professionnels et rémunération pour copie privée

« le législateur a voulu réaffirmer l’absence d’obligation de paiement de la rémunération pour copie privée par les professionnels » flickr

 

Comment dispenser les professionnels de la rémunération pour copie privée lorsqu’ils font l’acquisition de certains matériels et supports de stockage ? La loi de décembre 2011 sur la rémunération pour copie privée répond. Mais demeurent des zones de flou.

Le 20 décembre 2011, était promulguée la loi n°2011-1898 relative à la rémunération pour copie privée, adoptée à l’issue d’une lecture unique à l’Assemblée nationale puis au Sénat, le gouvernement, initiateur de ce texte, ayant mis en œuvre la procédure d’urgence. L’article 4 de cette loi, modifiant l’article L.311-8 du Code de la propriété intellectuelle, pose le principe de l’exclusion des professionnels du paiement de la rémunération pour copie privée avant d’en décrire les modalités. Ce texte précise là une évidence au regard de la finalité de cette rémunération, évidence dont la commission administrative en charge de sa détermination n’avait cependant pas précédemment tiré les conséquences.

usage privé du copiste

La rémunération pour copie privée prévue à l’article L. 311-1 du Code de la propriété intellectuelle, instaurée par la loi 85-660 du 3 juillet 1985, constitue la compensation financière allouée aux titulaires de droits d’auteur et de droits voisins au titre de l’exception de copie privée. En effet, au titre de cette exception légale décrite aux articles L. 122-5 2° et L. 211-3 2° du Code de la propriété intellectuelle, ces titulaires de droits ne peuvent interdire la reproduction de leur œuvre (littéraire, graphique, musicale, audiovisuelle) par la personne physique qui en a fait l’acquisition dès lors que les copies ainsi réalisées sont « strictement réservées à l’usage privé du copiste ». Il s’agira, par exemple, pour un particulier de copier le cédé musical acheté afin de disposer d’un double pour l’écouter dans sa voiture. Cette faculté de copie étant réservée à l’individu pour son usage privé, le professionnel n’en bénéficie pas. Il en résulte que ce dernier ne doit nulle compensation financière au titre de l’exception de copie privée.

Or, jusqu’à présent, la quasi-totalité des professionnels payaient pourtant la rémunération pour copie privée à l’occasion de l’acquisition de divers types de matériels (par exemple : téléphone mobile, tablette tactile) ou de supports de stockage de données (par exemple : disque dur externe, clé USB, carte mémoire, cédé, DVD vierge). En effet, cette rémunération est collectée lors de la vente de matériels avec mémoire interne et supports d’enregistrement en ce qu’ils sont considérés comme de possibles « outils » de copie privée.

En pratique, une commission administrative, dénommée « commission de la copie privée », identifie les matériels et supports de stockage en cause, détermine le montant de la rémunération pour copie privée, laquelle est payée par les fabricants et importateurs de ces matériels puis répercutée sur l’acquéreur final. Ainsi, tout acheteur final, qu’il soit particulier ou professionnel, acquittait la rémunération pour copie privée qui avait été intégrée dans le prix de vente des matériels concernés.

censure du Conseil d’Etat

Cette pratique a été censurée par le Conseil d’Etat dans un arrêt Canal+ Distribution et autres en date du 17 juin 2011 aux termes duquel il a annulé une décision de la commission de la copie privée au motif qu’elle soumettait à la rémunération pour copie privée les matériels et supports susvisés acquis par des professionnels. Cet arrêt faisait suite à une décision rendue quelques mois plus tôt par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 21 octobre 2010, Padawan) posant cette même solution. Cette annulation, en juin dernier, par la haute juridiction administrative française intervenait également après que quatre autres décisions de cette même commission de la copie privée ont été successivement annulées (par un arrêt Simavelec en date du 11 juillet 2008, puis par trois arrêts SFIB en date du 17 décembre 2010) au motif que, par une assimilation de la copie privée à la copie illicite, ces décisions administratives compensaient au titre de la rémunération pour copie privée des actes de contrefaçon.

comme l’éco-taxe

Parmi d’autres préoccupations, le législateur a donc voulu, par la loi du 20 décembre 2011, réaffirmer l’absence d’obligation de paiement de la rémunération pour copie privée par les professionnels et en décrire les modalités pratiques de mise en œuvre. Pour ce faire, plusieurs voies étaient possibles, en particulier la déduction du montant de la rémunération pour copie privée lors de l’acquisition par tout professionnel des matériels et supports d’enregistrement concernés. Cette solution apparaissait non seulement efficace quant à l’objectif poursuivi – à savoir exclure le paiement de cette rémunération par les professionnels –, mais également praticable eu égard à l’obligation, introduite par cette même loi en son article 3, de porter « à la connaissance de l’acquéreur lors de la mise en vente des supports d’enregistrement » le montant de la rémunération pour copie privée. Au même titre que l’« éco-taxe » ou « éco-participation » appliquée aux équipements électriques et électroniques, la rémunération pour copie privée devient donc « visible » pour l’acheteur final.

