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La veille collaborative a le vent en poupe
L’expression « veille collaborative » connaît depuis quelques années une vogue certaine.
Est-ce à dire que l’on a pu mener des veilles solitaires, isolées, renfermées ? Certes non ! Mais il convient tout de même de s’interroger sur le phénomène de « veille collaborative », et de faire la différence entre l’effet de mode et la réelle mise à jour des pratiques et outils.
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Un effet de mode
En un sens, l’engouement pour la veille collaborative relève de l’effet de mode, car mener une activité de veille est par essence une activité connectée.
La mise en place d’une veille demande dès le début du processus de recevoir les orientations de la direction, les besoins informationnels des managers et les retours des « clients internes ». La veille bien faite ne peut pas être isolée. Le veilleur est par essence un élément interconnecté dans son organisation.
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Un besoin réel
En même temps, non, ce n’est pas qu’un effet de mode. Car dans les faits, le veilleur a très bien pu se sentir isolé, et ce au cours de nombreuses phases de son activité. La prégnance des outils de veille première génération a pu mettre au second plan les aspects collaboratifs. Ainsi, l’utilisation d’outils de veille monopostes a certes facilité la vie du veilleur, mais elle l’a aussi isolé dans un tête-à-tête avec son écran.
Ajoutons que l'incompréhension des méthodes de veille en interne a pu faire croire à une autonomie ou à une omniscience du veilleur. Encore maintenant, il arrive que des managers demandent de mettre en place une veille (ou une recherche, sachant que pratiquement tout le monde confond ces deux activités pourtant bien différentes) avec deux ou trois mots laconiques : « Fais-moi un rapport sur le sujet X ».
Bien sûr, la demande ainsi formulée dans un mail n’appelle pas à l’échange, ni à l’interaction de visu. Et voilà le veilleur perdu dans les affres de l’extrapolation d’une demande inconsistante.
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La veille à l’ère d’internet
L’informatique et l’accès à internet ont pu jouer un rôle dans l’isolement des collaborateurs : chacun croyant savoir rechercher sur Google et se détournant du service archives-documentation-veille. Et l’on a vu des services doc dans de grandes sociétés passer, en l’espace de vingt ans (entre 1990 et 2010), d’une vingtaine de collaborateurs à… deux ou trois !
Dans le cadre de la préparation de ma thèse professionnelle, "Benchmarking des pratiques d’intelligence économique" (thèse professionnelle rédigée dans le cadre d’un mastère intelligence scientifique technique et économique à l'ESIEE en 2001), j’ai notamment échangé avec un responsable veille qui se lamentait du déclin inexorable du nombre de demandes d’information, de la baisse de son budget, et de la perte continue de ses collaborateurs.
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La diffusion des médias sociaux dans toutes les couches de la société a été un puissant moteur de changement. Désormais, même les managers les plus réfractaires, même les patrons dans leur tour d’ivoire ressentent le besoin d’intégrer une dimension horizontale dans l’organisation. Et donc, de mettre en place une veille plus ouverte.
Enfin, il est possible que le veilleur soit lui-même en partie responsable de son isolement. Car après avoir mené l’analyse des besoins lors de sa prise de poste, et après avoir paramétré les outils de collecte automatique, il a très bien pu se reposer sur ses lauriers. La mise à jour des besoins est d’autant plus difficile qu’elle implique de remettre en cause ce que le veilleur s’est appliqué à bâtir lors du démarrage de son activité.
Finalement, s’il y a certes un léger effet de mode, il n’en reste pas moins que le besoin d’une veille collaborative est réel. Mais sa mise en place ne va pas de soi.
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La veille collaborative en pratique
Dans le cadre des formations en veille collaborative que j’anime, j’ai pu m’entretenir avec un large panel de veilleurs voulant optimiser leurs pratiques. Voici trois exemples typiques de blocage :
- Le besoin provenant souvent de leur hiérarchie, les veilleurs eux-mêmes ne savent pas vraiment dans quelle direction aller ;
- Même s’ils sont convaincus du bien-fondé de la mise en place d’une veille plus collaborative, ils se heurtent souvent au fonctionnement en silo de leur organisation ;
- Ils ont rarement participé à la décision d’achat d’un réseau social d’entreprise et doivent souvent chercher par eux-mêmes à « connecter » la plateforme de veille au RSE.
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Étude de cas 1 - les raisons d’un échec
Ce premier cas est un échec, symptomatique des décisions prises dans l’ignorance des réalités du terrain. Nous sommes dans une grande entreprise industrielle. La direction générale décide de mettre en place un espace de discussion, les membres ayant pour mission de partager des informations et détecter des signaux faibles.
Pour maximiser les chances de réussite, la DG elle-même poste le premier message, en enjoignant les collaborateurs de faire de même. Nous pouvons d’ores et déjà nous interroger sur le bien-fondé de ce premier mail : car le partage, c’est comme la confiance, cela ne s’impose pas. Il est évident que les collaborateurs, voyant que la direction a les droits d’écriture et donc de lecture dans l’espace collaboratif, vont tourner sept fois leurs doigts sur leur clavier avant de produire le moindre message.
Sans surprise, la peur de mal faire est plus forte que l’envie de partager. Quelques mois après le lancement de cet espace censé être « collaboratif », il est fermé faute de participation. Il faut tout reconstruire.
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Étude de cas 2 - de l’agilité des veilleurs
Nous sommes dans une grande entreprise de distribution. Les deux coresponsables veille, sur ordre de la direction générale, mettent en place un système de remontée d’informations du terrain, pour détecter des signaux faibles.
Plutôt que d’imposer quoi que ce soit en invoquant leur lettre de mission, ils préfèrent jouer finement. Ils établissent d’abord une lettre de veille à destination de leurs cibles. Ils cherchent à diffuser des informations pertinentes pour satisfaire la soif de leur lectorat en informations utiles. Puis, seulement ensuite, ils proposent à leur public de faire des remontées terrain. Leur demande vient donc dans un second temps, après qu’un premier lien « positif » est créé.
Dans toute structure, il y a des primo-utilisateurs. Dans notre cas, quelques téméraires jouent le jeu en premier. Ils sont valorisés dans la newsletter : remerciement, ajout de leur photo à côté de l’édito… Les informations les plus intéressantes sont remontées jusqu’à la DG. Les veilleurs suivent les décisions qui en résultent et tiennent au courant le détecteur du signal faible, qui se voit ainsi doublement valorisé.
Finalement, même si les veilleurs pourraient jouer sur le caractère officiel de la demande qui vient d'en haut lieu, ils préfèrent créer un partenariat gagnant-gagnant avec leur cible. Cela se révèle payant, puisqu’au bout d’un an, près de 50 % de la cible a remonté au moins une information.
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Jérôme Bondu
Formateur et consultant en intelligence économique Inter-ligere.fr