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Oui, on trouve des violations du droit d’auteur dans la loi française !

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    L’actuel droit d’auteur français semble bien pécher par des dispositifs tout aussi contraires au principe de l’accord de l’auteur et qui pourraient bien être eux aussi déclarés illégaux. (Freepik/drobotdean)
  • Aussi étonnant que cela puisse paraître, la loi française sur le droit d'auteur recèle un certain nombre de violations… au droit d'auteur, spécialement au principe de l'accord de l'auteur pour exploiter son œuvre. Presque personne ne s'était ému de cette anomalie, jusqu'au jour où des auteurs ont mis les pieds dans le plat, autour de la chaotique loi sur les œuvres du 20e siècle. Découvrez dans cet article les irrégularités sur lesquelles repose le système juridique français, quels sont les auteurs concernés et surtout les recours possibles.

    Temps de lecture : 8 minutes

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    Un rappel : le principe d’accord de l’auteur pour toute exploitation

    Rappelons que l'auteur est propriétaire de son œuvre ; il jouit donc « d'un monopole d'exploitation » de ses œuvres, et doit toujours donner son accord pour l'utilisation de celles-ci.

    Le principe est présent à l'article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle, mais remonte à des lustres en France. Il est aussi présent dans la directive européenne sur le droit d'auteur et les droits voisins du 22 mai 2001, dite DADVSI, aux articles 2, 3 et 4 – voir aussi les considérants introductifs à la directive :

    • le 9 « … La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété »
    • et le 25 « … tous les titulaires de droits reconnus par la présente directive ont le droit exclusif de mettre à la disposition du public des œuvres protégées par le droit d'auteur ou tout autre objet protégé… ».  

    > Lire aussi : Comprendre le droit d'auteur : qui est "auteur" ?

    La loi sur la numérisation des œuvres du 20e siècle

    Une loi concoctée dans son coin par la France

    Sur pression du monde de l'édition, les pouvoirs publics français ont fait voter une loi permettant aux éditeurs de republier au format numérique les ouvrages de leur catalogue, issus d'auteur du 20e siècle et épuisés au format papier pour lesquels il est souvent difficile de retrouver la trace de l'auteur ou de ses ayants droit (héritiers).

    La loi va donc imaginer pour ces œuvres dites « orphelines » (dont on n'a pas retrouvé l'auteur) un mécanisme permettant à l'éditeur de republier en numérique des œuvres sans l'accord de leurs auteurs.

    > Lire aussi : Comprendre le droit d’auteur : qu’est-ce qu’une oeuvre ?

    Pour ne pas aller trop loin dans l'énormité du système, la loi prévoyait que chaque année seraient listés sur un registre public les noms des auteurs dont l'œuvre pourrait être republiée dans l'année. À défaut de s'y opposer dans les formes et délais prévus, l'auteur est donc censé avoir donné son accord pour une republication numérique. Et s'il se rapproche de l'éditeur, celui-ci doit lui verser une rémunération. 

    Bien évidemment, comme tout citoyen, chaque auteur, lisant le Journal officiel tous les jours, a pu prendre connaissance de cette loi du 1er mars 2012 et pris bonne note qu'il lui faudrait régulièrement consulter le registre (joliment baptisé ReLire) afin de savoir si oui ou non on se serait décidé à le republier en numérique. Cette usine à gaz était donc conçue pour les éditeurs, qui peuvent ainsi republier et vendre des œuvres sans être gênés par les auteurs…

    Aucun parlementaire ne s'insurgea sur la loi qu'on leur faisait voter, personne ne saisit le Conseil constitutionnel pour demander si d'aventure, le droit de propriété de l'auteur sur son œuvre ne serait pas bafoué.

    > Lire aussi : Droit d'auteur : une photographie est-elle toujours une œuvre originale ?

    Rappelons que la propriété est un droit « inviolable et sacré » aux termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789… Ajoutons également que le droit d'auteur « à la française », forgé depuis la Révolution, est le champion du principe de l'accord de l'auteur pour permettre quelque exploitation de ses œuvres que ce soit.

    Malgré la pétition contre cette loi lancée par un collectif d'auteurs, la caravane législative est passée sans encombre. Et la loi promulguée. Mais l'histoire n'était pas finie.

    Le décret d'application de la loi : des auteurs pas d'accord

    En application de la loi, le décret n°2013-182 du 27 février 2013 organisait la mise en place du registre ReLire. Deux auteurs ont alors formé un recours pour excès de pouvoir contre ce décret devant le Conseil d'État considérant qu'il bafouait leur droit de propriété en se passant de leur accord.

    Le 6 mai 2015, le Conseil saisit la Cour de justice de l'Union européenne, d'une question dite « préjudicielle » en vue de préciser si les dispositions de la Directive sur le droit d'auteur font obstacle à la mise en place du système prévu par la loi, son décret d'application et le registre ReLire.

