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Michel Beaudouin-Lafon : "Avec son métavers, Facebook essaie d’allumer un contre-feu face aux critiques"

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    Le Metaverse Museum, créé par Rosanna Galvani dans le Grid Craft. (Wikipedia Commons / Mirabella)
  • Michel Beaudouin-Lafon est professeur au Laboratoire interdisciplinaire des sciences du numérique (LISN, unité CNRS-Université Paris-Saclay). Il a également fondé l’Association francophone de l'interaction humain-machine (AFIHM). Pour Archimag, il présente toutes les facettes de cet environnement virtuel, immersif et collaboratif : les actions possibles pour les internautes, la place que peuvent prendre les entreprises et les administrations dans le métavers, son modèle économique, le projet de Facebook et les risques psychologiques inhérents. 

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    Selon un sondage réalisé par l’Ifop, seulement 35 % des Français se disent capables de définir le métavers. Quelle définition en donneriez-vous ?

    michel-beaudoin-lafon-metaversLe métavers est un environnement virtuel, immersif et collaboratif. Il est virtuel car un monde est simulé en trois dimensions, il est immersif car il est prévu pour être utilisé avec des lunettes de réalité virtuelle qui offrent une impression d’immersion beaucoup plus importante qu’avec un simple écran vidéo, et il est collaboratif car plusieurs personnes peuvent se connecter dans cet environnement virtuel.

    Chacun peut être représenté par un avatar dont on peut contrôler les gestes grâce à une manette. Dans la version actuelle du métavers de Facebook, les avatars ne sont pas dotés de jambes faute de capteurs posés sur les jambes de l’internaute !

    Dans certains métavers, il est également possible de capter les émotions du visage (sourire, colère…) et les reproduire sur l’avatar.

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    Concrètement, quelles actions un internaute peut-il faire dans le métavers ?

    Il existe deux catégories d’actions : se déplacer dans l’espace afin de se rapprocher d’autres avatars, et manipuler certains objets. À ce jour, ces actions restent basiques. Pour réaliser ces actions, l’internaute doit posséder un casque de réalité virtuelle et des manettes. 

    Les entreprises et les administrations ont-elles leur place dans le métavers ?

    On se souvient de Second Life, il y a une quinzaine d’années, où des marques ont créé des boutiques virtuelles. Des partis politiques avaient également ouvert des espaces dans cet environnement. Aujourd’hui, des entreprises de mode s’intéressent de près au métavers de Facebook car il faut habiller les avatars. On peut également penser aux joueurs qui voudront acheter des fonctionnalités pour jouer dans le métavers.

    Des progrès ont-ils été réalisés en l’espace de quinze ans entre Second Life et les métavers de 2022 ?

    Grâce aux casques de réalité virtuelle qui sont devenus des produits accessibles pour le grand public, l’expérience du monde virtuel est beaucoup plus impressionnante que lorsque l’on est face à un écran. L’internaute est vraiment plongé dans ce monde virtuel… pour le meilleur et pour le pire. Si un avatar s’approche de mon propre avatar et fait mine de m’agresser, je vais le ressentir beaucoup plus vivement, quasi physiquement, que devant un simple écran d'ordinateur. 

    Nous avons déjà quelques retours d’expérience provenant du métavers de Facebook où des cas de harcèlement, y compris sexuel, ont été rapportés. 

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    Quel est le projet de Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, lorsqu’il investit des milliards de dollars dans le métavers ?

    On peut faire plusieurs lectures de la stratégie de Mark Zuckerberg. Lorsque Facebook a racheté les casques de réalité virtuelle Oculus pour plusieurs milliards de dollars, c’était bien dans l’idée d’investir le monde virtuel. À ses yeux, les interactions dans le métavers sont probablement l’avenir de nos interactions sociales.

    Il ne faut d’ailleurs pas être un grand psychologue pour comprendre que Mark Zuckerberg n’est pas très à l’aise dans les rapports sociaux : il est possible que de se réfugier derrière un avatar lui tient particulièrement à cœur. Il faut d’ailleurs signaler que tout n’est pas négatif dans le métavers. Je pense aux personnes discriminées pour leur apparence physique qui peuvent créer un avatar qui leur permet de sortir de leur situation.

