CET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS ARCHIMAG N°378
Au sommaire :
- Dossier : bibliothécaires, documentalistes et archivistes : où en est la convergence ?
- Formations en infodoc : entre convergence, polyvalence et hybridation
- L'Humathèque du Campus Condorcet ou l'art de désiloter les métiers
- Aux archives de Grenoble, le métier d’archiviste-bibliothécaire
- Au Mucem, une convergence d'objectifs avant tout
- Macif : la convergence des métiers pour la gouvernance de l’information
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En 2018, une étude de l’Institut Sapiens recensait le top 5 des métiers les plus menacés par le numérique. Par chance, aucun métier de l’information-documentation ne figurait sur le podium de l’apocalypse sociale.
Les archivistes, les bibliothécaires et les documentalistes échappent à la grande purge qui s’apprête à frapper les employés de banque, les comptables et les métiers du secrétariat.
En revanche, le numérique est incontestablement venu brouiller les frontières entre les métiers du document, alors qu’elles étaient bien plus nettes dans l’environnement analogique. La convergence des métiers de l’infodoc est-elle pour autant devenue une réalité ?
"Elle n’est ni une réalité ni une vue de l’esprit", estime Patrice Marcilloux, professeur des universités en archivistique au sein de l’Université d’Angers. "Je parlerais plutôt de mythe, voire de récit mythologique, car comme les grands mythes, ethnologiques ou littéraires, le discours sur la convergence des métiers des archives, des bibliothèques et de la documentation n’a pas pour objectif principal de traduire ni de décrire des réalités - incontestables par ailleurs -, mais de remplir des fonctions d’explication, de symbolisation et de défense identitaire pour des groupes professionnels."
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Des outils à apprivoiser
Archivistes et bibliothécaires sont au moins d’accord sur un point : leurs outils informatiques (XML-EAD pour les premiers et SIGB/SIA pour les seconds) ne cessent de profiter des progrès de la puissance de calcul, en attendant les promesses de l’intelligence artificielle qui commence déjà à être intégrée dans ces logiciels.
Pour Patrice Marcilloux, "tout se passe comme si l’essentiel était à la fois d’apprivoiser à plusieurs le caractère innovant et parfois déstabilisant de ces technologies ("ça n’arrive pas que chez nous"), de montrer aux décideurs qu’on est bien conscient de leur potentiel fédérateur ("des synergies sont possibles et doivent être acceptées"), sans que les cultures et périmètres professionnels établis ne s’en trouvent pour autant réellement remis en cause (“ce ne sont que des outils”)."
Défendre les fondamentaux de Paul Otlet
Pour Olivier Le Deuff, professeur des universités en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Bordeaux Montaigne, parler de convergence des métiers n’est pas une vue de l’esprit : "cette convergence est en fait bien plus large", estime-t-il. "Elle concerne une très grande diversité de métiers dans les faits. On pourrait citer les professionnels du référencement, voire les data journalistes. Cependant, les milieux documentaires peinent à défendre pleinement leurs concepts et fondamentaux et sont dépassés par les discours de révolution technologique permanente sur le big data et l’IA."
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À ses yeux, la sphère info-documentaire doit se mettre technologiquement à niveau et intégrer les changements en cours. Or, c’est désormais, selon lui, de moins en moins le cas : "alors qu’il faudrait défendre les fondamentaux de Paul Otlet (Paul Otlet (1868-1944) est un bibliographe belge, auteur d’un célèbre "Traité de documentation". Il eut également l’intuition d’internet dans un texte prophétique publié en 1934) sur le fait d’offrir une documentation de qualité à jour à l’ensemble des individus, notamment à une période où les formes de désinformation, voire de déformation des esprits, prennent le dessus, la tentation est de demeurer sur des idéaux classiques de l’objet livre, notamment imprimé, dont les principes sont plutôt ceux des syndicats des métiers de l’édition", affirme-t-il. "En fin de compte, c’est le prisme de l’évènementiel du livre et des produits dérivés des industries culturelles qui dominent."
Une perspective d'évolution technique des métiers
Depuis plusieurs années, Olivier Le Deuff dresse un constat : les professionnels ne sont plus au niveau en raison de l’évolution sans fin des outils. Ce qui ouvre aux formations (initiale et continue) de belles perspectives de développement.
Mais la route reste longue : "c’est d’autant plus difficile d’en prendre conscience que l’attrait des métiers repose aujourd’hui plutôt sur des aspects d’animation et de valorisation autour de fonds documentaires que sur les fondamentaux documentaires qui sont surtout techniques, intellectuels et pédagogiques ; des aspects qui requièrent un apprentissage long et une certaine rigueur", poursuit-il. "Si je voulais caricaturer, je dirais qu’une culture “Harry Potter” a pris le dessus sur une culture technique et scientifique. Or, il ne s’agit pas de former des magiciens, mais des professionnels possédant une diversité de savoirs."
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Chronique d’une mort annoncée
Au mois de juin dernier, Olivier Le Deuff publiait sur son blog un article au goût de provocation, "Chronique d’une mort annoncée", qui commençait avec une question : "la documentation existe-t-elle encore ?". "La documentation ne disparaît jamais pour autant", reconnaît-il. "Notamment parce que nous sommes justement dans une époque d’ "hyperdocumentation". Disons que le concept disparaît peu à peu des intitulés de formation, notamment en IUT, et que l’état de santé du Capes de documentation n’incite guère à l’optimisme."
À ses yeux, il faut, une fois de plus, renouer avec "l’esprit de la documentation" de Paul Otlet et de Suzanne Briet (Suzanne Briet (1894 - 1989) est une bibliothécaire française pionnière des sciences de l’information et de la communication.).