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Votre ouvrage s’ouvre sur un constat : quasiment plus une action humaine n’échappe aux technologies numériques. Quel est l’impact de ces technologies sur notre planète ?
Un chiffre fait à peu près consensus : le monde « dématérialisé » du numérique représente 3,7 % des émissions de gaz à effet de serre. Toutes les applications qui nous suivent en temps réel ont en effet un impact sur notre planète. Lorsque nous nous promenons dans une forêt avec un smartphone en poche, nous ne laissons pas seulement des traces sur l’humus, mais nous en laissons également sous forme numérique dans un data center.
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Le numérique a donc un impact matériel et physique. Cet impact peut d’ailleurs être positif dans le cas de réunions en visioconférence qui remplacent un déplacement en avion jusqu’à New York. Cet impact est infiniment moins important qu’un trajet aérien de 6 000 kilomètres.
Mais, dans le même temps, les usages numériques engendrent des effets à plusieurs niveaux : nos téléphones, les câbles sous-marins, les centres de données, les calculateurs qui à leur tour génèrent de nouveaux services pour lesquels il faudra des smartphones toujours plus puissants…
À ce jour, personne n’est capable de dire si l’impact du numérique est plus fort que les bienfaits qu’il génère.
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La dématérialisation serait-elle une mystification ?
Je pense que la dématérialisation est un leurre complet. C’est un grand récit qui nous fait croire que l’on peut continuer à prospérer tout en ayant peu d’impact sur la planète. En réalité, rien n’est dématérialisé et tout ce qui est virtuel laisse des traces sur notre planète. Il arrive même que, plus c’est virtuel, plus c’est matériel.
La dématérialisation est donc un mythe dangereux qui, si l’on n’en prend pas conscience, risque d’aggraver l’impact du numérique sur l’environnement.
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Vous avez reconstitué le parcours d’un « like » sur Facebook. Quel est ce parcours ?
Le « like » de Facebook est une bonne porte d’entrée pour comprendre ce que signifie l’impact matériel du numérique. Pour passer d’un téléphone ou d’un ordinateur à un autre terminal, le « like » va passer par les différentes couches qui constituent internet : les câbles sous-marins, les antennes 4G, les box internet, les câbles situés sous les trottoirs, les locaux techniques d’un opérateur où il va être stocké. Puis il fait le même chemin dans le sens inverse jusqu’au téléphone du destinataire… Ce trajet emprunte donc des infrastructures très physiques même si le « like » est envoyé à son voisin de palier.
Je précise que ce processus fonctionne également pour les courriers électroniques, les photos de vacances que l’on envoie à ses amis ou les applications que l’on utilise dans le cadre professionnel.
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Vous soulignez un paradoxe : la « génération Greta Thunberg » est aussi celle qui passe 7 heures et 22 minutes par jour devant un écran et qui surconsomme de la vidéo et des jeux en ligne…
La « génération climat » est très au fait des questions écologiques et doit d’abord être saluée pour cela. Mais il est vrai qu’elle utilise abondamment les outils numériques qui lui donnent une puissance qu’aucune génération n’a jamais eue avant elle. Elle a donc entre les mains un appareil qui est à la fois son meilleur et son pire ennemi : le téléphone portable. En France, un jeune âgé de 18 à 25 ans a déjà possédé cinq téléphones ! Ces terminaux sont tout à la fois des outils pour accomplir des choses nobles, mais aussi des choses tout à fait inutiles, voire vaniteuses.
La « génération Greta » saura-t-elle utiliser au mieux ces outils ou se laissera-t-elle emporter par l’hubris que ces technologies excitent en nous ? Aujourd’hui, la question reste ouverte…
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Selon une étude de l’institut Odoxa du mois de mai 2021, 70 % des Français n’ont jamais entendu parler du concept de sobriété numérique. Que faut-il faire pour inverser cette tendance ?
Si une majorité de Français n’a jamais entendu parler de sobriété numérique, c’est que les Français n’ont pas non plus entendu parler de pollution numérique. Il faut dire que ces concepts sont émergents et que l’on a du mal à sentir, à percevoir la pollution numérique.
La sobriété numérique ne signifie pas le retour à l’âge de pierre. Elle suppose seulement une meilleure utilisation des outils. Concrètement, cela passe par un allongement de la durée de vie des produits électroniques. À ce jour, les terminaux (téléphones, ordinateurs…) représentent à peu près la moitié de la pollution numérique. Il convient donc de garder nos appareils plus longtemps : quatre ans plutôt que deux en moyenne. Cela permettrait de diviser environ par deux la pollution numérique. C’est colossal !
Cela implique également de penser de nouveaux modes d’économie circulaire : collecte, réparabilité, location de smartphones…
Une autre piste concerne la façon dont nous consommons internet. Il est possible de rendre les sites web moins gourmands en bande passante, de consommer les vidéos en basse définition (surtout sur un téléphone), de passer par une box plutôt que par la 4G, etc. Ces gestes sont simples et permettent de limiter l’impact du numérique sur l’environnement.
Nous pouvons enfin nous poser la question de la hiérarchisation des contenus. On peut estimer qu’un hôpital connecté est plus nécessaire à la société qu’un énième réseau social.
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Le concept de ville intelligente est régulièrement invoqué pour ses bénéfices en termes de partage d’informations et de services rendus aux citoyens. Mais que sait-on de l’empreinte de ces smart cities ?
Jusqu’à aujourd’hui, nous disposons de très peu d’informations sur les coûts et bénéfices écologiques des villes intelligentes. Les études les plus récentes semblent montrer que les gains des villes intelligentes sont négatifs. Cela se traduit par un gain à l’échelle locale, mais par un coût à l’échelle mondiale.
À l’heure actuelle, je me garderais bien de dire que la ville intelligente a un impact positif sur l’environnement.
La France doit-elle s’inspirer de l’Estonie qui a fait le pari du tout numérique pour son administration ?
La France s’en inspire déjà. Lorsqu’il était Premier ministre, Édouard Philippe citait l’exemple estonien. Notre administration est de plus en plus numérisée avec de plus en plus de services en ligne.
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Les opposants à la 5G, qualifiés d’Amish par Emmanuel Macron, ont-ils raison de contester ce qui paraît inéluctable à l’échelle mondiale ?
Écologiquement, nous avons toutes les raisons de contester la 5G, économiquement et géopolitiquement nous avons tous les torts de contester la 5G. La 5G, c’est avant tout une question de souveraineté. Si la France et l’Europe ne développent pas la 5G, alors les Chinois la développeront pour nous avec tous les risques de captations de nos données que cela implique.
Si notre but est de protéger la planète, alors il faut arrêter la 5G. Et dans ce cas, il faut mettre un terme à beaucoup d’activités numériques. En revanche, si l’Europe veut développer une vision géopolitique souveraine, nous devons développer la 5G. Toute la complexité de ce débat est dans cette approche.
La 5G me semble inéluctable car elle rejoint des questions de souveraineté et de puissance. Elle est un bienfait économique qui va néanmoins avoir un impact écologique avec davantage de câbles et de centres de données.
La 5G pose une autre question : quel sera son impact sanitaire sur nos cerveaux avec des données toujours plus nombreuses ?
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Peut-on imaginer un modèle qui conjuguerait efficacité numérique et sobriété numérique ?
C’est une question complexe ! Je pense que les meilleurs experts du sujet seraient bien en peine d’y répondre de façon synthétique.