Article réservé aux abonnés Archimag.com

Le métier de veilleur face à l'IA générative : paroles d'experts

  • metier-veilleur-ia-generative-paroles-experts.jpg

    metier-veilleur-ia-generative-paroles-experts.jpg
    “Les IA génératives sont devenues des outils supplémentaires, mais incontournables de la boîte à outils du veilleur”, explique Laurent Couvé, responsable veille technologique et stratégique du Cetim. (freepik/mr us)
  • En quoi les intelligences artificielles génératives font-elles évoluer les pratiques, les outils et les compétences des professionnels de la veille ? Comment s’adapter à ces technologies et déjouer leurs failles ? Mais surtout, quel avenir pour le métier de veilleur ? Six experts livrent leur point de vue.

    enlightenedCET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°376

    archimag_376_hd_couv_20240626_page-0001_1_0.jpgAu sommaire

    - Dossier : quel avenir pour la veille à l’ère des IA génératives ?
    - L’IA générative au service de la veille juridique


    Le point de vue de Jérôme Bondu

    Jérôme Bondu est consultant en veille et intelligence économique, directeur de la société Inter-Ligere.

    Quel avenir pour la veille à l’ère des IA ?

    L’avenir sera passionnant ! L’IA renouvelle le métier, qui, il faut bien l’avouer, n’avait pas connu d’innovation majeure depuis longtemps.

    Quels sont les apports concrets de l’IA au travail des veilleurs ?

    jerome_bondu_1_2_1.pngSes avantages sont multiples. En matière d’analyse des besoins (cette phase amont qui nécessite de bien comprendre les besoins de ses clients), une préanalyse des profils LinkedIn est possible avec l’IA.

    Concernant la recherche, l’IA offre une autre manière de travailler, complémentaire des moteurs de recherche ou des bases de données (mais attention aux hallucinations !). En matière de veille, je n’ai pour l’instant pas trouvé de système plus performant que les bonnes vieilles plateformes de veille (j’ai bien testé des automatisations, notamment via Zapier ou Make, mais le rapport entre la complexité du montage et les bénéfices m’a semblé peu intéressant). En revanche, on peut toujours utiliser l’IA pour aider au choix des mots-clés ou à la construction des règles de veille.

    C’est sur les phases d’analyse que les outils d’IA révèlent toute leur force : on peut par exemple analyser un PDF de 540 pages avec pour mission d’en résumer le contenu, puis de détecter les incohérences chiffrées du document… On peut analyser une image pour avoir des explications sur son contenu, etc.

    Le métier de veilleur est-il affecté, voire menacé, par l’IA ?

    Notre situation n’est ni meilleure ni pire que celle d’autres métiers intellectuels. À nous de nous déplacer vers les parties de notre activité les moins exposées : créativité, innovation, relations humaines. Il reste beaucoup de choses que l’IA fait mal ou ne fera jamais.

    Lire aussi : Veille et e-réputation : l'IA générative envahit les solutions (comparatif d'outils)

    Le point de vue de Chloé Bureau 

    376_2_2_chloe_bureau_sca_1_1.jpegChloé Bureau est analyste consultante chez Spin Partners, cabinet de conseil en communication d’influence.

    Quel avenir pour la veille à l’ère des intelligences artificielles (IA) génératives ?

    L’IA générative rivalise déjà avec les praticiens dans l’élaboration de plans de veille, la synthèse de grands volumes de données et la rédaction de livrables attrayants. Si elle peut prendre en charge certaines tâches du cycle de veille, elle n’est toutefois pas encore un outil de surveillance complet et autonome.

    Libéré des tâches répétitives, le veilleur supervise les outils, affine le processus et assure le contrôle qualité. Son expertise du besoin client, du secteur et des méthodologies garantit une interprétation pertinente des informations.

    En quoi l’IA générative redéfinit-elle le paysage de l’intelligence économique (IE) ?

    Sans la révolutionner, l’IA générative en modifie profondément les pratiques. Elle accélère le processus de collecte des données, les traite et en extrait des tendances, facilitant ainsi l’analyse. Elle renforce aussi l’impact de la diffusion en personnalisant le support final.

    En définitive, elle accélère le processus décisionnel et permet d’ajuster sa stratégie en temps réel. L’intégration de cette technologie présente toutefois des défis pour les praticiens de l’IE, tels que la surcharge informationnelle, les risques de manipulation ou encore la gestion de la confidentialité des données.

    Qu’apportent ces technologies à la protection du patrimoine informationnel ?

