Edouard Bouyé est archiviste paléographe et conservateur général du patrimoine. Il dirige les archives départementales de la Côte-d’Or depuis 2013. Il est également l’auteur de L’archiviste dans la cité (un ver luisant), un essai publié par les Editions Universitaires de Dijon.
Votre ouvrage porte un drôle de sous-titre : "un ver luisant". Pourquoi avoir choisi cet insecte coléoptère pour parler des archivistes ?
Ce sous-titre m’est venu en lisant un roman peu connu d’Honoré de Balzac Ferragus. J’ai trouvé cette expression « ver luisant » très originale. Le métier d’archiviste est toujours victime de son lot de métaphores peu flatteuses à l’image des rats de bibliothèques… Le ver luisant est un insecte qui travaille dans l’ombre, mais qui brille de temps en temps quand on a besoin de lui.
Il est vrai que le métier d’archiviste est souvent caché. L’un des objectifs de ce livre est de répondre à une question que j’entends souvent : « Mais qu’est-ce que les archivistes font exactement ? » Dans un premier temps, j’avais même l’intention de...
...donner comme titre principal « Un ver luisant » à cet ouvrage, mais mon éditeur m’a mis en garde en disant que ce livre serait classé dans les rayons des librairies avec les ouvrages consacrés aux insectes !
« Dans les feuilletons policiers, le service des archives est le dernier palier du déclassement » écrivez-vous. Pourquoi le métier d’archiviste a-t-il une si mauvaise réputation ?
Cette réputation est intéressante à étudier en France et à l’étranger. Il y a quelques semaines, je suis intervenu au stage international des archives qui est organisé par les Archives de France depuis soixante-dix ans. Des collègues des cinq continents étaient présents en France pour découvrir nos pratiques. Notamment un archiviste du Burkina Faso qui s’étonnait de voir l’archiviste classé au même niveau que les chauffeurs dans l’administration burkinabée…
Autre exemple, en Russie où j’ai donné des cours d’archivistique à la faculté des sciences humaines de Moscou, des étudiants m’ont expliqué qu’il était impensable que des archivistes s’occupent des archives d’un tribunal dans les locaux mêmes. Dans certains pays, les archivistes sont considérés comme des besogneux qui n’interviennent que lorsque tout est terminé et que les affaires sont refroidies.
Cette mauvaise réputation est-elle aussi répandue ? On peut au contraire constater de la curiosité pour ce métier…
Oui, vous avez raison, les choses semblent changer. Peut-être que l’intervention d’archivistes dans des émissions historiques à la télévision fait bouger les choses. Une libraire me disait récemment qu’un livre contenant le mot archiviste dans le titre pouvait aujourd’hui trouver ses lecteurs, ce qui n’était pas le cas il y a une vingtaine d'années.
Les archivistes doivent-ils valoriser leur rôle auprès des citoyens ? Et comment ?
Nous avons une utilité qui est indéniable et il faut la mettre en valeur. Cette question de l’image est utile pour le métier même d’archiviste : si nous voulons qu’un producteur d’archives nous fasse confiance, il faut que notre image soit plus flatteuse. Nous devons apparaître comme des valorisateurs de mémoire plutôt que comme des agents de déchetterie…
Nous devons créer un cercle vertueux qui incitera les producteurs d’archives à collaborer plus facilement.
Au-delà de la valeur patrimoniale des archives, vous évoquez les usages psychologiques et existentiels des archives. Que voulez-vous dire ?
A certains moments de notre existence, nous avons besoin des archives pour savoir ce qui s’est passé dans notre histoire familiale. Je pense notamment aux guerres qui ont profondément touché les familles françaises. Dans ces circonstances de recherche de vérité, le doute est ce qu’il y a de pire.
Récemment, une femme voulait connaître la vérité à propos de sa mère qui avait été condamnée à la Libération. Dans ces cas très douloureux pour les individus et les familles, les archives permettent d’établir les faits.
En 2013 et 2014, la Grande Collecte a invité tous les Français à communiquer leurs archives familiales relatives à la Première guerre mondiale. Quelle a été la réaction du public ?
Cette Grande Collecte a été un succès partout en France. Au sein des Archives départementales de la Côte-d’Or, un homme m’a récemment apporté un carnet de dessins réalisés sur le front des Vosges en 1916. Les Français de métropole et issus des anciennes colonies françaises entretiennent un rapport fort avec cette Première guerre mondiale. Peut-être que cette période de notre histoire est à la bonne distance : la guerre de 1870 est désormais lointaine et la guerre de 1939-45 est encore sensible entre Résistants et collaborateurs.
Vous citez deux chiffres impressionnants : en 2013, 10,4 millions de visiteurs ont consulté 2,2 milliards de pages et images sur les sites web des Archives départementales. Comment expliquer de telles fréquentations ?
On peut l’expliquer par la vogue de la généalogie qui constitue la part la plus importante de ces consultations. On peut également l’expliquer par les initiatives des services d’archives départementaux : mise en ligne massive d’inventaires d’archives, valorisation… Cela permet d’amener les internautes à découvrir d’autres fonds en amenant une diversification des goûts du public avec l’histoire locale par exemple.
L’enjeu est de permettre aux généalogistes qui le souhaitent de devenir historiens de leur famille, mais également historiens de leur lieu de vie. Ainsi l’hyper-local peut dialoguer avec le mondial quand on songe à des paysans affamés qui ont migré pour devenir trouveurs d’or en Californie ou bien colons en Afrique du Sud. Ce sont des destins hors du commun que l’histoire locale permet de découvrir.
Ces statistiques de fréquentation témoignent aussi de l’intérêt des Français pour leurs archives…
En effet et cette mise en ligne massive d’archives a contribué à changer l’image des archivistes qui ne sont plus considérés comme des vers luisants qui bricolent dans leur coin ! Cela a également changé le regard des directions des services informatiques qui constatent le très haut niveau des statistiques de consultation.
Cela a enfin changé le regard des décideurs : les archives constituent peut être le plus petit budget mais elles sont plébiscitées par les citoyens. Comme le disait une célèbre publicité: mini-prix, mais il fait le maximum !
Ce succès des vitrines numériques se fait-il au détriment des salles de lecture physiques ?
Nous avons en effet constaté des baisses de fréquentation qui ont été particulièrement sensibles après la mise en ligne d’archives. Mais des initiatives ont été lancées pour conserver un public dans nos salles de lecture : cours, sensibilisation du public à certains fonds méconnus…
Quel est l’impact de l’archivage électronique sur le métier d’archiviste ?
Il y a mille expérimentations, mille projets et des besoins pressants. Pour autant, il n’existe pas de système qui permette d’intégrer les versements nativement numériques dans des flux automatisés à l’échelle d’un département ou d’un ministère. Tant que nous en serons là, nous resterons dans l’expérimentation et dans l’archivage manuel. Pour l’archivage intermédiaire, il existe en revanche des solutions plus abouties.
Votre ouvrage peut-il se lire comme une défense et illustration du métier d’archiviste ?
J’ai souhaité partager mon enthousiasme pour ce métier. Il y a six mois, j’ai fait une conférence à l’Ecole des chartes et j’ai insisté auprès des étudiants pour leur dire qu’il s’agit d’un métier qui, loin de cantonner un savant dans une tour d'ivoire, permet de faire beaucoup de rencontres. Aujourd’hui, je constate que ce métier est encore plus beau que dans mes rêves.