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Sommaire du dossier :
- Intelligence artificielle : une veille augmentée ?
- Ce que pensent (vraiment) les veilleurs de l'intelligence artificielle
- Veille et intelligence artificielle : "tout le monde prétend faire de l'IA mais c'est faux"
- "Le travail du veilleur est optimisé par l’intelligence artificielle" chez BNP Paribas Cardif
- Veille et intelligence artificielle au Crédit Agricole : quels avantages ?
L'intelligence artificielle va-t-elle impacter le travail des veilleurs ?
Un petit sondage réalisé par Jérôme Bondu, directeur du cabinet de veille et d’intelligence économique (IE) Inter-Ligere, auprès des professionnels du domaine en septembre 2020 indiquait les tendances suivantes : plus de la moitié des professionnels de l’IE ont déjà introduit de l’intelligence artificielle (IA) dans leurs processus. Les trois-quarts des sondés pensent que l’IA va fortement impacter leur travail et 80 % considèrent que l’impact sera positif.
« L’IA impacte déjà tous les internautes », confirme Jérôme Bondu ; « Les veilleurs, comme tout le monde, utilisent déjà l’IA du moteur de recherche Google. Mais si l’on se projette dans le futur, l’IA va forcément impacter encore plus profondément le travail des professionnels de l’IE parce que leurs outils vont intégrer de plus en plus de briques d’IA ».
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« On ne peut pas dire que l’intelligence artificielle soit absente du travail des professionnels de la veille, mais elle l’impacte pour l’instant a minima », tempère Christophe Deschamps. Selon le consultant et formateur en veille stratégique et intelligence économique (et auteur du site Outils Froids), il convient de faire la distinction entre les veilleurs qui utilisent des solutions gratuites ou peu chères, et qui auront, au mieux, accès à des algorithmes de recommandation automatique, de ceux qui exploitent les plateformes de veille à plusieurs milliers d’euros — et ne représentent qu’un faible pourcentage de veilleurs.
« Certains éditeurs de ces solutions ont en effet commencé à leur adjoindre des fonctionnalités telles que la reconnaissance d’images ou d’objets présents dans des vidéos, le sentiment analysis ou l’optimisation du sourcing par apprentissage », explique-t-il ; « cela reste cependant assez marginal, même si c’est un bon début ».
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Veilleur craintif, sceptique ou enthousiaste ?
Frédéric Martinet, fondateur d’Actulligence Consulting et consultant en veille stratégique et intelligence économique, distingue de son côté trois types de postures de la part des professionnels face à l’invasion de l’IA dans les processus informationnels :
« Il y a d’abord le craintif qui a peur de perdre son poste ou d’avoir du mal à justifier de son intérêt si les tâches qui lui sont allouées sont à faible valeur ajoutée », explique-t-il.
« Il y a aussi le sceptique qui essaie d’adapter sa pratique, évalue l’avancée des algorithmes d’IA et donc leur performance. Je me rangerais probablement dans cette catégorie car je sais l’investissement que représente le passage d’une solution de veille à une autre, le temps nécessaire à son déploiement, mais également celui mis à séduire les utilisateurs et clients de la veille.
Enfin, il y a l’enthousiaste qui aime la simplicité offerte par l’IA dans les processus de veille ». Selon Frédéric Martinet, l’enthousiaste préfère se concentrer sur la promotion du service de veille, la communication avec les utilisateurs et la prise en compte de leurs demandes.
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Les promesses en IA des logiciels de veille
L’intelligence artificielle est censée faciliter le travail des veilleurs en réalisant pour lui les tâches les plus fastidieuses, par exemple validation, catégorisation ou taguage des articles. Après une phase d’apprentissage du logiciel qui observe les décisions du veilleur, ce dernier serait à même de décider à sa place de garder un article et comment le catégoriser.
« À ce jour, je n’ai trouvé que peu de logiciels de veille qui remplissent leur promesse, en tout cas sur la partie veille stratégique et concurrentielle », poursuit Frédéric Martinet.
Selon lui, l’IA en veille peut avoir un intérêt si la masse d’informations est importante, le veilleur devant détecter et sélectionner uniquement les plus pertinentes. « Dès que l’on tombe sur des thématiques pointues, à faible volume avec des sources d’information très hétérogènes, l’IA échoue, ne disposant pas de socle d’apprentissage suffisant et de comportements convergents de la part du veilleur ».
