Jacqueline Tsaï, l’internationale du luxe

Jacqueline Tsaï, directrice de la veille et de la prospective de Vuitton, auteure de La Chine et le luxe (Odile Jacob, 2008). DR

 

Portrait de Jacqueline Tsaï, directrice de la veille de Vuitton et auteure de La Chine et le luxe (Odile Jacob, 2006).

« Quand la Chine s’éveillera, le luxe occidental tremblera ». Jacqueline Tsaï aurait pu détourner ainsi la célèbre prédiction attribuée à Napoléon Ier. En effet, dans La Chine et le luxe (Odile Jacob, 2008), la directrice de la veille de Vuitton anticipe l’essor du marché du luxe dans ce nouvel eldorado sous le prisme des traditions et de l’évolution de sa société (1). Une démarche proche de l’anthropologie dans laquelle Jacqueline Tsaï est passée maître : s’intéresser à la diversité et au fonctionnement des différentes cultures est ce qui la passionne depuis l’enfance.

clés culturelles

Née en France de parents diplomates chinois, cette citoyenne du monde a grandi à Paris, mais aussi à Taïwan, aux Etats-Unis et en Allemagne. « Ces multiples voyages m’ont poussée à m’adapter et donc à tenter de décoder les clés culturelles des différentes sociétés dans lesquelles j’évoluais, raconte-t-elle ; ceci explique certainement pourquoi, une fois étudiante, je n’ai pas voulu me cantonner à une seule discipline ».
La jeune femme choisit en effet d’étudier simultanément les différents domaines permettant de décrypter une société : sciences politiques, économie ainsi que langues et société. Au gré de ses voyages, l’étudiante, qui reste profondément attachée à ses racines chinoises, prend peu à peu la mesure de la connaissance assez superficielle qu’ont les occidentaux de sa culture d’origine. « Je me suis alors dit que je pourrais être une bonne passerelle entre ces deux univers », se souvient-elle.

détecter les tendances

Jacqueline Tsaï entre dans la vie active au milieu des années 1990, au moment de la seconde période d’ouverture de la Chine : de nouvelles opportunités économiques apparaissent, notamment dans le domaine du luxe où la jeune femme commence sa carrière. « Je suis entrée chez LVMH au service marketing international, puis financier, dans l’activité de contrôle de gestion, explique-t-elle ; je suis ensuite devenue responsable d’études de la branche mode et maroquinerie des marques entrées dans le groupe lors de sa grande période de consolidation de 1999-2000 ».
Jacqueline Tsaï est aujourd’hui directrice de la veille et de la prospective de Louis Vuitton. Elle y réalise une étude quantitative et qualitative appliquée à l’ensemble des marchés géographiques et sur toutes les catégories de produits : « Cette veille nous permet de détecter les tendances, d’anticiper les trajectoires et d’être plus agiles dans ce que l’on fait. Au sein d’un marché toujours plus concurrentiel et face aux mutations récurrentes du monde, l’interprétation est de plus en plus complexe. C’est pourquoi cette démarche est indispensable ».

réorientation du marché

Selon Jacqueline Tsaï, le communisme et les trente années de fermeture de la Chine ont entravé les expressions du raffinement et du luxe de la bourgeoisie et des intellectuels du pays. Une tradition pourtant fortement enracinée dans la culture chinoise. Constatant également que la plupart des occidentaux considèrent alors le luxe comme la chasse gardée d’une poignée de marques européennes et américaines, la jeune femme entame des recherches afin de s’intéresser aux ambitions de la Chine sur ce marché. « Cinq ans après la publication de ma thèse, mes analyses se sont confirmées, explique-t-elle. On observe effectivement une réorientation de ce marché vers le luxe chinois, un secteur fortement lié à la tradition et aux autres pratiques culturelles du pays ».
Etablissant ainsi un pont entre la France et la Chine, Jacqueline Tsaï souhaite également connecter l’entreprise à l’université. Grâce à l’option métiers de l’art et de la création dont elle est en charge au sein de l’UFR de langues étrangères appliquées de la Sorbonne, la jeune femme partage son expérience et son approche pluridisciplinaire afin de transmettre à ses élèves quelques clés pour décrypter la société : « On pourrait penser que le luxe est futile et frivole, remarque-t-elle ; pourtant, il est fondé sur des symboles profondément ancrés dans la culture et la psychologie du consommateur. Il est un bon observatoire pour comprendre les tendances de fond d’une société ».
Egalement chercheuse à la Sorbonne, Jaqueline Tsaï s’imprègne quotidiennement, par le biais de conférences ou de publications, de l’évolution globale de la société et en particulier de ses avancées sociales, politiques ou géopolitiques. « Cette ouverture satisfait ma curiosité intellectuelle tout en m’inspirant des recommandations dans mon métier. Finalement, toutes ces passerelles que je déploie sont extrêmement cohérentes, termine-t-elle. Tout s’imbrique parfaitement ».

(1) Voir « Louis Vuitton : le luxe s’éveille en Chine », Guide pratique Archimag n°47, Outils et efficacité d’un système de veille, p. 89.

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Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.