    En garantissant des décisions rapides et adéquates, l’IA générative contribue à préserver l’actif crucial qu’est la réputation de l’entreprise. Elle peut aussi jouer un rôle dans la sécurisation du patrimoine informationnel en aidant à prévenir, détecter et contrer les menaces.

    Sa principale limite réside pour l’heure dans un nécessaire équilibre entre l’entraînement des modèles sur les données idoines et la protection de l’information stratégique.

    Lire aussi : Les meilleurs outils gratuits pour la veille

    Le point de vue de Laurent Couvé

    376_2_2_laurent_couve_sca_1_1.pngLaurent Couvé est responsable veille technologique et stratégique du Cetim.

    Quel avenir pour la veille à l’ère des IA génératives ?

    Les IA génératives sont devenues des outils supplémentaires, mais incontournables de la boîte à outils du veilleur. Elles ne remplacent pas ceux que nous utilisons déjà et ne suppriment pas la valeur ajoutée humaine. Ce qui est intéressant avec ces technologies, c’est qu’elles peuvent intervenir à différentes étapes du cycle de veille.

    Par ailleurs, l’information et la formation autour des IA génératives font aussi partie de nos missions auprès des industriels que nous suivons. Après les tests en interne et l’établissement de bonnes pratiques, nous sommes dans une phase d’évangélisation.

    Pouvons-nous envisager la démocratisation des IA génératives développées en interne ?

    Il y a beaucoup d’engouement autour de l’idée de disposer d’une solution privée, sécurisée et qui va apprendre et s’alimenter uniquement avec des documents qui nous appartiennent ? En ce moment, nous sommes en train de réaliser des Poc (proof of concept) que nous documentons (compte rendu de ce Poc disponible dans le guide pratique n°77 d'Archimag). Nous partageons avec nos clients nos avancements, notre méthodologie, les bons ou mauvais résultats. Et ce, en temps réel, parce que si nous attendons six mois, nous serons déjà "has been" ! 

    Pensez-vous que l’utilisation des IA est devenue un critère d’embauche ?

    Oui, mais l’utilisation de l’IA va sûrement devenir une compétence basique, un peu comme internet et les outils classiques des veilleurs vont de toute façon intégrer une couche d’IA générative. Nous sommes obligés de nous adapter rapidement.

    Pour nuancer, il faut que les veilleurs arrivent à doser l’effort qu’ils font. Nous ne devons pas tomber dans le "super expert" : il faut comprendre comment fonctionnent les IA sans trop rentrer dans la théorie. Pour développer nos projets, nous nous appuyons aussi sur nos services techniques ainsi que sur des partenaires et des start-up spécialisés.

    Lire aussi : Formation et compétences des métiers de la veille et de la documentation : la grande enquête 2024

    Le point de vue de Christophe Deschamps

    376_2_2_christophe_deschamps_sca_1.jpgChristophe Deschamps est consultant et formateur en veille stratégique, intelligence économique, social KM et mind mapping.

    Quel avenir pour la veille à l’ère des IA génératives ?

    Si plusieurs aspects de la veille vont être automatisés, l’analyse restera la plus grande plus-value du veilleur. Car le problème des IA génératives disponibles réside dans notre méconnaissance de la cuisine interne de leurs modèles de langage. Cela génère un certain nombre de biais et introduit des bulles de filtre.

    Je pense que nous allons passer de l’ère des précurseurs à celle des curseurs. C’est-à-dire que les chargés de veille vont devoir jouer avec des curseurs pour régler l’orientation de leurs sources, pour faire leurs propres choix et ne pas rester enfermés.

    Les compétences requises pour les professionnels de la veille vont-elles évoluer ?

    Durant mes formations, j’essaie en premier lieu d’expliquer ce que nous mettons derrière les mots "IA générative". Il est nécessaire de comprendre les avancées récentes, les différents concepts qui s’y rattachent, car il y a beaucoup de marketing sur l’IA.

    Pour l’instant, le prompting représente "LE" sésame pour interagir avec les IA génératives. Mais nous nous rendons déjà compte que les prompts générés par des IA spécialisées obtiennent de meilleurs résultats que nous. Ce qui est intéressant à connaître, ce sont les types de prompts (en "zéro shot", en "one shot", en "few shot", etc.) et ce que nous pouvons en attendre. Il faut aussi suivre les évolutions des outils de veille qui intègrent ces technologies.

    Comment se prémunir des potentielles "hallucinations" ou de la génération de fausses informations ?