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L’IA au cœur du travail de veille
Mais alors ? Sur quel terrain la veille peut-elle profiter de l’apport de l’intelligence artificielle ? « Le continuum entre l’expression des besoins, la recherche des sources pertinentes, la collecte, l’analyse et la diffusion pourrait grandement bénéficier de l’apport de l’IA », affirme Jérôme Bondu.
Les éditeurs de plateformes proposent déjà à leurs clients de sous-traiter l’étape du sourcing à l’IA. En amont, la phase essentielle qui conditionne le reste du travail du veilleur, c’est-à-dire la détection des besoins informationnels, pourrait l’être également.
« Elle pourrait être alimentée par un outil d’analyse des questions et échanges (anonymisés) remontées dans les différentes communautés de l’intranet de l’organisation, confirme Christophe Deschamps ; des algorithmes de traitement automatique du langage naturel (TAL) pourraient les exploiter afin d’informer les veilleurs des problématiques en cours et afin qu’ils puissent éventuellement s’en saisir ».
L’animateur du blog Outils Froids considère également que la phase de collecte pourrait aussi bénéficier de l’aide de l’IA, ne serait-ce que pour récupérer des pages nettoyées de toutes « scories publicitaires » via des algorithmes apprenants. « Mais d’autres possibilités sont envisageables », précise-t-il, « comme par exemple un classement qualitatif des sources et contenus selon un modèle défini et entraîné par l’utilisateur ».
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L'analyse, terrain de jeu privilégié de l'intelligence artificielle
Mais la phase critique, c’est-à-dire celle qui requiert le plus d’attention de la part du veilleur, est la phase d’analyse. Et c’est le terrain de jeu privilégié de l’IA. Ce que confirme Christophe Deschamps :
« On peut évoquer par exemple la traduction automatique, la reconnaissance des paroles prononcées dans les vidéos et leur retranscription (speech to text), la détection d’éléments (objets, personnes, marques, etc.) dans les vidéos (on parle de video content analysis), la mise en avant de certaines actualités ou de certains faits (thèmes, acteurs, etc.) qui en émergent ».
Le consultant considère même que du prédictif sur les sources ou les acteurs pourrait être mis en place afin d’en observer puis d’en anticiper les comportements ou apparitions cycliques. Par exemple pour la détection des marronniers de la presse ou encore la prévision du calendrier de communication d’une organisation concurrente.
Il tempère néanmoins : « Les possibilités sont infinies et la créativité règne, mais attention à ne pas voir ces “résultats” autrement que comme des probabilités ».
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Le métier de veilleur est-il menacé ?
On le voit, l’intelligence artificielle ne constitue pour le moment pas encore un assistant totalement crédible aux yeux des veilleurs pour leurs tâches quotidiennes. Mais pourrait-elle le devenir au point de les remplacer un jour ? Rien n’est moins sûr à en croire les professionnels qui ont bon nombre de valeurs ajoutées à défendre.
« Le veilleur reste à mon avis un maillon indispensable pour faire le lien entre un écosystème informationnel de plus en plus riche, la connaissance d’un métier, les préoccupations stratégiques d’une entreprise, les besoins en information des décideurs, mais également pour l’intégration technologique qui devient à mon sens une compétence socle indispensable à l’exercice de nos métiers », considère Frédéric Martinet.
« L’esprit humain est le seul à pouvoir analyser finement des informations ou encore à pouvoir émettre des hypothèses — et donc à être créatif — pour tenter ensuite de les vérifier en posant, par exemple, de nouvelles requêtes », explique Christophe Deschamps ; « Il est aussi le seul à évoluer en permanence, de par les connaissances et expériences qu’il accumule au jour le jour ».
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Une évolution nécessaire du métier de veilleur
« Pour que notre métier ne disparaisse pas, il faut dès maintenant que nous sachions remettre au centre de notre démarche la dimension humaine (analyses des besoins renforcées, animation de réseau, restitutions orales) et la créativité (dans l’analyse des problèmes, dans le croisement des disciplines, dans les modes de restitution) », confirme Jérôme Bondu ; « cela est d’autant plus urgent que nous avons eu tendance ces dernières années à nous enfermer dans la dimension technique et informatique de la veille ».
Christophe Deschamps conclut : « Cela amène à se poser la question d’une évolution du métier de veilleur moins orientée vers la collecte et plus orientée vers la compréhension du besoin et l’analyse. Une chance à saisir pour aller vers des activités bien plus enrichissantes et valorisantes pour le veilleur ! ».