Réutilisation des données publiques : l’exemple de la généalogie

« Le service proposé par Genealogie.com ne consiste pas à proposer un accès payant à ce qui est gratuit par ailleurs ».Emmanuel Condamine, NotreFamille.com NotreFamille.com

 

Comment concilier la libre réutilisation des données publiques prônée par l'organisme gouvernemental Etalab, le flou juridique actuel et l’accessibilité gratuite au patrimoine public ? Les sociétés de généalogie en ligne sont parmi les premières à se confronter à ces questions.

Jusqu'à cette année, la décision d'accorder ou non l'autorisation de réutiliser les données publiques appartenait à la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) qui peut également décider qu'il n'y a pas réutilisation lorsque la diffusion correspond à la finalité des documents. Le projet Etalab lancé par le gouvernement en février 2011 autour de la promotion de l'open data n'a jusque cet automne que peu clarifié les choses. Séverin Naudet, directeur de la mission Etalab déclarait en avril 2011 que « le respect de la loi s'impose à toutes les réutilisations. Il est important de proposer une licence gratuite afin de garantir la sécurité juridique aux administrations comme aux réutilisateurs, ou des licences payantes lorsque c'est absolument nécessaire ».

Les licences payantes, c'est le choix effectué par la BNF dans son partenariat avec le site américain Ancestry.com, qui dispose ainsi des données généalogiques de l'établissement. C'est également le cas du département du Bas-Rhin qui a publié des licences de réutilisation de ses données patrimoniales (1). Au nombre de six, elles sont gratuites pour la plupart, mais la diffusion publique d’images dans un but commercial y est soumise à redevance.  

le Cantal fait appel

Sociétés commerciales de généalogie et archives départementales se retrouvent donc confrontées à un flou juridique. D’où par exemple la position du département du Cantal face à Notrefamille.com. Le 13 juillet 2011, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand donne raison à cette société face au refus des archives cantaliennes de lui communiquer, pour réutilisation commerciale, les listes nominatives de recensement des années 1831 à 1931. Fin septembre 2011, le Cantal décide de faire appel.

En octobre, Etalab publie sa « licence ouverte » qui promeut la réutilisation la plus large en autorisant la reproduction, la redistribution, l’adaptation et l’exploitation commerciale des données (2). Pourtant, souhaitant procéder à une transcription de ces données afin d’en réaliser un index de recherche consultable au sein du site en ligne Genealogie.com, NotreFamille.com se heurte à des oppositions, notamment la crainte d’une captation d'un patrimoine national qui se doit d'être accessible à tous. Près de soixante-quinze départements ont mis en ligne gratuitement leurs fonds patrimoniaux, parmi lesquels une grande partie de données généalogiques, essentiellement les archives d'état civil. Vont-ils être court-circuités par les sites commerciaux ?

Pour Jordi Navarro, archiviste, « la mission d’un service d’archives, et au-delà d’un établissement culturel patrimonial, ne s’arrête pas à la simple conservation et communication en salle. La mission de service public englobe également la valorisation du patrimoine que constituent les données publiques. [...] Toute forme de rediffusion du patrimoine contribue à sa valorisation. [...] Lorsque NotreFamille diffuse des images indexées, elle valorise le patrimoine » (3). NotreFamille.com par la voix d'Emmanuel Condamine s'engouffre dans la brèche et souligne que « le service proposé par Genealogie.com ne consiste pas à proposer un accès payant à ce qui est gratuit par ailleurs. La société développe un service innovant qui repose sur un investissement économique très important. Le produit final vendu comprend une partie de matière première fournie par les institutions, et une partie très importante fournie par la société : constituer l’index, fournir des efforts marketing, assumer les frais d’hébergement et de développement du site ».

complémentarité

La réponse semble résider dans la complémentarité entre démarche publique et initiative privée. Jordi Navarro propose d'aller encore plus loin dans une coopération entre société commerciale de généalogie et archives départementales via la connexion de l'index des premiers et des fonds numériques demeurant chez les seconds : « Si héberger et diffuser gratuitement les images représente effectivement un coût non supportable par l’opérateur, il peut choisir de ne pas les héberger. Les résultats de recherche dans son index pointeraient alors vers les images hébergées par les services d’archives ». L’avenir dira si l’idée prend racine.

(3)  papiers.poussieres.free.fr
Voir aussi le portrait de Jordi Navarro dans [Archimag n°244, mai 2011].

+ Dossier: Données publiques d'Archimag N° 250

Les podcasts d'Archimag
Rencontre avec Stéphane Roder, le fondateur du cabinet AI Builders, spécialisé dans le conseil en intelligence artificielle. Également professeur à l’Essec, il est aussi l’auteur de l’ouvrage "Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise" (Éditions Eyrolles). Pour lui, "l’intelligence artificielle apparaît comme une révolution pour l’industrie au même titre que l’a été l’électricité après la vapeur".