    Les veilleurs apportent de l’information et des contenus à des décideurs. Ils ne peuvent donc pas se permettre d’être enfermés dans des biais, quels qu’ils soient, et ne doivent pas se laisser intoxiquer par des informations générées par des IA. Là, l’IA est à la fois un problème et un remède, puisqu’elle peut aussi nous aider à détecter les contenus falsifiés.

    Cependant, il faut continuer à exercer notre esprit critique et ne pas s’endormir au volant ! Sans cela, loin de les anticiper, nous risquons de subir les attaques informationnelles…

    Lire aussi : Documation 2024 - Véronique Mesguich : "face à l'IA, c'est aux professionnels de l'information de faire connaître leur valeur ajoutée"

    Le point de vue d’Henri Stiller

    henri_stiller_adbs_2_1_1.pngHenri Stiller est président de l’ADBS (Association des professionnels de l’information et de la documentation)

    Quel avenir pour la veille à l’ère des IA génératives ?

    Loin de faire disparaître le métier de veilleur, les IA peuvent contribuer à le renforcer, à condition de maîtriser à la fois leurs limites et leurs immenses capacités. Pendant tout le processus de veille, une interaction dynamique entre le veilleur et les IA interviendra de façon itérative : à partir de premiers résultats, le veilleur affinera ses requêtes, produira des prompts focalisés sur ce qu’il attend et sur la forme des résultats (Swot, Pestel, tableaux, graphiques, schémas, etc.). Le veilleur agira comme pilote des IA, décidera des axes à approfondir et des sources à explorer. La phase fondamentale d’expression des besoins restera en grande partie du domaine du traitement humain, tant la qualité du relationnel avec les « clients » est importante.

    Comment déjouer les hallucinations des IA génératives ?

    Elles sont à traiter comme la désinformation : vérification des sources, consolidation à partir de plusieurs sources fiables, confrontation entre plusieurs IA…
    Il ne faut pas hésiter à polémiquer avec les IA pour les pousser à révéler leur processus de production de l’information.

    Quels sont les besoins en formation sur l’IA ?

    Les formations sont nécessaires aux veilleurs pour maîtriser ces technologies et doivent être renouvelées fréquemment, compte tenu de leurs évolutions rapides : écriture de prompts, pratique des outils, interopérabilité entre ces outils, constitution de corpus d’apprentissage…

    Lire aussi : Enquête : veilleurs et documentalistes francophones, un même combat ?

    Le point de vue de Christophe Willaert

    christophe_willaert_bte_1_1.jpgChristophe Willaert est consultant et formateur en veille stratégique.

    L’IA générative a-t-elle sa place dans le métier de veilleur ?

    Oui, à condition d’en connaître les limites et de bien choisir les tâches que l’on souhaite lui confier. Des services comme ChatGPT peuvent aider à analyser et comparer des informations ou automatiser des tâches répétitives. Mais par exemple, pour la génération de synthèses de vidéos YouTube ou de résumés, il faut s’assurer que les informations essentielles ne soient pas perdues ou déformées.

    Comment déjouer les risques de désinformation liés à l’IA générative ?

    Contrairement aux programmes traditionnels, comme une calculatrice qui donne toujours la même réponse, les IA génératives fonctionnent sur une logique probabiliste. Cela signifie que leurs réponses, qui peuvent inclure des inventions plausibles (confabulations), ne sont pas toujours prévisibles. Il est donc crucial de toujours garder un esprit critique et de vérifier les informations.

    Des moteurs de recherche comme Perplexity AI ou Bing Copilot, qui combinent la recherche traditionnelle et les synthèses produites par des IA génératives, offrent des résultats généralement plus fiables, qui nécessitent néanmoins une vérification.

    Le métier de veilleur est-il menacé par l’IA générative ?

    Il est important de comprendre que ces outils progressent très vite et qu’il faut rester informé sur ces évolutions pour ne pas se limiter à ce qu’ils peuvent faire aujourd’hui. Le métier de veilleur ne va pas disparaître, mais l’automatisation va transformer ses pratiques. L’IA n’étant pas parfaite, l’intervention humaine reste indispensable pour superviser et garantir la précision des processus.

    Lire aussi : 24 heures dans la vie d'une veilleuse scientifique

    À lire sur Archimag
    Les podcasts d'Archimag
    Rencontre avec Stéphane Roder, le fondateur du cabinet AI Builders, spécialisé dans le conseil en intelligence artificielle. Également professeur à l’Essec, il est aussi l’auteur de l’ouvrage "Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise" (Éditions Eyrolles). Pour lui, "l’intelligence artificielle apparaît comme une révolution pour l’industrie au même titre que l’a été l’électricité après la vapeur".
    Publicité

    Serda Formation Veille 2025