solution mixte

Cependant, le législateur a opté pour une solution qualifiée de « mixte » lors des travaux préparatoires, pour organiser cette mise à l’écart des professionnels du paiement de la rémunération pour copie privée. Ainsi, cette exclusion devrait intervenir selon deux modalités distinctes :

- Dans le premier cas, les professionnels pourront signer avec une société de gestion collective en charge de la collecte de la rémunération pour copie privée (en l’occurrence la société Copie France) une « convention constatant [leur] exonération », le refus de la société Copie France de conclusion d’une telle convention devant être motivé. Si la détermination de la teneur exacte de cette « convention d’exonération » n’a pas été confiée au pouvoir réglementaire, elle devra permettre à ces professionnels d’être dispensés du paiement de la rémunération pour copie privée lors de l’acquisition des matériels et supports assujettis.

- Dans le second cas, c’est-à-dire pour les autres professionnels, le montant de la rémunération pour copie privée sera acquitté lors de l’achat de ces matériels d’enregistrement, à l’instar de tout consommateur. Ce n’est qu’ultérieurement que le professionnel pourra solliciter le remboursement de cette somme auprès de la société Copie France. Un arrêté, également en date du 20 décembre 2011, relatif au remboursement de la rémunération pour copie privée décrit le « dossier de demande de remboursement » que les professionnels devront constituer. Outre d’usuels justificatifs d’identité et de la qualité de professionnel (par exemple : extrait Kbis, immatriculation Insee) ou encore la copie de la facture « en nom propre comportant (…) les caractéristiques du support d’enregistrement (…) et le montant de la rémunération pour copie privée acquittée lors de l’achat », le professionnel devra produire d’autres documents destinés à décrire les « conditions d’utilisation » des supports en cause. Ainsi, le professionnel aura-t-il à « déclarer sur l’honneur » (selon un modèle annexé à l’arrêt du 20 décembre 2011) que ces conditions d’utilisation « ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée » ou encore indiquer si ces matériels seront « utilisés de manière collective » ou « mis à disposition des personnels à titre individuel ». Le professionnel joindra également à ce dossier « tout document, notamment règlement intérieur, note d’information, charte, affiche » aux termes duquel il aura rappelé à son personnel que le matériel en cause était à usage professionnel, tout usage à des fins de copie privée exposant ledit matériel à la rémunération pour copie privée et devant « impérativement [être] signalé au responsable hiérarchique ».

interrogations sur la viabilité

En définitive, et tout d’abord, les modalités d’exclusion des professionnels du paiement de la rémunération pour copie privée ainsi prévues par la loi du 20 décembre 2011 laissent place à de telles inconnues que l’on peut s’interroger sur sa viabilité. Certes, la loi prévoit en son article 3 que l’acheteur final devra être informé par une « notice explicative » qu’il a la « possibilité de conclure des conventions d’exonération ou d’obtenir le remboursement de la rémunération pour copie privée » s’il est professionnel. Cependant, cette information sera-t-elle suffisante à l’incitation des professionnels à l’engagement des démarches requises pour bénéficier de l’un ou l’autre de ces régimes ?

En outre, s’il semble que la société Copie France ait entrepris de publier sur son site internet la liste des « sociétés exonérées », c’est-à-dire ayant d’ores et déjà conclu une convention d’exonération – qui semblent, pour l’heure, être très majoritairement des sociétés du secteur culturel –, cela signifie-t-il que les distributeurs, grossistes ou détaillants, devront consulter cette liste afin de déterminer s’ils doivent, ou non, intégrer la rémunération pour copie privée dans le prix de vente ?

Ensuite, et plus fondamentalement, ce dispositif laisse place à un « retour » de la rémunération pour copie privée dans la sphère professionnelle puisqu’il semble bien que des « conditions d’utilisation » qui manifesteraient un usage qui ne serait pas strictement professionnel induirait un assujettissement à la rémunération pour copie privée.

A divers titres donc, les professionnels risquent bien de continuer à payer la rémunération pour copie privée en demeurant cependant « inéligibles » à l’exercice de l’exception qui en constitue la contrepartie.

 

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Êtes-vous prêts à renoncer à des services numériques ou à vos appareils électroniques pour le bien commun ? Face à l'urgence climatique, notre rapport au progrès et à la technologie est souvent remis en question. Archimag Podcast a rencontré Alexandre Monnin, philosophe, directeur du master Sciences, Stratégie et Design pour l’Anthropocène à l’ESC Clermont Business School et auteur de l'ouvrage "Politiser le renoncement", aux Éditions Divergences. Il est aussi co-initiateur du courant de la redirection écologique, dont il nous explique le principe.