniprésence des réunions au sein des organisations. Les entreprises françaises souffrent-elles de "réunionite aigüe" ?

    Nous avons un rapport ambigu aux réunions. Tout le monde se plaint de ces réunions et, en même temps, si aucune réunion n’est prévue dans un agenda, on a l’impression qu’il ne va rien se passer dans la semaine à venir ! Selon notre étude, 26 % des invitations de réunions restent sans réponse et seulement 5 % sont refusées. Ne pas savoir qui vient à une réunion les rend moins utiles et moins efficaces.

    Nous avons également constaté des tunnels de réunions (avec plus de six heures de réunions dans une journée) qui engendrent une fatigue cognitive. Ces réunions interminables finissent en effet par générer du stress, car, dans le même temps, les messageries continuent de se remplir.

    Le référentiel évoque une course à l’échalote technologique des outils proposés par les éditeurs de logiciels. Allez-vous sensibiliser les éditeurs à la question de l’infobésité ?

    Les éditeurs de logiciels français semblent plus sensibles que les Gafam à la question de l’infobésité. Nous aimerions bien que ces éditeurs rejoignent l’OICN pour aborder ces problèmes de surcharge informationnelle ! Cela permettrait par exemple de réduire le bruit numérique généré par les incessantes notifications envoyées par les logiciels professionnels. Nous avons noté le cas d’un outil qui envoie des notifications en pleine nuit ! Cela pose le problème de leur paramétrage.

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