    > Lire aussi : Propriété intellectuelle : tout savoir sur le périmètre d'exploitation

    L'arrêt de la CJUE du 16 novembre 2016

    L'arrêt de la CJUE a été sans appel : « la directive sur le droit d’auteur s’oppose à une réglementation nationale autorisant la reproduction numérique des livres indisponibles dans le commerce en méconnaissance des droits exclusifs des auteurs. Une telle réglementation doit garantir la protection assurée aux auteurs par la directive et veiller en particulier à ce qu’ils soient effectivement informés de l’exploitation numérique envisagée de leur œuvre tout en ayant la possibilité d’y mettre fin sans formalités » (communiqué de la CJUE).

    Autrement dit, le fait de priver l'auteur du droit d'autoriser ou de refuser l'exploitation de son œuvre est contraire au principe d'accord de l'auteur garanti par la directive. 

    On notera au passage l'ironie des circonstances : ce principe d'accord de l'auteur fut « importé » du droit français dans la directive lors de sa gestation. Et voilà que c'est au nom de ce texte que la France se fait taper sur les doigts…

    À ce jour le système est bloqué mais les pouvoirs publics s'orientent vers l'insertion du système ReLire au sein des exceptions au droit d'auteur, notamment dans le cadre de la directive sur les œuvres orphelines de 2012 (ordonnance du 24 novembre 2021).

    Il n'en reste pas moins qu'aucune disposition législative ne peut porter directement atteinte au principe d'accord de l'auteur, sauf à l'inscrire dans le cadre des exceptions prévues à l'article L.122-5, et prévues par les textes européens.

    > Lire aussi : Originalité de l'oeuvre : tout savoir sur cette notion du droit d’auteur

    D’autres cas de violation du principe de l’accord de l’auteur en droit d’auteur français 

    Sous cet éclairage, l'actuel droit d'auteur français semble bien pécher par des dispositifs tout aussi contraires au principe de l'accord de l'auteur et qui pourraient bien être eux aussi déclarés illégaux.

    Les auteurs salariés de logiciels

    La loi du 3 juillet 1985, première loi complétant la loi refondatrice du droit d'auteur en France, du 11 mars 1957, introduisit parmi les œuvres protégées par le droit d'auteur les logiciels.

    On s'empressa alors de prévoir que les droits sur « les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l'exercice de leurs fonctions ou d'après les instructions de leur employeur sont dévolus à l'employeur » (article L.113-9 du Code de la propriété intellectuelle).

    On contrevenait ainsi pour la première fois au principe d'accord de l'auteur au bénéfice des employeurs. Rappelons que toutes les autres œuvres d'auteur créées par un salarié ou un agent public restent la propriété de leurs auteurs.

    > Lire aussi : Droit d'auteur : un salarié ou un agent public est-il propriétaire de son oeuvre ?

    Les journalistes professionnels

    La première loi Hadopi du 12 juin 2009 fit discrètement passer des dispositions n'ayant rien à voir avec son sujet principal : les journalistes professionnels se trouvaient totalement dépossédés de leurs droits d'exploitation au bénéfice de l'organe de presse qui les emploie, sans compensation de salaire. La loi leur laissait le droit de réunir leurs articles pour les publier en recueil ultérieurement.

    Il s'agissait bien évidemment d'une nouvelle violation du principe d'accord de l'auteur sur son œuvre. Les journalistes, ne lisant jamais les lois dont ils rendent compte, se sont aperçus bien tard qu'ils avaient été dépossédés.

    > Lire aussi : Iconographie et respect du droit : l'auteur et les ayants droit

    Le système du CFC

    La loi du 3 janvier 1995 créait un droit de reproduction par reprographie (copie papier) stipulant que « la publication d'une œuvre emporte cession du droit de reproduction par reprographie à une société régie par le titre II du livre III et agréée à cet effet par le ministre chargé de la Culture » (article L.122-10 CPI) ».

    Cette disposition allait amener le système géré à ce jour par le CFC. On le voit, il y a de nouveau atteinte de plein fouet au principe d'accord de l'auteur puisque dès que son œuvre est publiée, il est censé avoir cédé ses droits à une société de gestion collective chargée de percevoir des droits en son nom – droits que par ailleurs il ne perçoit jamais compte tenu de l'opacité du système, mais c'est un autre débat.

    Nous avons déjà dénoncé par ailleurs les nombreux fondements juridiques défaillants du système du CFC, en voici un de plus.

    > Lire aussi : Droit d'auteur et documentation : "beaucoup d'idées reçues circulent chez les documentalistes"

    Des actions possibles ? 

    Rien n'empêcherait donc à un justiciable y ayant intérêt – un auteur ou un collectif d'auteurs –, dans un litige qui l'opposerait à son employeur (développeurs de logiciels ou journalistes) ou au CFC, de poser la fameuse question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui consiste à poser la question de la légalité constitutionnelle des lois précitées.

    Ou encore, rien n'empêcherait les mêmes auteurs de déposer un recours pour excès de pouvoir contre les textes d'application de ces lois (par exemple l'arrêté d'agrément du CFC, régulièrement renouvelé), sur la base de la jurisprudence européenne ReLire. 

    Comme on le voit, le système juridique français repose sur un certain nombre d'irrégularités, jusqu'à ce qu'un citoyen un peu contestataire ose dire que le roi est nu…


    Sources :


    Didier Frochot
    www.les-infostrateges.com

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