De nombreux fonds sont à l’abandon et risquent de disparaître à jamais. L’association Archivistes sans frontières
intervient dans le monde entier pour sauvegarder des fonds menacés et sensibiliser les États à la fonction archivistique.
Il existe dans la corne de l’Afrique une ligne de chemin de fer qui hante l’imaginaire de tous les voyageurs. Longue de 784 kilomètres, elle relie depuis 1917 la ville de Djibouti à Addis-Abeba, la capitale de l’Éthiopie, à travers les hauts plateaux de l’ancienne Abyssinie. La France fut associée de près à la construction de cette ligne ferroviaire au point que, de nos jours, la langue française est encore parlée dans les gares des deux pays. Il existe même un club de pétanque dans l’une des gares desservies par la ligne ! Pendant des décennies, le Chemin de fer francoéthiopien fut une société de droit français dont les archivesi sont aujourd’hui dans un triste état. Sans intervention, ce patrimoinei documentaire serait promis à une lente mais inéluctable destruction.
« C’est l’ambassadeur de France en Éthiopie qui nous a alertés des dangers qui pesaient sur les archives de cette compagnie, se souvient Danièle Néirinck la présidente d’Archivistes sans frontières- France ; ce fonds documentaire, majoritairement en français, est malheureusement conservé dans des locaux qui ne garantissent pas leur conservationi ». En 2005, Archivistes sans frontières (ASF) a envoyé une mission d’audit composée de deux archivistes afin de réaliser un état des lieux. Parmi eux Édouard Vasseur, secrétaire général d’ASF-France : « Ces archives étaient dispersées sur plusieurs sites et dans un état déplorable. Nous avons traité des documents techniques, des pièces administratives, des plans de ligne… Nous avons noué des liens avec des institutions locales pour préserver ce qui pouvait l’être. Cette mission prendra fin au mois d’avril 2010 avec l’achèvement du traitement archivistiquei ».
archives privées en déshérence
ASF-France, fondée en 2005, est membre de l’organisation non gouvernementale Archivistes sans frontières-International, créée en 1998 par une équipe d’archivistes espagnols résidant en Catalogne. Très impliqué dans la recherche historique relative au régime franquiste et anciennes dictatures latino-américaines, le réseau Archivistes sans frontières a essaimé dans plusieurs pays dont la France, le Brésil, le Pérou et bientôt la Belgique et l’Angleterre. « Les fondateurs d’ASF-International m’ont demandé si je voulais bien prendre la direction d’une section française… ce que j’ai accepté de faire avec plaisir », explique Danièle Néirinck. Pour cette ancienne conservatrice en chef de la direction des Archives de France, mener des missions à l’étranger avait tout pour la séduire, elle qui avait été sollicitée par le gouvernement colombien lorsque Bogota a souhaité se doter d’un nouveau bâtiment destiné à abriter les archives nationalesi. Pour autant, Danièle Néirinck tient à préciser les choses : « Archivistes sans frontières n’a pas pour vocation d’empiéter sur les prérogatives des institutions archivistiques nationales. Nous n’intervenons que dans les cas d’archives francophones en déshérence. Surtout, notre rôle consiste à sauvegarder des documents en danger ; les archives restent bien évidemment dans le pays d’origine ».
Afrique francophone, Maroc, Palestine…
ASF-France a envoyé ses premières missions en Afrique francophone pour classer les archives d’une entreprise française spécialisée dans l’extraction minière. Deux archivistes y ont créé un petit service d’archive à partir de rien. Une autre action a été lancée à Fez, l’une des quatre villes impériales du royaume du Maroc. Deux salles d’archives y ont été ouvertes et des archivistes marocains sont venus se former en France. En Palestine, l’ONG a mené une mission de recensement des archives francophones appartenant à des établissements d’enseignement et à des ordres religieux – Franciscains, Frères des écoles chrétiennes… Cette intervention a permis à ASF de déployer les compétences de ses membres : audit archivistique, séances de formation de responsables locaux…
financements difficiles
Cette action a pu être menée grâce au soutien du service culturel français à Jérusalem. Car le financement de telles missions ne saurait être assuré par les seules cotisations des membres d’Archivistes sans frontières. Comme le regrette Danièle Néirinck « les archives ne sont pas un secteur aussi porteur que la lecture publique… Il est difficile d’obtenir des financements pour les missions archivistiques que nous souhaitons mener à l’étranger ». Selon le rapport financier présenté lors de l’assemblée générale de 2009, l’ONG a enregistré 15 000 euros de subventions auxquelles il faut ajouter le montant des cotisations qui s’élevait à 685 euros pour l’année 2009.
archivistes paléographes
ASF-France a pour habitude de n’intervenir que dans les pays francophones. Exceptionnellement, l’organisation a été appelée à la rescousse par la ville de Cologne (Allemagne) après l’effondrement accidentel du bâtiment des archives municipales l’an dernier. Outre la mort de deux personnes, cet accident a provoqué la disparition de l’un des patrimoines les plus riches d’Allemagne. Le fonds rassemblait en effet 65 000 parchemins, plus de 100 000 cartes et plans et plus d’un million de photographies. Il comptait également des originaux du prix Nobel de littérature Heinrich Böll ainsi que des manuscrits du Xe siècle. ASF est intervenue en Allemagne accompagnée d’archivistes de l’École des chartes et d’experts du comité français du Bouclier bleu, une association dédiée à la protection du patrimoine culturel. Cette mission tripartite a permis de fournir des archivistes-paléographes capables de lire des écritures manuscrites anciennes – grec ancien, latin classique ou médiéval, ancien français… Objectifs : recenser, restaurer et préserver les documents qui n’avaient pas été détruits dans l’effondrement du bâtiment.
sensibiliser les États à la fonction archivistique
D’autres projets attendent ASF : le Liban, le Tchad, le Mali, le Burkina Faso… sans oublier Haïti où il faudra dresser un inventairei de qui a pu être sauvé dans les ministères. D’une manière générale, la préservation des archives n’est pas une priorité budgétaire pour de nombreux pays en proie à la pauvreté. Sensibiliser les États et les entreprises à la fonction archivistique fait également partie des missions que s’est assignées Archivistes sans frontières. Le travail ne fait que commencer…
repères
Archivistes sans frontières est une organisation non gouvernementale créée en 1998 par des archivistes espagnols. C’est en 2005 qu’une section française d’Archivistes sans frontières a vu le jour. Présidée par Danièle Neirinck, ASF-France mène des missions à l’étranger selon des axes de travail définis par ASF-International. Francophonie oblige, ses missions portent essentiellement sur la préservation d’archives francophones. Au-delà des strictes missions de sauvegarde, ASF a également pour ambition de promouvoir la culture archivistique dans le monde.