Exhumé des archives de l’ex-KGB, le manuscrit de Vie et Destin est remis à l’Etat russe

Vassili Grossman à Schwerin (Allemagne) en 1945. DR

 

Plus de 50 ans après sa confiscation par le KGB, le manuscrit de Vie et Destin de Vassili Grossman a été remis hier au ministre de la Culture russe Vladimir Medinski.

Les archives de la Loubianka, le siège des services secrets russes, n’ont certainement pas fini de livrer tous leurs trésors. Preuve en est le manuscrit du roman Vie et destin de Vassili Grossman, exhumé hier par le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB, issu de l’ex-KGB) et remis au ministre de la Culture Vladimir Medinski, 51 ans après sa confiscation. Remis aux archives publiques, le manuscrit a été retrouvé parmi plus de 10 000 documents appartenant à l’écrivain et correspondant de guerre d’origine juive décédé en 1964 à Moscou, et présenté hier comme « l’un des représentants les plus remarquables de la culture russe du XXe siècle » par le directeur adjoint du FSB Sergueï Smimov.

Critique du régime stalinien

Vie et destin, second volet de son diptyque consacré à la bataille de Stalingrad après Pour une juste cause (1952), est considéré comme l’œuvre majeure de Vassili Grossman. S’inspirant de son expérience du front, l’auteur y dresse un portrait critique du régime stalinien au point d’être jugé subversif lorsqu’il s’apprête à le faire publier en 1962 :

« Ce qui se jouait, c'était le sort des Kalmouks, des Tatars de Crimée, des Tchétchènes et des Balkares exilés, sur ordre de Staline, en Sibérie et au Kazakhstan, ayant perdu le droit de se souvenir de leur histoire, d'enseigner à leurs enfants dans leur langue maternelle. […] Ce qui se jouait c'était le sort des Juifs, que l'Armée rouge avait sauvés, et sur la tête desquels Staline s'apprêtait à abattre le glaive qu'il avait repris des mains de Hitler, commémorant ainsi le dixième anniversaire de la victoire du peuple à Stalingrad. » (Vie et destin)

Microfilms

Le KGB pensait confisquer le seul exemplaire du manuscrit lorsque ses officiers quittent le domicile de Grossman cette année-là. Pourtant, l’auteur avait pris la précaution de placer en lieu sûr, chez des amis, deux autres copies du livre. Le refus de Krouthchev d’accéder à la demande de l’auteur de « rendre la liberté à son [mon] livre » puis la mort de Grossman en 1964 aurait pu signifier la perte définitive de ces écrits. Pourtant, un ami de l’écrivain, le poète Semyon Lipkin, retrouvera les brouillons de Vie et Destin dans les années 1970 et les fera transférer sur microfilms. Sortis d’URSS, ils seront déchiffrés et permettront de publier le roman en Suisse en 1980. Ce n’est qu’après que la glasnost de Mikhail Gorbatchev ait apporté un vent de liberté d’expression et de publication, que le roman sortira en URSS en 1989.

 

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Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.