« les jours des professionnels à l’ancienne sont comptés »

 

Archimag. Vous avez récemment lancé un appel sur l’avenir des documentalistes : le métier est-il réellement en danger ?
 
Jean Michel. Nous sommes dans une phase de mutation du métier. Ce qui est menacé, c’est le centre de documentationi, c’est-à-dire une structure datée qui remonte aux années 1950-1960, qui fonctionne sur le principe de la centralisation des ressources documentaires. Aujourd’hui, avec le web 2.0i, la nécessité de centraliser a disparu. Dans les audits que je mène au sein des entreprises, une question revient souvent :« A quoi sert un centre de documentation ? ».
Le documentaliste, s’il reste un professionnel des années 1960-1990, a ses jours comptés. En revanche, un néo professionnel bon connaisseur d’internet">i et défenseur du partage de l’informationi a toute sa place. Il faut comprendre que le documentaliste ne joue plus un rôle de guichetier fournisseur de documents. Il devient un facilitateur de la circulation de l’information dans l’entreprise.
 
La crainte de voir disparaître les documentalistes n’est pas nouvelle. Cela fait des années que l’on en parle. Est-ce que l’on ne tourne pas en rond avec cette question ?
 
Il s’agit certes d’une question récurrente car la profession est encore jeune si on la compare aux bibliothécaires. Elle a moins de cinquante ans! Je me souviens de ce que j’ai vécu vers les années 1975, lorsque j’étais responsable de centre de documentation. C’était l’époque de la première informatisationSIGB).">i, perçue comme une menace. Plus récemment, l’arrivée de l’intelligence économique, du knowledge managementEnsemble de pratiques et d’outils visant à valoriser le patrimoine immatériel, et en particulier les connaissances d’une entreprise (documentation, gestion des compétences, etc.) Environnement qui encourage la création, le partage, l'enrichissement, la transmisson, la capitalisation et l'utilisation des connaissance pour le bénéfice des clients de l'entreprise et de ses collaborateurs.  ">i et de la veille Intelligence économique.  ">i a également été ressentie comme une menace. Au bout du compte, il y a toujours des documentalistes dans les entreprises. Mais nous devons avoir une nouvelle utilité sociale basée sur la dynamisation du partage de l’information. Le métier s’est progressivement dégagé de l’objet livre pour se concentrer sur l’information et la connaissance. Le défi à relever est celui du management de l’information si l’on veut éviter l’infobazar. Le rôle du documentalisteest de réguler le partage de l’information.
 
Mais vous savez bien que les documentalistes eux-mêmes critiquent la profession : manque de dynamisme, peu d’ouverture sur les nouveaux outils informatiques… Est-ce une affaire de génération ?
 
En effet, les jeunes que je forme sont à fond dans le webi 2.0. Dans certains établissements, la formation n’est plus du tout celle d’il y a dix ou vingt ans. Le déficit d’image des documentalistes est lié à l’ancien modèle du métier, déjà périmé. Dans les entreprises que je conseille, on élimine de plus en plus les bases de données car il ne sert à rien d’engranger des données en interne. De nos jours, les ressources se trouvent à l’extérieur. Il faut être un limier capable d’aller les chercher et de lutter contre l’infobésité. Pour vous donner un exemple, je mène actuellement une mission au sein du ministère de la Culture : leur base de données est devenu inutile car tout le monde consulte Google. Mais les agents réclament une médiation, ils se sentent perdus face à la profusion des ressources. Notre fonction est de décloisonner et de jouer un rôle transversal dans l’organisation.
 
Les écoles françaises forment-elles à ces nouveaux enjeux ?
 
Celles dans lesquelles je suis intervenu – IUT de Tours, Management de l’information à Sciences Po, École deGenève… – affichent cette préoccupation, mais peut être sont-elles minoritaires. Quant aux formations professionnelles que j’anime, je constate que la très grande majorité des documentalistes ont pris conscience de la mutation du métier. Ils souhaitent apprendre autre chose que le traditionnel discours sur la chaîne de traitement du document. La fonction documentaire doit remonter à un niveau plus stratégique et s’aligner sur les objectifs de l’entreprise.
 
Vous parlez beaucoup de partage de l’information, mais l’être humain est-il spontanément partageur ?
 
Vous mettez le doigt sur ce qui constitue notre avenir. Les documentalistes doivent forcer la mutualisation, mettre en place des stratégies pour amener les gens à communiquer autour de thèmes fédérateurs. Je suis optimiste car internet s’est développé sur ce principe. Regardez le succès de Wikipédia.
 
Les documentalistes doivent-ils étoffer leurs compétences et devenir multitâche ?
 
C’est clair. À mes yeux, il n’y a pas de différence entre veille, knowledge management et records management : tout ceci constitue un métier global. Les compétences doivent être plus larges ; comprendre les attentes de l’entreprise, ne plus être centré sur le document mais sur les hommes, maîtriser la variété des sources – podcasts, flux RSSi…–, concevoir des services novateurs basés sur les wikis et les blogs, imaginer d’autres produits.
 
Dans le numéro 200 d’Archimag, vous affirmiez que vous ne voyiez « pas venir grand-chose du côté des top managers et encore trop peu de chose du côté des professionnels de l’infodoc ». Un an plustard, maintenez-vous ce point de vue ?
 
Au niveau des chefs d’entreprise, il n’y a pas de vision sur ce que doit être le management de l’information. Ils ont tendance à s’appuyer sur des intranets et des gros logiciels mais ce sont des poubelles informationnelles ! Du côté des professionnels de l’infodoc, disons qu’environ 15 % sont conscients qu’il faut transformer le métier. Les autres ont des questions à se poser sur leur avenir… Mais j’ai grande confiance dans les jeunes qui ont une vision remarquable du métier bien que je craigne qu’ils ne soient pas recrutés par les entreprises qui n’ont pas encore perçu les besoins infodocumentaires. Malheureusement, ces entreprises sont majoritaires.
 
Que pensez-vous du web 2.0 et des réseaux sociaux ?
 
J’y crois ! Riches en simplicité et intuitivité, logique de liens entre les personnes, approche multimédia comme dans le monde réel… Les documentalistes ont beaucoup à tirer de ces nouveaux outils.
 

Les podcasts d'Archimag
Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.