    Autre lecture, Facebook ne va pas bien : après avoir annoncé la perte de nombreux utilisateurs, sa valeur boursière a décroché. Par ailleurs, la société est en délicatesse avec plusieurs gouvernements en raison du manque de modération et des campagnes de désinformation sur Facebook. De manière générale, Facebook a des problèmes avec la modération des contenus qui sont publiés sur la plateforme.

    Avec le métavers, Mark Zuckerberg essaie peut-être d’allumer un contre-feu face aux critiques qui s’abattent sur Facebook. Il souhaite probablement faire de son métavers, le métavers le plus ouvert possible pour tuer la concurrence et devenir dominant comme Facebook l’a été pendant des années.

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    Quel est le modèle économique d’un métavers ?

    Facebook a pensé son modèle économique probablement en espérant vendre des espaces contre un « loyer », et surtout de la publicité qui est déjà la vache à lait de l’entreprise. Par ailleurs, le métavers va lui permettre de collecter des données personnelles de manière encore plus efficace. Ce profilage permettra à Facebook et aux autres métavers de commercialiser un ciblage extrêmement précis aux annonceurs. Le but est d’attirer le chaland et de l’enfermer dans une plateforme, ce qui n’était pas la vocation initiale du web où l’esprit était celui de protocoles ouverts.

    Cet aspect économique est le nerf de la guerre, ce qui veut dire que le métavers sera également le lieu de toutes les arnaques sans parler des problèmes de harcèlement. Mais je ne suis pas sûr que les métavers auront l’impact que certains lui prédisent aujourd’hui. 

    Les États devront également s’emparer de tous ces enjeux afin de réguler les métavers. 

    Le métavers est-il l’occasion pour les Gafam de renforcer leur emprise sur l’économie numérique ?

    Il est vrai qu'outre Facebook, Microsoft et Apple se positionnent également sur le marché des métavers. Mais les Gafam ne fonctionnent pas tous sur le même modèle. Amazon, par exemple, a développé de l’économie réelle avec la vente d’objets matériels. Apple commercialise des ordinateurs, des tablettes et des smartphones. Quant à Microsoft, il vend essentiellement des logiciels et des services cloud. 

    De leur côté Facebook et Google sont un peu différents car ils vendent essentiellement des annonces publicitaires puisque leurs services sont gratuits. Chacune de ces entreprises a des intérêts différents. Il ne faut donc pas généraliser les stratégies propres à chacun des Gafam.

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    Que sait-on des risques psychologiques liés aux métavers ?

    Les premières technologies de réalité virtuelle ont été développées dans les laboratoires de recherche dès 1968 et ont donné naissance à des études psychologiques sur les effets de l’immersion et la sensation de présence. On sait que lorsqu'un individu est représenté par un avatar, cet individu finit par s’identifier à cet avatar. Ce constat a d’ailleurs permis des applications thérapeutiques pour aider les personnes à vaincre des phobies : vertige, peur des chiens… 

    On sait aussi que lorsqu’un homme est « incorporé » dans un avatar de femme, ou une personne blanche dans un avatar d'une personne noire, son comportement change. Lorsqu’un individu est perçu différemment, les autres individus se comportent différemment avec cette personne. Cela a ensuite des effets d’assez longue durée sur la façon dont les individus se comportent dans la vie réelle. Ces études montrent que l’immersion est un mécanisme puissant au sens psychologique.

    > Lire aussi : Face aux GAFAM, les trois piliers de la stratégie cloud du gouvernement

    Les problèmes que l’on a déjà identifiés sur les réseaux sociaux comme le harcèlement par exemple risquent d’avoir des effets psychologiques beaucoup plus importants dans les métavers. Nous disposons déjà des retours d’expérience issus du métavers de Facebook (un métavers pour l’instant réservé à quelques personnes invitées) qui montrent que des personnes ont déjà été victimes de harcèlement sexuel. Elles ont souffert de la même manière que si cela s’était passé dans le monde réel.

    Notons que Facebook a réagi en créant, dans un premier temps, une fonctionnalité d’alerte qui permet de créer une bulle de protection afin d’éloigner les agresseurs. Dans un second temps, une distance de plusieurs mètres entre les avatars a été instituée. 

    Finalement le monde virtuel produit les mêmes effets psychologiques et émotionnels que les expériences du monde réel. 

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